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Saint-Omer en toutes lettres

mercredi 6 juillet 2016, par Cécile Guivarch

’Quand tout devient précipité d’événements, laissons la rareté nous surprendre. Encourageons l’unique prodige, saluons ce qui, au gré de lentes décantations, apparaît en son temps. Lorsque les poètes peuvent parler à voix haute, assurer les élans et libérer les souffles, comme tout d’un coup avec eux on respire.’ F. Saint-Roch

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Saint-Omer en toutes lettres, comment est née cette association, comment fonctionne-t-elle ?

Saint-Omer en toutes lettres est née officiellement en octobre 2013, et termine donc, ce mois de juin 2016, sa troisième saison. À son origine, divers facteurs, tout aussi déterminants les uns que les autres. La volonté, pour moi, d’ouvrir davantage Saint-Omer et son agglomération à la création littéraire en accueillant en résidence des écrivains bénéficiant d’une reconnaissance nationale ou internationale, et de favoriser un maximum de rencontres de tous ordres (lectures, conférences, ateliers d’écriture, etc.) en touchant tous les publics possibles, de l’écolier à la personne âgée. 20 ans d’exercice dans l’Éducation nationale m’avaient amenée, alors que j’invitais déjà régulièrement des auteurs dans mes classes, à mesurer le prix de la rencontre ; être aussi invitée, en tant qu’écrivain, dans des établissements ou des structures culturelles, m’a permis d’en goûter les plaisirs – et d’observer de près les fonctionnements (les possibilités autant que les limites) des institutions comme des associations… Beaucoup de collègues du secondaire étaient partants – et surtout preneurs de projets « clés en mains », des amis étaient prêts à m’accompagner…
Restait à bâtir un projet, et à en mesurer la recevabilité auprès de nos élus afin d’obtenir des subventions, de bénéficier d’un lieu pour travailler et recevoir les résidents… Si bienveillance et encouragements ont été immédiatement au rendez-vous, il a fallu que l’association « fasse ses preuves » pour que des aides financières substantielles soient soumises à vote et allouées. Après trois saisons bien pleines et bien riches, les feux passent progressivement au vert – et nous bénéficions de conventions qui nous aident et nous délestent de certaines contraintes…
Concrètement, comme dans beaucoup d’associations où le bénévolat est de règle, je suis souvent seule à bord… et consacre trois jours par semaine à absorber quantité de tâches… puisque je m’occupe de la programmation, des contacts et du suivi avec les auteurs invités, de l’organisation de toutes les manifestations, des partenariats, des rencontres, de la communication… des réunions de tous acabits avec les autres acteurs culturels, car nous travaillons souvent de façon croisée. Fédérer des énergies et bénéficier d’une aide réelle n’est pas toujours évident – mais les choses changent, l’association commence à être connue, et les bonnes volontés se manifestent : je devrais, l’automne prochain, avoir une nouvelle secrétaire prête à donner de son temps, ce qui me soulagera beaucoup…

Je crois que vous organisez différentes manifestations tout au long de l’année, peux-tu nous en parler ?

Saint-omer en toutes lettres organise trois grands rendez-vous annuels : le premier en janvier, avec les « 24 heures en poésie », manifestation inédite en France, ouverte et festive, en invitant une grande figure de la poésie contemporaine ; le deuxième, en mars, à l’occasion du Printemps des Poètes, autour d’une problématique choisie en regard de l’actualité littéraire de notre résident ; le troisième, en novembre, avec la résidence « Feuilles d’automne », où l’ensemble des interventions est orienté autour d’une thématique ou d’une pratique abordée par l’auteur invité.
Pour l’instant, par ordre d’arrivée, nous avons reçu : Ariane Dreyfus, Ludovic Degroote, David Dumortier, Lucien Suel, James Sacré, Claude Vercey, Dominique Quélen, toi, Cécile, Ian Monk, et Luce Guilbaud. Pour la saison 2016/2017, nous attendons Alain Freixe, Yves-Jacques Bouin et Sylvie Durbec… et nos rendez-vous sont pris pour 2017/2018…
Par ailleurs, ces temps forts dans notre programmation sont toujours précédés ou suivis soit d’expositions, de workshops et ou de conférences pour tous les publics. Nous avons la chance d’avoir un partenariat fort avec la médiathèque d’agglomération, qui accueille et partage tous nous projets… De façon plus ludique, et plus interactive, nous organisons aussi, à raison de quatre fois par an, des « Petites cuisines littéraires » - un laboratoire très convivial où l’on écrit et cuisine tout ensemble, et qui réunit des amateurs de tous âges : ce sont des moments souvent très joyeux et très savoureux…

Il y a la volonté très forte de faire circuler la poésie dans le milieu scolaire, je trouve cela formidable, mais qu’est-ce qui vous motive dans ce choix ?

Lorsque j’enseignais, susciter des « déclics » faisait partie de mes défis. Mettre les élèves au travail, et leur en donner le goût : une vraie gageure, parfois, lorsqu’on évolue dans un lycée technologique où la littérature, clairement, n’est pas une préoccupation première… Je commençais toujours mon année par la « séquence » consacrée à la poésie : Rimbaud, Ponge, Char, Michaux, et des poètes vivants : Jacottet, Dupin, Bonnefoy, Noël, Emaz… Du bien pur et bien dur – au cœur de la difficulté, et de l’acte pédagogique. Les élèves, certains souvent méfiants au départ, ou même franchement récalcitrants, baissaient progressivement la garde, se laissaient aller à s’émerveiller. La curiosité et le plaisir étaient nés, ils étaient prêts à en recevoir une autre récompense : la rencontre avec un poète vivant… Deux heures avec un auteur dont ils avaient lu les textes et mesuré la singularité, et avec lequel ils avaient envie d’échanger, et qui venait pour eux. Il faut aussi dire que les poètes, du moins ceux que j’ai la chance de connaître, sont des êtres généreux, qui répondent « présent » aux invitations et sollicitations, et qui œuvrent à la diffusion de leurs textes ; des hommes et des femmes qui sont prêts à donner le meilleur d’eux-mêmes aux jeunes, et se placent au plus haut de la rencontre…
Par ailleurs, les enseignants sont particulièrement intéressés par la rencontre de poètes « vivants », la poésie leur paraît un biais stimulant et accessible pour mettre leurs élèves à l’écriture. Les expériences menées en classe sont souvent fructueuses – l’imaginaire se déploie, la main se délie, et des élèves qui ont parfois de faibles résultats s’enchantent de ces créations pour lesquels ils ne seront ni évalués, ni sanctionnés.

Il y a aussi les ateliers d’écriture, les rencontres en bibliothèque, etc. Qu’est-ce qui fait que les gens s’y intéressent selon toi ?

J’essaie de faire prévaloir cette idée que la poésie est un espace de liberté – un univers auquel, d’une manière ou d’une autre, on peut toujours accéder, et dans lequel on peut circuler… Tu utilises, à bon escient, ce mot « intéresser » - le mot est tout sauf faible : être intéressé, étymologiquement, c’est le fait d’être, d’exister entre, ou parmi. Les amateurs de poésie, ici, sont en demande de « présence » : soit de façon directe, pendant le temps de la résidence, où les poètes animent des ateliers d’écriture, de mise en voix, ou des tables rondes, tout simplement… Lors des 24 heures en poésie, nous organisons un atelier d’écriture au format gigantesque : de 22 heures à 7 heures le matin, soit neuf heures de vie partagées… Et il s’en passe, s’en écrit et s’en dit, des choses, en neuf heures passées ensemble… Nos amateurs ont aussi envie de connaître et de comprendre : pour ce faire, la poésie est aussi au cœur de rendez-vous bimensuels, les « Petites conférences en poésie », qui sont organisées à la BASO, et pour lesquels se retrouvent fidèles et occasionnels, curieux d’appréhender la poésie soit à travers une problématique ou une thématique choisie…

Des poètes sont invités, en petite résidence, quelques jours, comment les choisissez-vous ?

En fait, mes collègues de l’association ne participent pas au choix, il n’est soumis ni à vote, ni à consultation. J’ai carte blanche complète… Il s’agit toujours d’auteurs dont j’aime les textes et dont j’apprécie les qualités humaines par ailleurs : ce pourquoi je rencontre toujours nos résidents potentiels avant de les inviter. Même si les résidences ne durent qu’une semaine environ, reste que l’auteur et moi sommes toujours ensemble, je l’accompagne lors des diverses rencontres, lui apporte de l’aide pendant les ateliers qu’il anime, joue le rôle de modérateur lors des discussions… Le soir, nous mangeons souvent chez moi, avec mon mari et mes enfants… C’est une relation très forte qui se noue avec les invités lors de cette semaine – et qui se poursuit et se prolonge, de diverses manières, bien au-delà…

Pour avoir été à Saint-Omer en novembre 2015, l’accueil a été très chaleureux, les personnes rencontrées formidables, je crois que toi Florence, tu y mets beaucoup du tien. Comment t’y prends-tu pour préparer la venue d’un auteur ?

Je consacre beaucoup de temps à la préparation, car je tiens à ce que chacun des « acteurs » de ces rencontres soit bien « au rendez-vous »… Rien de déprimant comme d’inviter un auteur et de le voir se dépatouiller, par exemple, face à des élèves qui n’ont pas lu un seul de ses textes avant son arrivée… Et puis, j’ai beaucoup de chance, ici, à Saint-Omer. Si nous n’avons toujours pas de lieu à nous pour travailler, en revanche, beaucoup de portes s’ouvrent : celles de la médiathèque, surtout, dont la responsable, Françoise, accompagne tous nos projets, à un point que chaque résidence est ponctuée de deux activités incontournables : un atelier d’écriture tout public et une lecture publique dans la salle patrimoine de cette belle médiathèque… L’Ecole d’Art, le Conservatoire, les Musées sont aussi très demandeurs de partenariats… Quant aux établissements scolaires de l’Agglomération (qui regroupe 26 communes sur un territoire assez étendu), ils comptent des enseignants généralement enthousiastes ; je demande toujours aux auteurs s’ils sont prêts à travailler avec tous types de niveaux ; parfois, certaines approches ou certaines thématiques sont plus adaptées soit au primaire, soit au lycée ou au collège ; dans ce cas, nous choisissons un niveau précis, afin que la rencontre soit bien ciblée et la plus enrichissante possible...

En janvier, je crois, il y a eu les 24 heures en poésie, c’est à dire, 24 heures de poésie non stop, un événement exceptionnel, peux-tu nous en parler ?

Ces « 24 heures en poésie », c’est pour nous, fin janvier, un moment de folie… La première difficulté est de trouver la perle rare qui sera prête à relever le défi de 24 heures d’activités, ateliers, rencontres, conférences, lectures, spectacles, en continu… Pour parler vrai, nous ménageons une pause à notre invité (histoire que l’organisatrice puisse elle aussi se reposer un peu) : pour tenir la distance, et surtout le temps, nous co-animons l’atelier de nuit, et dormons chacun deux heures, ce qui n’est vraiment pas du luxe… Les participants, eux, peuvent s’inscrire aux diverses activités de leur choix et participer par tranches de deux à trois heures (ou plus). En moyenne, ces « 24 heures », toutes activités confondues, touchent entre 120 et 150 personnes… Pour un événement qui se tient l’hiver, ce n’est pas si mal… Pour les deux premières éditions, sept ou huit personnes ont joué le jeu du fil continu… L’atelier de nuit est le vrai défi, dans ces 24 heures : nous le souhaitons varié, en mouvement, ludique et réjouissant… Il se déroule dans une très belle bâtisse au milieu d’un magnifique parc ; pas question de s’endormir sur nos chaises, ou de rester immobiles… Nous bougeons, marchons, jouons, chantons, sortons si la météo le permet. Pendant la journée, les « 24 heures » se déplacent : les conférences ont lieu dans le Musée de la ville, la lecture et la restitution à la médiathèque. Depuis cette année, un vidéaste suit les activités, et construit un document projeté lors de la restitution : pour lui aussi, filmer, monter, travailler la bande-son, relève du pari impossible – mais il l’a tenu !

Quel est ton meilleur souvenir de résidence ?

Question très difficile… Chaque résidence a sa couleur et sa saveur particulière, en fonction de la personnalité de notre invité – de la nature et du déroulement des activités. Les moments de grâce, comme les dérapages (puisque parfois aussi, il y a des surprises et des dératés…) restent gravés. Par exemple (et j’anticipe sur la question 8 pour laquelle je pourrais répondre par un roman), Claude Vercey, au Printemps 2015, a connu, à quelques heures d’intervalle, la merveille et le cauchemar : une petite fille, dans une classe, lui a demandé à la fin de la séance s’il pouvait relire un poème qu’elle venait de découvrir et qu’elle avait beaucoup aimé– et dans sa demande naïve, elle lui a en fait récité par cœur, et de tout son cœur… Deux heures plus tard, Claude, suite à une mauvaise coordination au niveau des services techniques de la ville, s’est trouvé enfermé dans la Motte castrale, notre lieu de résidence, sans plus pouvoir ouvrir la porte principale… Il était prisonnier, et sachant que cette motte était un lieu de garnison et, jadis aussi, une geôle, je vous laisse imaginer la hauteur et l’épaisseur des murs…. Le système de sécurité avait été enclenché, et devant tant de résistance (et faute d’avoir un téléphone portable opérationnel), Claude n’a eu d’autre ressort que de s’échapper des lieux en « faisant le mur » - Par chance, notre poète était aussi un gymnaste émérite… et au prix d’empilements de tables, de chaises, et de véritables prouesses d’escalade et d’équilibre, il a pu sortir indemne de ce qu’il appelle désormais « le château-prison », et qu’il n’est près d’oublier, je crois… même s’il en rit de bon cœur…

Y-a-t-il une petite anecdote que tu pourrais confier à Terre à Ciel sur chacun des auteurs invités ?

Cf. question précédente… Pas tant des anecdotes que des moments uniques – lors des rencontres et des ateliers, bien sûr, avec les participants souvent fous de joie… David Dumortier acclamé dans des écoles du primaire, où les élèves avaient confectionné une banderole de bienvenue, et ne voulaient pas le laisser partir… De très bons moments aussi dans « les coulisses », lors de tous ces moments de vie que j’ai la chance de partager avec nos invités : travailler à la même table qu’Ariane Dreyfus, dans un silence concentré et magnifique… Prendre une averse monumentale avec Ian Monk sans pouvoir trouver de lieu où s’abriter, et se retrouver, en à peine une minute, trempés comme des soupes, « à l’Anglaise »… Faire découvrir à Luce Guilbaud le marais audomarois, et nous émerveiller ensemble de la couleur des joncs… Ecouter médusée James Sacré qui parle avec mon jeune fils de la faïence provençale, recevoir en cadeau de Lucien Suel 5 poèmes express qu’il a réalisés pour chacun des membres de ma famille, en fonction des personnalités respectives… T’entendre toi, Cécile, pousser ta voix jusqu’au cri lors d’une lecture juste après les attentats de novembre… Rire avec Dominique Quélen lors d’une « petite cuisine littéraire »… La liste est longue…

Que doit apporter selon toi, un auteur invité à Saint-Omer ?

Que surtout nos invités viennent tels qu’ils sont, avec leur désir de partager et de communiquer ce qui fait la spécificité de leur pratique poétique. Qu’ils montrent combien la poésie est force de vie et d’enchantement…

Et à toi, qu’est-ce que cela t’apporte d’organiser ces événements ?

Sans doute je n’y consacrerais pas autant d’énergie et de temps, si chaque rencontre n’était pas, à chaque fois, une immense source de joie. De vraies rencontres, nourrissantes et éclairantes, des moments privilégiés – de belles amitiés qui se nouent ou se confirment, des fidélités qui s’instaurent. Autant dire que je ne suis pas près de m’arrêter !!!


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