FSR : Aux éditions invenit, dans la collection Déplacement, vient de paraître votre recueil Reprises. On vous y voit, saison après saison, vous entraîner au karaté, soit en extérieur, soit au dojo. Qu’est-ce que bouger, se déplacer signifie pour vous ?
CB : J’essaie de répondre à cette première question. Je cherche à formuler une définition mais ma pensée aussitôt « se déplace ». Si vous voulez bien, je crois que je vais laisser glisser, prendre le virage en dérapant légèrement avec quelques images...
J’ai vécu mon enfance dans une maison entre une gare, le passage des trains et une rivière, le passage des péniches. Il y avait mes repères d’enfant et tout ce qui, autour, ne cessait d’être en mouvement, avec différentes façons d’apparaître (bruits, vitesses...). Quelque chose s’est inscrit. Sentir tout autour ce qui va, s’élance, ce qui vient ou revient. Ce qui demeure, ce qui change. Percevoir les durées, les cycles, leurs nuances – et comment tout ça marque l’espace.
Je crois qu’il y a dans le déplacement cette sensation, pour moi, constante, d’être à la fois ancré et en mouvement.
FSR : Quelle relation établissez-vous entre pratique du karaté et écriture poétique ?
CB : Cette relation entre karaté et écriture, je la découvre, je l’explore. Je prends soin de ne pas trop la définir. Ce n’est pas un trajet que j’aurais tracé à l’avance. Plutôt un élan qui m’entraîne. Pour que ça reste concret, intuitif. Comme en repli par rapport au langage. L’écriture, le karaté sont deux rituels dans le quotidien. Les analogies surgissent, se ressentent. Je crois que le plus souvent, c’est le karaté qui nourrit l’écriture, même si l’inverse a lieu aussi. Cette relation, je voudrais la dessiner pour vous en parler, ce serait peut-être plus proche de ce que j’ai envie de dire. Les connotations des mots peuvent vite déformer ce qui semble, dans le silence de l’expérience, à la fois précis et ouvert. J’y réfléchis, il y aurait des mots, quand même : Mouvement, respiration ; distance, cadence ; axe, pas de côté ; solidité, souplesse ; conscience, présence, attention... Ou simplement, le vide, écrit à la main, puisque je ne saurais pas le dessiner.
FSR : Vous êtes par vos activités un lecteur à voix haute, en quoi cela a-t-il une incidence sur votre écriture ?
CD : Je ne sais pas écrire avec une pensée trop présente. J’ai besoin de trouver une distance avec l’abstraction du langage. Lire me soutient. L’oreille, le corps, le souffle, c’est ce qui me guide, sinon les phrases se perdent, les mots se noient. La lecture à voix haute a beaucoup rempli ma boite à outils. Le concret dont j’ai besoin pour travailler, je le trouve dans la lecture et le geste de l’écriture. Et ça me guide vers une façon que les mots peuvent trouver de capter la sensualité de la vie, pour faire écho modestement à l’idée de William Carlos Williams. Lire, c’est comme passer le doigt sur une écorce, tandis qu’on pourrait se contenter de la regarder. Ca m’apprend à ressentir, à ralentir. Je me sens aussi plus relié. Et j’aime ça. Il y a tant d’ écritures. J’apprends avec modestie à les découvrir, les percevoir, les rencontrer.
Voici un enregistrement de la première partie de Reprises, mise en voix par son auteur :