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Jacqueline Persini, « Ce qui me tient en poésie »

jeudi 1er juillet 2021, par Florence Saint Roch

Ce qui m’importe, c’est d’approcher l’obscur, l’inconnu, l’énigme de l’humain afin de trouver quelques lueurs qui donnent sens à la vie et au monde.
Les rencontres avec les écrivains, en particulier les poètes, m’offrent un appui pour explorer le temps, l’amour, la mort….
L’écriture est une aventure vitale où se jouent l’intime et le social qui sont indissociables.
Les pierres, les arbres, les oiseaux, les fourmis, les vers de terre… y ont leur place.
Un poème me fait naître, en appelle un autre pour construire une demeure ouverte à tous.

Le thème de la maison m’est essentiel.

En 2013, Emmanuel Hiriart présentant l’ensemble de mes recueils avait écrit :
«  Chaque livre est une maison nouvelle. Chacun vit selon ses lois propres, tisse ses couleurs, réinvente la vie. Chaque recueil en effet a une personnalité propre… La diversité des maisons peut être lue comme l’évolution d’une trajectoire… avec les pierres vives des mots…  »

Dans le premier livre Le soleil aveugle, les lecteurs m’ont appris que ma langue était poétique. Les murs de ma maison étaient branlants, le sol peu fiable et l’air irrespirable. J’avais une demeure à réparer, à rénover. L’écriture a écarté les murs, restauré le sol, ouvert les fenêtres.

La poésie comme résistance à l’emprise, à la violence sous toutes ses formes, aussi bien visible qu’insidieuse, aussi bien familiale que sociale. René Char m’accompagne souvent et particulièrement dans le recueil : Contre l’humain il est des crimes.
Un jeu avec les mots et les sonorités met du jeu dans la dimension tragique de la vie, qui explorée par la langue, métaphorisée, s’allège un peu et parfois laisse percer quelque lumière.
L’écriture est comme une peau contenante qui me sert à penser et panser les blessures. Inventer une forme, c’est inventer des visages inconnus, faire advenir l’ignoré de soi, c’est affronter le réel en introduisant une dimension de rêve, d’utopie susceptibles de transformer ce qui paraissait inéluctable.

C’est avec plaisir que je me suis aussi orientée vers une écriture en direction de la jeunesse mais aussi des adultes ayant gardé l’enfant en eux.
Déstabilisée par un déménagement, la lecture de poèmes insolites a suscité l’écriture de Maisons à dormir debout. En puisant dans les contes, vecteurs ancestraux de parcelles d’humanité, la maison, sans perdre sa dimension intime, prend une dimension cosmique. Les cygnes sauvages d’Andersen m’ont incitée à continuer le voyage…
À ma grande surprise, un enfant rieur apparaît, cohabitant avec une petite fille triste. Un territoire d’émerveillement voit le jour qui n’exclut pas les drames de l’enfance. Ainsi pour aborder la question de l’inceste, j’écris avec Isabelle Lelouch Cafouillages dans Peau d’âne, pièce de théâtre qui sera jouée dans deux théâtres parisiens.

L’écriture nous entame parfois là où nous nous croyons solides, ne nous épargne rien, ne guérit pas, ne sauve pas et cependant peut contribuer à nos métamorphoses, soutenir notre désir de durer, nous déplacer vers l’inouï d’un poème, les surprises de la vie.
Des noms sont donnés pour approcher le chaos, les blessures, l’horreur, la mort mais aussi la joie, la jubilation, la beauté du monde.
Les mots épars se rassemblent dans une maison d’où l’on découvre l’horizon, maison un peu branlante dont il faut sans cesse refaire le toit.
Le temps nous est compté et cependant offert.
Cette urgence d’inventer le présent, des heures neuves, de donner de l’air à tous ces riens qui nous traversent, de naître encore dans une maison presque habitable.

La maison, c’est notre espace corporel et psychique, notre identité non fixée une fois pour toutes mais susceptible de s’agrandir selon les circonstances de la vie.

Mais à la mort de la mère en 2006, toutes les maisons se défont avec la nécessité de revenir à la première source de vie… Reprendre le chemin des enfers…visiter les entrailles de la terre

Autour de toi je cherche ma maison cherche comment
habiter les murs sans que ne se dévaste le toit sans que
des frelons ne fendent les tuiles…

Comment donner figure et voix non pas à des personnages mais à une mère et à une fille, une fille qui est moi et aussi une autre et devient dans l’écriture ce qu’elle n’avait pas prévu.
Sans bougie, comment accueillir le chaos des mots comme des émotions, comment faire survenir l’inattendu ?

Prends courage toi aussi parmi ces filles qui parlent à leurs mères à mesure que se raccourcit le temps te voilà dans une impudence extrême te voilà vivante comme une rivière qui ne retiendrait plus son eau au bord de l’ombre dans la lumière indécise…

Depuis longtemps, comme Rosemarie Waldrop, je pratique le collage. Celle-ci, pour se distancier de sa mère et s’évader d’un « je », prenait dans des romans des mots qu’elle assemblait d’une manière singulière et parvenait ainsi à l’intime de sa voix.
Plus je m’éloigne d’un savoir sur mon histoire, plus je me rapproche d’une voix intérieure qui trouve son souffle et sa respiration.
M’accompagnent Michèle Desbordes, notamment dans son livre L’emprise, mais aussi René Char, Claude Esteban, Claude Ber et bien d’autres. En volant leurs mots, je trouve les miens, pour construire une maison qui, à peine esquissée, risque toujours l’écroulement.

Marcher

loin sans mesurer vos forces imaginant qu’il existe un commencement
quand on ose quitter son pays quand on ose des petits déplacements des petits éloignements votre flanc contre le flanc de la terre après avoir franchi le seuil avec votre pas d’escargot
même si toit arraché même si tout chaviré quoi qu’il arrive autour de vous vous irez

vers cet infime commencement

Au plus profond de la mer, m’abandonner aux flux et reflux de l’écriture, aux tempêtes, aux vents violents. Arracher des algues vives auxquelles s’accrocher, les perdre, les retrouver…
Ce sont tantôt des fragments de prose qui s’imposent, tantôt des poèmes qui surgissent du noir très noir. Approcher le noyau compact des souvenirs, des émotions me met en danger. L’enjeu de l’écriture semble être la vie ou la mort. Concentrée sur les désastres, j’aspire aussi l’air de certains poèmes, veillant à ne pas m’envoler au moindre coup de vent. Dans des ruptures de syntaxes, des martèlements de rythmes, je cherche des pulsations, un souffle qui me tirent vers le vivant.
Voilà que s’invite un personnage que je n’avais pas prévu : ma grand-mère dont j’entends la voix. Une version de mon histoire teintée de rouge et de noir me donne de nouveaux sens mais aussi le vertige. Je découvre les fondations fragiles de ma maison, les éboulements, la folie et le crime.

J’ai été admise
Au monde
Admise
À entrelacer
Le naître et
Le mourir

Qu’est-ce qui peut être dit ? Qu’est-ce qui doit se taire, mère et grand-mère sous terre ?
Ma quête souterraine vers un apaisement traverse des chemins de violence avec une douleur qui semble innommable. Morcelée, fragmentée, éreintée, l’écriture suit des mouvements qui m’échappent mais conduisent à une invention de formes susceptibles d’engendrer une nouvelle mère, une nouvelle fille.
La fille fait naître la mère, accueillant ses déchirures, sa solitude.

Dans mes bras ma mère je te prendrai te porterai avec délicatesse
Je te promènerai et nous parlerons encore nous parlerons
……
N’aie pas peur avec mes petits bras je te protégerai des bêtes de leurs yeux de leurs griffes
Pour que lâche panique tu boiras dans mon ventre plein de gouttes de ciel
Tu deviendras ma ville mon amante aimante aux yeux non chahutés par les cailloux d’ici
Ma lointaine enfermée ma méconnue au cœur brûlé peut-être naîtras-tu dans un autre pays ?

La magie de la poésie bouscule la fable première, tire des fils insoupçonnés qui réparent les trous, recousent le tissu d’un passé invivable.

Une fois de plus s’invente
Une fable de maison
Autour de l’effort infini
D’un soleil minuscule

La typographie est comme une scène où se jouent déflagration et éboulements mais aussi résistance et tentative de respirer.

Au-dessus des silences, des secrets, les assemblages érigent des ponts. Une nouvelle histoire se dessine ainsi qu’une maison habitable où on peut circuler, ouvrir les fenêtres et regarder dehors.

La poésie dans son pouvoir de saisissement, de transformation a ouvert des commencements, inventé des sens qui n’étaient pas prévisibles avant l’écriture.

Jacqueline Persini

Page réalisée avec la complicité de Florence Saint-Roch


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