Béatrice Brérot - Sacha Earendel
C’est à l’automne 2016 ou 2017, que Patrick Dubost m’a invitée à rejoindre la première session de la deuxième saison d’Ecrits/Studio. Il proposait de nous réunir dans sa grande et vieille demeure familiale sise à Trades dans le Beaujolais au mois de novembre. J’apprécie beaucoup le travail de Patrick et j’étais très honorée de cette invitation d’autant que j’ai toujours eu une vision de la poésie multidimensionnelle, spatiale, visuelle, sonore, audiovisuelle et que j’avais déjà réalisé quelques ciné-poèmes (http://bbrerot.free.fr/cine-poemes.html) car, il y longtemps, j’avais suivi un stage de technicienne vidéo. De ce fait, j’avais également quelques connaissances de base en audio. Toutefois entre les puces de parquet dont il avait du mal à se débarrasser, le froid que je craignais et des raisons personnelles, j’ai dû décliner cette proposition en lui promettant d’être présente lors d’une prochaine session qu’il pensait organiser au printemps ou à l’été.
Pour la petite histoire, j’ai été bien avisée de ne pas participer à cette « résidence » là car un problème électrique n’a pu permettre d’allumer les chauffages et la cheminée située dans l’immense salon aussi haut que large et long, ne pouvait chauffer qu’un faible demi-cercle alentour. Dans de telles conditions, j’aurais été bien incapable de produire une quelconque matière sonore et poétique. Mais celles et ceux qui ont vécu ce moment-là en parlent comme d’un bon souvenir, ce que je leur concède volontiers car, c’est bien connu, l’adversité nous rend meilleur·es et plus fort·es. C’est dans le feu qu’on se forge !Je ne reviens pas sur la description et les attendus d’une session Ecrits/Studio puisque les poètes qui se sont exprimé·es précédemment pour Terre à ciel ont déjà tout expliqué.
Ce que je peux dire c’est que j’avais hâte de travailler avec ce que les technologies numériques nous permettent de faire aujourd’hui même si, tant qu’à « mettre les mains dans le cambouis », j’aurais préféré manipuler un bon vieux Revox (voir le témoignage d’Isabelle Pinçon). Ce que Bernard Heidsieck a pu réaliser dans les années 50-60 afin de sortir le mot de la page pour rendre du vivant à la poésie. C’est ce qu’il a nommé « poésie action », autrement dit ce qu’on appelle aujourd’hui, avec une banalité parfois déconcertante, la performance. De nos jours cela paraît tellement facile et évident qu’une majorité de poètes disent « performer » leurs textes. Et grâce aux réseaux sociaux dont ont su s’emparer les générations Y, Z et Alpha avec plus ou moins de pertinence, le poème n’est plus coincé dans une page mais dans nos tout petits écrans, ce qui donne lieu à une multiplicité de publications. Mais il faut vivre avec son temps ! Je trouve ça fantastique que chacun·e puisse s’exprimer publiquement grâce à ces nouveaux outils. Je ne sais pas si Heidsieck avait eu cette vision-là de la poésie mais on peut dire désormais que la pop-poésie existe même si elle répond à des algorithmes qui finalement ne font que répercuter l’idéologie capitalo-patriarcale hétéronormée. Bon, ça y est… je m’emballe et sors du sujet. Hop ! Recadrage.Ce projet m’intéressait aussi parce qu’il rejoint ce que j’essaie d’écrire, dire, donner à voir, écouter ou à ressentir, à savoir que chaque graphe, chaque mot est autonome, libre et existe en tant que tel, ils pré-existent à nos neurones, en dehors du signifié et du signifiant tel que décrits par Ferdinand de Saussure. Si cela vous intéresse, je tente d’expliquer ma démarche sur cette page (http://bbrerot.free.fr/presentation2.html ) de mon site. C’est aussi ce que j’exprime dans un texte sonore, eSPaCe (https://soundcloud.com/b-atrice-br-rot/espace), réalisé avec la complicité de Wianney Qolltàn, version qui fait suite à une série de textes/BD tirée au trait et mis en couleur par Raphaël Sarfati (http://untiroirouvert.net/index.php?s=n-bd), dessinateur de Little Joséphine (http://untiroirouvert.net/index.php?id=16), que je recommande vivement. Cette série s’intitule tentative Métanarrative de poésie séquentielle, tMps (http://bbrerot.free.fr/tmps.html). Oups ! Je dévie encore. Mais c’est dire que la poésie visuelle comme sonore m’intéressaient bien avant qu’Ecrits/Studio renaisse de ses cendres et je rejoins un peu Isabelle Pinçon qui écrit, le plus important pour moi est de reconsidérer le mot dans sa succession d’actes sonores, comme si en se vocalisant, l’ensemble des mots se fabrique une existence nouvelle
J’aimais aussi ce projet commun qui intégrait l’idée d’entraide et peut-être (c’est ce que j’espérais) de création collective mais sur ce dernier point, je n’ai pas été satisfaite. Bien sûr j’ai apprécié le partage du collectif, les repas ensemble qui se sont parfois prolongés en soirées voire en veillées.
La journée, chacun·e était très studieu·ses, allant à la pêche aux sons ou bien ne faisant bloc qu’avec son ordinateur et son casque, parfois enveloppé·e dans une couverture tel Obélix dans Le bouclier Arverne je crois car, même en saison plus douce, il peut faire froid dans le Beaujolais des montagnes ! C’était assez drôle à voir. Mais finalement, cela donnait une étrange et belle dynamique. Parfois quelqu’un·e demandait conseil ou un soutien technique à celles et ceux qui avaient pu participer aux stages animés par Bernard Fort et Gabriel Girard du GMVL. Stages qui ont pu avoir lieu grâce à eux et Patrick Dubost que je remercie sincèrement. C’était une chance d’avoir pu les suivre, car le son nous paraît naturel. Mais quand on se met à le travailler, c’est autre chose. C’est très technique. Et puis Reaper est une grosse bécane qui offre plein de possibilités mais qui reste néanmoins complexe pour des néophytes comme nous, poètes et « poétasses », (ref à Liliane Giraudon). Quelque fois, parmi les participant·es il y avait des musicien·nes qui, jouant de leurs instruments apportaient une ambiance différente. C’est ainsi que j’ai pu emprunter un tambour chamanique à Patrick Sapin pour la tension augmente de façon exponentielle dans la peau.De 2017 à 2019 j’ai réalisé 14 poèmes sonores (le poème et le son fusionnent) ou sonorisés (le poème est accompagné d’un paysage sonore). Grâce à ces sessions, j’ai pu expérimenter le poème indus (5 doigts, tête boulon, ô pas, splAtch !), le poème voix, très minimaliste (la tension augmente de facon exponentielle dans la peau, tous les gens dans la maison, poèmje du dimanche, je silence), le poème électro (on y était). Seul l’un d’entre eux, la tension augmente de façon exponentielle dans la peau, a été écrit lors même de la session, ce qui m’a permis de relever un petit défit personnel et d’utiliser plusieurs tessitures de voix qui suffiraient à faire un poème sonore tellement c’est beau la manière dont les cordes vocales frottent et résonnent différemment selon les un·es et les autres.
Pour les autres j’arrivais toujours avec une idée en tête. Cela a aussi été l’opportunité pour moi de réaliser un long poème sonorisé, dix mille êtres dedans (https://www.colorgang.eu/luminaires/dix-mille-%C3%AAtres-dedans/), publié chez Color gang, et dont la version intégrale (http://bbrerot.free.fr/ecouterdixmille.html) a été mise en ligne par le netlabel, Murmure Intemporel (https://archive.org/details/@sillage_intemporel). Enfin, il y a des textes pour lesquels je ne suis intervenue que pour la partie sonore comme Le train de Brigitte Baumié, bientôt publié chez Bruno Doucey mais sans cette partie sonorisée et, hors Ecrits/Studio, Suite érotique (https://soundcloud.com/b-atrice-br-rot/suite-erotique), de Sarah V. en 2019.Voici la liste des textes dont la plupart sont en ligne :
♩Suite érotique, textes de Sarah V., 6’46, 2019
♩poèmje du dimanche, 2’42, 2019 (avec Isabelle Barthèlemy)
♩on y était, 3’38, 2019
♩Le train [extrait], texte de Brigitte Baumié, 6’27, 2019
♩je silence, 4’32, 2019
♩i-zage [extrait de dix mille êtres dedans], 2’36, 2018
♩avanti marche, 2’08, 2018, dont il existe une version audiovisuelle
♩o pas, 3’18, 2018
♩ouvrirr, 3’24, 2018
♩splAtch – explorarent terram slip (ou la dérive des arguments), 2’35, 2018
♩tête boulon, 3’24, 2018
♩tous les gens dans la maison, 3’00, 2018
♩la tension augmente de façon exponentielle dans la peau, 4’40, 2017
♩5 doigts, 2’30, 2017
♩eilles viennent de ( ), 5’58, 2017 – lire le texteCette période où je m’adonnais à la poésie comme on s’emploie à la pâtisserie ou au bondage (selon les préférences de chacun·e) a donc été très fructueuse pour moi, avant que je ne cesse presque totalement d’écrire et que je devienne Sacha Earendel. Aujourd’hui Sacha Earendel fait beaucoup de photos et assume qu’iel n’est pas fait·e pour ce monde, ce qui n’est pas simple. (A suivre)*.
* collection BD chez Casterman
- 5 doigts
- la tension augmente de façon exponentielle dans la peau
Bernard Deglet
Grâce à des technologies désormais à la portée de presque tous des textes, ou bribes, peuvent être montés directement par des artistes sous forme de pièces sonores.
A l’initiative de Patrick Dubost et quelques autres, des sessions de production sonore réservée à des poètes sont régulièrement organisées : 4 ou 5 jours à plusieurs dans un même lieu, groupe autogéré, entraide, convivialité, travail, exigence. A la fin de chaque session chacun aura dû réaliser au moins une pièce et la mettra en scène devant les autres, si possible en produisant en live une partie de la partition sonore. Chaque session est suivie quelques semaines après d’une restitution publique.
Le tout est passionnant.
J’ai participé à 3 sessions, et assisté à de nombreuses restitutions publiques. Je suis à chaque fois bluffé par la diversité et la créativité des propositions. J’ai pu mesurer chez moi et chez d’autres les évolutions : nous nous libérons de plus en plus de la technique, nous renonçons bientôt aux effets spéciaux, nous travaillons plus en profondeur la matérialité des mots et des sons, les rythmes, la partition.
Tout cela fait une très belle aventure humaine et de création, de vie, à laquelle je suis profondément attaché.
- Avant c’était mieux avant
- Je danse
Isabelle Paquet
Comédienne expérimentée, metteuse en scène, jeune poétesse. Mes trois « métiers » dans l’ordre chronologique. À l’invitation de Patrick Dubost, j’ai participé à la première session Écrits/Studio fin octobre 2016 à Trades dans le Haut-Beaujolais, non sans avoir suivi en amont la formation au logiciel Reaper dispensé pendant deux jours au feu GMVL (Groupe Musiques Vivantes de Lyon porté par Bernard Fort). Depuis je ne m’en lasse pas.
J’ai été accueillie dans la famille des poètes et poétesses des sons triturés, des voix qui murmurent, crient ou piailles, des musiques en live, des vidéos sans script, des performances où enfin je suis sur scène complète : comédiennemetteuseenscènepoétesse. J’aime bien cette famille dont je n’ai jamais vu un mot écrit et qui ne soupire pas quand j’éclate de rire car, oui, je suis une femme sonore.
Depuis deux saisons, j’assume une nouvelle manière de composer mes pièces sonores. Ce sont celles-ci que j’ai envie de partager ici, car elles sont le fruit de la liberté qui nait de la bienveillance des membres du groupe Écrits/Studio.
Mon mode d’emploi : l’improvisation à la manière d’un micro-trottoir
- thème général : les sexualités
- épisode 1 : Baiser/parler, dans quel ordre ?
- épisode 2 : L’épilation, gout/dégout pour le glabre ?
- épisodes à venir, 3, 4, 5… « Les couilles bleues », « Les sextos », « Le tantrisme », « Les éjaculations »…
- ne rien poser sur le papier, choyer l’inconnu, en avoir suffisamment la trouille pour fantasmer mais pas trop pour ne pas stresser
- interviewer en studio mes camarades, informés du protocole mais non du contenu (ils auront le dernier mot sur mes emprunts), créer un contexte de liberté de parole, de confiance dans le dialogue avec moi
- composer une pièce sonore qui mêlent et manipulent les voix, couper, choisir, tronquer pour un montage qui heurte les sens et qui en crée de nouveaux
Lien vers les deux pièces : https://www.cie-chiloe.com/ecrits-studio