Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > A l’écoute > Écrits/Studio - épisode 1 - juillet 2023

Écrits/Studio - épisode 1 - juillet 2023

mardi 15 août 2023, par Cécile Guivarch

Contribution de Béatrice Machet

Je suis membre d’Écrits/Studio depuis l’été 2016, c’est-à-dire à partir du jour où Pauline Catherinot et moi-même avons parlé à Patrick Dubost de relancer ce « mouvement », lui qui était à l’origine, avec d’autres poètes de la région lyonnaise (dont Isabelle Pinçon), d’une première expérience menée des années 1988 à 2000 à la villa Gillet.

Pour présenter ce collectif (une bonne cinquantaine de poètes ont déjà fait au moins une fois une session), le plus direct et le plus simple serait de dire ceci : il s’agit d’un groupe de poètes qui lors de sessions de travail (pendant lesquelles ils-elles se réunissent de 6 à 9 pendant plusieurs jours dans un même lieu, ce qui implique de vivre ensemble et dans les conditions d’une résidence), les dits poètes

  • imaginent des textes pour l’oralité ;
  • utilisent leur propre voix et s’impliquent physiquement dans la performance finale sur scène ;
  • s’impliquent et s’initient aux techniques du son c’est-à-dire réalisent eux-mêmes enregistrements, bruitages, montages, etc.

En ce qui me concerne, cette entreprise vient compléter et parfaire ma démarche qui m’a vue quitter l’univers de la danse pour continuer de danser en écriture. Le geste et la voix me semblent essentiels pour vivre ma poésie au maximum, et donc pour la transmettre, la partager en lectures et performances, accompagnée ou non par des artistes venus d’autres disciplines. Les pièces sonores que j’ai réalisées et qui portent le label Écrits/Studio (au nombre de 21 à ce jour), ont quasiment toutes en commun d’explorer plus à fond ce que déjà je pratique dans mes livres et publications, à savoir mon goût pour les langues (je les mélange, les juxtapose, joue avec elles et leurs diverses énergies, diverses sonorités). Mes pièces rendent souvent hommage, direct ou oblique, aux nations Indiennes d’Amérique du nord et ce n’est pas une surprise pour qui sait mon implication, mon imprégnation et mon travail de traduction parallèle à mon propre travail poétique. Dans mes pièces sonores je crée souvent une ambiance intimiste qui ne m’empêche pas de m’emparer de faits de société. J’ai souvent un regard critique, je donne des coups de griffe aux systèmes qui nous enferment, nous musellent (patriarcat, capitalisme, racisme, sexisme, fascisme, révisionnisme etc.), je dis mes révoltes plus ouvertement que dans mes recueils sans pour autant crier des slogans idéologiques bien entendu, cela reste de la poésie. Certaines de ces pièces sonores ont été diffusées sur les ondes de diverses radios libres, ont été performées dans certains festivals ou dans des théâtres, auditoriums, galeries, etc.

Pour réaliser les pièces sonores j’utilise un enregistreur (ZOOM H2n). Je me suis constituée, depuis 2016, une banque de sons. Lors de mes voyages, promenades, sorties, j’emporte avec moi mon petit zoom qui tient dans une grande poche, et j’enregistre les bruits : chants d’oiseaux, rivières, mers et lacs, vent, musiques, chants et danses, portes qui grincent, bois qui craque, pluie, etc. Au moment de la réalisation des pièces j’ai alors à ma disposition un large choix de bruits, sans compter les voix des participants aux sessions que je sollicite régulièrement à dire des bribes de mes textes et ainsi collaborer à ma pièce. Le but avoué de ces sessions est d’encourager l’entraide, la collaboration, la création collective, ce qui est rare dans un milieu où les gens ont l’habitude de travailler en solitude, voire en isolement. Et c’est ce qui fait toute la richesse de ces sessions et de ces expériences : les avis techniques, le partage, la stimulation, l’émulation, l’écoute et le regard critique des uns sur les pièces des autres en toute bienveillance, … il y a toujours plus dans plusieurs têtes que dans une seule !

(Pour l’anecdote, il est amusant de constater combien les pièces sonores réalisées par les participants d’une même session, tout en explorant et révélant des univers différents et singuliers, ont souvent des points communs : thèmes, ambiances.)

Le montage (sur ordinateur), s’effectue grâce au programme Reaper, assez facile à maîtriser même si je suis bien consciente que je n’utilise pas la moitié des ressources que ce programme offre. Mon but n’est pas de battre des records technologiques mais de créer une ambiance sonore qui enveloppe l’auditeur, le happe, qu’il soit plongé dans un univers sensible pendant qu’il-elle entend mes mots, mon poème, et qu’alors les sens, la signification, les émotions tous ensemble prennent un relief tel que la pièce fera, pour lui-elle, événement.

À l’issu des sessions de création, des restitutions sont organisées pour donner en public les pièces sonores réalisées pendant les sessions. Ne sont alors sur scène que les poètes présents à la session. Des soirées Écrits/Studio sont elles aussi organisées, qui ne concernent pas exclusivement les pièces sonores récentes mais permettent de donner à entendre un plus large éventail de pièces, les poètes et les pièces étant alors sélectionnées par qui organise la soirée : théâtres, médiathèques, festivals...

(Pour plus d’infos : voir l’ancien site ecritsstudio.free.fr, le nouveau est à refaire…)

Les pièces diffusées (les plus courtes) :

  • Fin de la parole, 3mn 51 (réalisée lors d’une session à Monteux, Vaucluse, en 2017)
  • Four walls, 4mn 28 (réalisée lors d’une session à Trades, Haut-Beaujolais, en octobre 2016)

Contribution d’Isabelle Pinçon

Je suis membre du collectif Écrits/Studio depuis… depuis 1994 (plus ou moins), à une époque où je commençais à écrire et publier, à une époque aussi où c’était une association née quelques années auparavant (mais les statuts ont disparu depuis et a donc été renommée « collectif » comme collecter des mots, des sons…). Mon souvenir (précieux) de ce temps ancien était l’expérience d’immersion dans un lieu improbable (au sous-sol de la Villa Gillet à Lyon), dans les locaux du GMVL (Groupe Musiques Vivantes Lyon), au milieu des magnétophones à bandes magnétiques de couleur caca d’oie qui tournaient manège, dont on stoppait la course folle à l’aide d’une poignée chromée, qu’on bidouillait, coupait, recollait à la main, tricotait maladroitement, travail artisanal révolu depuis, ces bandes étaient comme de longues phrases silencieuses dont on trafiquait le destin bon an mal an. J’aimais l’odeur de ces bandes, la fragilité de leurs ailes, les surprises que réservait ce travail patient, terriblement concret, palpable.

Parmi les gens de la première « vague », mon affection va vers Claude Seyve, un homme discret, petit et espiègle qui fabriquait de belles propositions sonores et dirigeait une petite édition VR/SO à la couleur bleue (il est décédé tragiquement après une chute d’échelle), il y avait bien sûr à l’initiative de ce projet Patrick Dubost en collaboration étroite je crois avec Bernard Fort, directeur du GMVL à l’époque. Je me souviens de quelques noms de poètes impliqués dans l’aventure : Patrick Ravella, Claude Yvroud, Proteus Morganii, Anne-Marie Jeanjean… Je me souviens aussi d’un festival de poésie sonore où Écrits/Studio était impliquée (avait-elle organisé l’évènement ?) à la Villa Gillet en 1995 où performèrent Christophe Tarkos, Henri Chopin, Bernard Heidsieck, Jean-Pierre Bobillot, Lucien Suel, Patrick Dubost et d’autres dont le nom m’échappe (moi-même j’étais derrière un piano électrique mais qu’y faisais-je ? oubli).

Partie pour Nantes au tournant du siècle après avoir vécu à Lyon jusqu’à mes quarante ans, je fus en 2015, vingt ans plus tard donc et des cheveux blancs récoltés au fil des années, appelé par Patrick Dubost qui me proposa de participer à une session organisée à Lyon, Écrits/Studio renait alors de ses cendres (de ses sons), l’appel est irrésistible. La session (la première ou la deuxième du « grand » retour) me confronte en tout premier lieu à la difficulté d’apprivoiser le logiciel Reaper qui sert à la transformation des voix enregistrées en pistes démultipliées pour créer une « pièce sonore » diffusée ensuite en stéréo pour l’écoute, cette fois sans besoin de couper, coller, rafistoler avec nos mains et une paire de ciseaux. En plus de m’initier à cet outil numérique qui me file des sueurs froides et me fait demander de l’aide aux déjà initiés (c’est aussi un principe d’initier les nouveaux venus), je prends un grand plaisir à me mêler au groupe des poètes invités, une dizaine, certains déjà connus d’autres à découvrir, plaisir aussi à travailler côte à côte, casque sur la tête, yeux rivés sur l’écran d’ordinateur (en train de bidouiller, manigancer l’irréel) mais aussi plaisir à manger ensemble, parler de longues heures de littérature, recettes de cuisine, politique un peu, sport beaucoup moins, toute la densité du monde à décortiquer, augmenter, rassurer, mais aussi plaisir à partager les tâches quotidiennes. Ainsi les sessions se sont multipliées, à Lyon d’abord et environs, ont essaimé dans le Sud de la France et dans l’Ouest où j’ai pris l’initiative d’en organiser une première puis une autre, avec la complicité de mon ami nantais Bernard Bretonnière. À chaque session dans notre région Ouest, en plus des « habitués » (dont Marie Rousset, Patrick Sapin, Béatrice Machet) se sont jointes d’autres personnes, des anciens comme Patrick Dubost, Christine Duminy-Sauzeau, Béatrice Brérot, des nouveaux comme Bernard Moreau, Corinne Le Lepvrier… à la prochaine session fin août ce sera Christine Bloyet qui viendra découvrir le dispositif puis Thierry Bodin-Hullin en 2024… Le collectif est toujours ouvert à coopter de nouvelles personnes intéressées par la combinaison des sons et des mots et à partager l’expérience d’ « un moment ensemble ». La finalité étant de montrer le travail réalisé par chacun lors de « restitutions publiques » lors desquelles chaque pièce diffusée en stéréo est accompagnée de l’auteur(e) qui sur scène interagit avec la création sonore qu’il a réalisée en session, soit au micro en rajoutant des mots, des sons, des expressions, soit dans sa gestuelle corporelle, soit en projetant des images...

Personnellement ce qui m’intéresse d’explorer en marge de mon travail d’écriture « papier » dans cette expérience sonore est le rythme impulsé dans la succession des mots, le jeu temporel, la compression ou la dilatation des phrases, l’accélération du souffle, l’hyper présence du mot qui s’incarne, se répète, joue à cache-cache, le télescopage, l’embouteillage, le brouhaha parfois qui fait perdre ou s’affoler le sens ou au contraire la lente extraction du sens, sa sortie des cavernes, la jubilation aussi de dégager le mot de l’horizontalité, la verticalisation du mot dans l’espace, sa beauté exhumée, son volume en 3D, sa transparence signifiante, sa légèreté non insouciante d’être… Bref je crois que le plus important pour moi est de reconsidérer le mot dans sa succession d’actes sonores, comme si en se vocalisant, l’ensemble des mots se fabrique une existence nouvelle, la matière devient réelle, ses ramifications visibles et la forêt grandit…
J’ai compilé une vingtaine de pièces qui sont d’abord des « partitions » que j’ai le projet de rassembler pour en faire un recueil différent de mes autres textes, comme si de ces mots couchés à plat sur le papier, on pouvait (pourrait) voir se lever une silhouette mouvante qui figurerait la chose écrite !

Les deux pièces que je présente sont diffusées de manière « radiophonique », c’est-à-dire sans ma présence physique (la voix parlée en direct au micro est donc incluse dans l’enregistrement écouté).

  • « Ce matin un homme est mort » (pièce réalisée à l’automne 2021 à l’Ile d’Yeu), durée 3 mn 30
  • « Nous pondrons un livre » (pièce réalisée à l’été 2020 à Chenon, Charente), durée 3 mn 50

Contribution de Bernard Bretonnière

J’avoue que je n’avais jamais entendu parler d’Écrits/Studio quand, voilà six ans déjà, Isabelle Pinçon me sollicita. Il s’agissait de réunir quelques poètes et de les faire vivre ensemble une petite semaine dans une grande maison pour y créer des pièces sonores ; autrement dit des poèmes ou textes dits poétiques lus à haute voix et enrichis d’une construction sonore.

Née à Lyon, l’association – devenue collectif – Écrits/Studio entendait alors élargir le champ géographique de ses sessions ; Isabelle étant passée de la capitale des Gaules à la Venise de l’Ouest depuis une vingtaine d’années, elle pensa naturellement à réunir les prochains participants dans ces contrées atlantiques. Étant de Nantes, natif et habitant, je fus approché

Même quand j’en ai l’envie, je ne sais pas dire non… J’ai donc dit oui du bout des lèvres, mais : dans quoi allais-je m’embarquer, voire me noyer, moi à qui l’oreille musicale fait défaut, tellement sensible au mot écrit et (par handicap plutôt que par absence de goût) si mal embouché quant aux sons ? N’allais-je pas exploser mon seuil d’incompétence ?

Sans compter qu’il faudrait travailler et produire sa pièce sonore avec Reaper, « station audio-numérique (Digital Audio Workstation – DAW) multipiste efficace et abordable qui permet de créer, d’enregistrer, d’arranger et d’éditer des projets audio ». Abordable, cette… moissonneuse ? À voir...

En août 2018, c’est à Chenon (128 habitants, Charente) qu’eut lieu cette première dans l’Ouest et première pour moi.

Le groupe d’une demi-douzaine de poètes qui, presque tous, se connaissaient pour s’être déjà rencontrés dans divers rendez-vous et manifestations littéraires, aux six coins de l’Hexagone, se souda très vite, et comme naturellement. La solidarité se révéla singulièrement exemplaire. Car il en fallait ! Je découvris Reaper, d’un abord si complexe et abscons, avec effarement, convaincu que jamais je ne saurais m’en arranger. Avec une patience d’anges, les unes et les autres s’employèrent à me dégrossir de mes manières fâchées avec les mathématiques, les sciences et les techniques…

Vaille que vaille, je débutai, me lançai, progressant d’appel au secours en appel au secours : « Comment mettre une piste en silencieux ? Comment coller plusieurs morceaux en un seul ? Comment équilibrer tous les niveaux ?... »
Cinq sessions plus tard, je suis loin de posséder une maîtrise correcte de Reaper, et d’autant moins que, contrairement à la bicyclette, sa pratique s’oublie d’une utilisation à l’autre… Alors j’appelle encore au secours et il y a toujours quelqu’un pour me répondre, me dépanner…

Pourtant, lors de ces sessions éminemment studieuses (c’est à souligner), chacun doit créer, individuellement, sa pièce. Il a apporté son ordinateur et son casque audio (binaural !), voire son micro et son enregistreur ; il travaille seul, concentré, même si, souvent, tous sont installés ensemble sur une grande table. Or, chacun se rend disponible pour venir à l’aide de celui qui bloque sur telle ou telle fonction. Encore, de temps en temps, hésitant ou doutant, l’un fait écouter sa pièce en chantier aux autres pour recueillir leurs avis et bénéficier de leurs suggestions de modifications. Vivant à temps plein plusieurs jours dans la même maison, les participants font les courses, cuisinent et mangent ensemble : l’immersion est quasi familiale.

C’est ainsi que le premier bénéfice que je retiens de cette expérience en cinq épisodes (bientôt six – ce sera dans la campagne de Bressuire, Deux-Sèvres), c’est la qualité humaine. Si l’on ne choisit pas sa famille, Écrits/Studio choisit ses membres et je ne pense pas exagérer en disant qu’une véritable fratrie s’est constituée à partir de ces rendez-vous dans l’Ouest (nous répondrons aux chipoteurs que Panissage est à l’ouest de Chambéry) ; de très solides et fidèles amitiés se sont construites et se vivent au delà des temps de sessions.

Personnellement, je n’échappe pas, lorsque je concocte une pièce sonore pour Écrits/Studio, et pourtant sans l’avoir décidé, à ma pathologie de la liste ou de l’anaphore (l’anaphore étant une liste). Mais, incapable jusqu’ici d’écrire un texte spécifique et nouveau (j’ai l’écriture très lente, discontinue et fragmentée…), j’ai repris des textes existants, parfois publiés, un texte bref ou un montage d’extraits d’un texte plus long offrant, à mes yeux et oreilles, des possibilités de mariage avec « du son ». Pour les textes inédits, je trouve là l’occasion bienvenue de les ravauder jusqu’à parvenir à une forme plus satisfaisante que celle de départ. Ainsi, les sessions Écrits/studieuses me font-elles avancer dans mon travail d’écriture.

Pièces diffusées :

  • De la guerre – août 2018, Chenon (Charente)
  • Ça m’intéresse de savoir – juin 2019, Savenay (Loire-Atlantique)
  • Je suis cet homme* – août 2020, Chenon (Charente)
  • Trente-six conseils pour faire un bon, un vrai, un conforme familier de l’Île d’Yeu – octobre 2021, Ile d’Yeu (Vendée)
  • Moi président – juin 2023, Panissage (Isère).

Dans le prochain numéro de Terre à ciel, Ecrits/Studio - épisode 2 avec les contributions de trois autres poètes.


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés