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A propos de Invitée surprise (et autres livres) de Christian Bulting - Entretien par Christian Degoutte

dimanche 1er mai 2022, par Cécile Guivarch

De l’observation quotidienne/ De mes chats / Je pourrais faire un livre // De la vie ordinaire / De ma rue / Je pourrais faire un livre // C’est de cette aventure-là / Celle du cancer / Qu’au jour le jour /Je fais un livre
Invitée surprise a l’apparence d’un journal en poèmes. Ce livre a-t-il été écrit ainsi, au jour le jour ?

Oui, le livre a été écrit jour après jour. Un poème par jour. L’écrire me faisait beaucoup de bien, me tenait en quelque sorte. Le fait de vouloir écrire un poème chaque jour sur ce que je vivais me mettait en éveil par rapport à ce qui m’entourait, ce que je percevais. Ce n’est que peu à peu que je me suis dit : ce pourrait peut-être faire un livre. En danger de mort, il me restait la poésie, je n’ai pas hésité à l’utiliser, parce que chez moi elle est vitale.

Entrer dans la peau/ Du malade // Comme dans celle d’un/ Personnage //Ni plus ni moins
Invitée surprise est constitué de 2 parties qui certes ne sont pas physiquement marquées, mais que la forme des poèmes montre : aux poèmes brefs du début succèdent les poèmes amples de la fin (manière retrouvée d’un autre de vos livres, Vieux bluesmen ?). Comment pratiquez-vous le poème ?

La forme est venue spontanément. Courte d’abord, guillevicienne, celle de mes premiers livres – que je n’avais pas pratiquée depuis longtemps. Puis à la fin plus ample, whitmanienne, comme dans la trilogie chez Gros Textes : Vieux bluesmen, Un jour d’exercice sur la terre, Nico icône des sixties. Si les poèmes du début du livre sont brefs, c’est qu’ils traduisent la sidération, le souffle coupé, l’énergie qui manque après les chimios. Plus j’ai retrouvé de forces, plus les poèmes se sont allongés, amplifiés.
Le poème, je ne le sollicite pas. J’attends qu’il me visite. Parfois, je le sens pas très loin. Je le laisse venir. Ce qu’il fait ou pas. S’il insiste, sous la forme d’une image, d’une expression, d’un vers, alors je m’y mets. Je cherche un angle d’attaque. Souvent ça commence banalement, puis peu à peu le poème se déploie, décolle. Parfois, l’accroche est forte, on se croirait dans un film américain. Par exemple « J’ai mal au cul » furent ses premiers mots » ou « Je ne suis pas guérisseur de blessures narcissiques ». Mais je ne cherche jamais à provoquer. Ça vient comme ça. Je le prends. Ce n’est qu’un point de départ.

Quelle est votre « conception » du poème ? Qu’est-ce qui, dans le fond, fait la différence avec vos livres de récits ; par exemple avec votre Maryvonne, Jeanine, Berthe et les autres  ?

Je suis toujours étonné de toutes ces définitions que le moindre porte-plume énonce avec un sérieux professoral. Pour moi qui pratique depuis plus de cinquante ans, et si on me pousse vraiment pour obtenir une définition, je dirais : la poésie n’est pas la pose. Ou encore ceci : le poète est une canalisation où passe l’eau de vie de la poésie.
J’écris une poésie qui fuit le « poétique », le « regardez comme je suis poète », « comme c’est beau, inspiré ce que j’écris », autrement dit une poésie qui prend la pose. Ma poésie est directe, parfois crûe. J’ai fait mien depuis longtemps ce mot d’ordre de Victor Hugo : « Plus de mot sénateur plus de mot roturier ». Les mots que j’emploie vont du très soutenu au trivial. De même j’aborde des sujets qui peuvent sembler indignes sinon vulgaires.
Ce qui différencie mes poèmes de mes récits ? Les récits sont des histoires qui racontent des personnages, des milieux sociaux, une époque. Leur forme est primordiale. Un livre doit être en forme. La poésie est plus de l’ordre de l’instantané. On capte, comme une photo le fait, un instant donné. Le récit est un long métrage.

Je ne cherche pas écrire / Sur cette chose //Je vis /J’écris
Revenons à Invitée surprise  : vous ne vous appesantissez pas sur le cheminement de la maladie. Vous ne faites pas le compte-rendu sur votre parcours de soins (comme on dit). Elles sont deux / Une blonde une brune /En mini robes légères // La blouse blanche ouverte // A m’accueillir // L’une est chirurgienne / L’autre oncologue // La cuisse dorée… La vie, dans vos mots, n’est jamais théorique ni conceptuelle ni (si j’ose dire) spirituelle, l’expression de la vie est physique (par ex. c’est l’érection)…

Le monde m’étonne, me surprend toujours. Il m’émerveille. J’essaie de le saisir, d’en récolter « la substantifique moelle », ce qui fait sa beauté, sa force. Je ne suis pas du genre à plaquer sur lui une grille de lecture, qui me viendrait de théories, philosophies, religions. Le monde me parvient d’abord par le corps, les sens, les émotions. Ma poésie cherche à les dire.

Elle en parle bien / La romancière / De son cancer // « Un ternissement » //Physique et mental / Plus d’éclat de luminosité // La voix encore là
Les personnes malades sont souvent réduites à leur maladie. La maladie semble alors leur seul rapport à la société. La maladie n’est-elle qu’un empêchement à être totalement au monde ? Ou une terra incognita qu’il nous faut parfois traverser, la dernière aventure qui nous reste ? Paradoxalement une chance ?

La maladie est une expérience de vie. Comme le voyage ou l’amour par exemple, qui ont été les thèmes de précédents livres. Chacun la vit différemment, j’ai voulu explorer en écrivant ce qui se passait pendant qu’elle était là. Je ne cherche pas à donner des leçons. Certains lecteurs m’ont parlé des résonances que cela provoquait en eux. C’est pour cela que j’écris. Moi-même en tant que lecteur adolescent, je ressentais ces résonances, et je me disais : ce serait formidable si un jour certains pouvaient ressentir des choses analogues à ce que je sens présentement, en me lisant.

Vous « ne pensez pas la mort » ; vous en parlez matériellement : qu’adviendra-t-il « après » de vos manuscrits, etc. Vous ne pratiquez pas la « poésie philosophique ». Quand vous méditez « sur l’humble condition humaine  » c’est en pissant. On dirait même qu’il y a une volonté de ne pas faire « le penseur », sauf quand il s’agit de manier l’humour et l’autodérision. Franchement, avez-vous été vraiment « prof de philo » ?

Il est vrai que je n’ai été prof de philo que pendant 37 ans ! Ayant pratiqué, et toujours à l’heure actuelle par des lectures, je ne cherche pas à « faire » le philosophe. J’espère l’être un peu. Je n’ai pas besoin d’en mettre plein la vue avec un savoir, un vocabulaire, des références. La philosophie m’accompagne, comme la poésie m’accompagne. Avec cette différence que je ne publie pas d’ouvrages de philosophie, je n’en écris même pas. J’avais coutume de dire, en plaisantant, quand j’étais en activité : « Tout mon enseignement est oral, comme Socrate ! » Je n’aime pas la poésie philosophique. J’ai l’idée, simpliste certainement, que la poésie est la poésie, et la philosophie la philosophie. Et que si on veut faire de la philosophie, comme c’est la tentation d’un certain nombre de poètes, on s’en donne les moyens : on lit, on étudie, on met en relation les pensées. Bref, on travaille. La poésie philosophique n’est pas loin pour moi, qui ait beaucoup lu les philosophes, de la philosophie de comptoir. Des vers des poètes authentiques naissent des aperçus philosophiques qui vont au cœur de la condition humaine. Je pense à Bashō par exemple, que je lis en ce moment. Il parle de la lune, du cerisier, de l’averse d’hiver et en les nommant il est au cœur de la vie humaine.

Dans vos poèmes les références « culturelles » (peut-être serait-il plus juste de dire « vos émotions culturelles ») sont « populaires », du côté des chansons de Johnny Hallyday, des Beatles ou des Rolling Stones.

Oui, cette culture populaire m’imprègne. Quand j’ai commencé mes études de philosophie, j’ai cru pendant plusieurs années qu’écouter Johnny Hallyday et lire Kant était incompatible. Ce qui m’a permis d’ailleurs d’approfondir ma connaissance de la musique classique. Puis je me suis rendu compte que c’était une idiotie. Depuis les deux cohabitent. Ce qui en moi donne naissance à l’écriture de poèmes est plus proche de ce qui aime les Beatles que de ce qui lit les philosophes. D’où le fait que je cite dans mes poèmes des chanteurs : Nico et John Lee Hooker par exemple ou Bob Dylan. Dans un long poème inédit je cite Léo Ferré, Serge Gainsbourg, François Deguelt, Claude Nougaro, Bill Haley, Tina Turner, Boby Lapointe, Charles Aznavour, la Compagnie créole, Charles Trenet, Sylvie Vartan, Les Compagnons de la chanson. Mais parce que cela s’inscrivait dans la logique du poème, pas pour revendiquer une culture populaire face à une culture savante. Je cite aussi dans mes poèmes Platon, Kant, Sartre, Nietzsche, Spinoza... Et dans mes articles on trouve de multiples références savantes.

La nostalgie, l’amour « familial », l’amitié reviennent souvent dans vos poèmes : vous citez les prénoms de vos amis : Thierry, Gilles,… et vous parlez d’Apollinaire ou de Cadou comme s’ils étaient vos copains.

Thierry était mon plus jeune frère, mort en 2015. Gilles Pajot, mon meilleur ami, mort en 92. Cadou, je l’ai toujours ressenti comme un frère aîné, non comme un maître. S’il avait vécu, nous serions probablement devenus des amis, comme avec plusieurs de ceux qui furent les siens. Et avec Hélène, sa muse, sa femme, nous avons beaucoup travaillé ensemble dans l’amitié partagée.

Pour finir comme à la radio, un petit conseil musical, un Vieux bluesman, peut-être, pour accompagner / prolonger la lecture de Invitée surprise

Lightnin’ Hopkins. Pourquoi lui ? Peut-être parce qu’il fut le premier. J’avais 12 ans, un voisin plus âgé m’avait prêté un 33 tours de Lightnin ’ Hopkins. J’étais sidéré : j’ignorais qu’une telle musique pouvait exister. C’était déroutant, singulier, ça touchait profond en moi. Le début d’une passion pour le blues.

 
Réponses : Christian Bulting / Questions : Christian Degoutte
Livres de Christian Bulting cités :

  • Invitée surprise (éd Gros Textes)
  • Vieux Bluesmen (éd Gros Textes)
  • Un jour d’exercice sur la terre (éd Gros Textes)
  • Nico icône des sixties (éd Gros Textes)
  • Maryvonne, Jeanine, Berthe et les autres (éd Le Petit Pavé)

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