FSR : La question qui lance l’entretien, immanquablement, nous porte aux origines : pouvez-vous, cher Jean-Michel, nous dire quels ont été les éléments ou les événements qui ont suscité la création des éditions louise bottu ?
JMM : Les éditions louise bottu sont apparues en 2013, leur activité commence avec la publication de quatre textes de Jean-Louis Bailly, Antoine Brea, Albin Bis et Lucien Suel. Auparavant, j’avais collaboré un temps à une maison d’édition de type associatif, « Distance ». Cette structure, dont le nom, « Distance », donné par Frédéric Schiffter, tenait à marquer l’écart entre les textes publiés et le tourbillon du réel, de l’actualité, avait vocation à remettre au goût du jour des stylistes du passé, mais des écrivains contemporains figuraient au catalogue (Frédéric Schiffter, Matthieu Terence, Roland Jaccard, Clément Rosset, Esnaola…). Puis Frédéric Schiffter suivant son chemin d’essayiste et de romancier (PUF, Flammarion, Le Cherche-midi…), moi-même m’en étant éloigné, « Distance » fut mise en sommeil. En 2013, Louise Bottu apparaît, nous sommes deux, rejoints plus tard par des proches qui travaillent à la lecture et la correction des manuscrits (actuellement, Louise Bottu en reçoit environ une dizaine par semaine) ainsi qu’à la diffusion et à la distribution.
Louise Bottu est un personnage récurrent dans l’œuvre de Robert Pinget, un auteur un peu oublié de la seconde moitié du XXème siècle, assimilé au mouvement littéraire « nouveau roman ».
Louise Bottu figure une poétesse. Dans Monsieur Songe, par exemple (Minuit 1983), Monsieur Songe rencontre par hasard cette créature boiteuse et tremblotante qui retrouve son sourire de petite fille dès qu’elle évoque le recueil de poésie qu’elle va publier. C’est un personnage fragile mais obstiné, ce qui me paraissait approprié pour une maison d’édition modeste mais tenace, ayant vocation à publier de la prose imprégnée d’un esprit poétique. Mon souhait de ne publier que de la poésie sous une forme ou sous une autre (poèmes, fragments, aphorismes, textes courts mais aussi nouvelles et romans, Louise Bottu ne distingue pas formellement les genres) est presque réalisé avec au catalogue des textes de Bruno Fern, Claude Minière, Antoine Brea, Alain Frontier, Dominique Quélen, Pascale Petit, Corinne Lovera Vitali, Édith Msika, Alexander Dickow, Mary Heuze-Bern, etc., … et Florence Saint-Roch, textes qui tournent autour des mots et d’un mystère qui toujours se dérobe, dont l’absence est perceptible dans les mots eux-mêmes.
FSR : Comment sont conçues et s’organisent les collections de la maison ?
JMM : louise bottu propose quatre collections : « Ivoire », d’abord, qui se réfère à la couleur du papier à l’origine, où sont publiés des auteurs contemporains. Il s’agit de romans, de nouvelles, de fragments, de textes à contrainte aussi, choisis pour leur musique, leur rythme, leur composition, plus que par le thème qu’ils abordent Puis vient la collection « Contraintes », qui publie des auteurs contemporains écrivant sous contrainte, et qui est née peu après la publication de Un divertissement, roman de Jean-Louis Bailly, pataphysicien, qui avait dans ses tiroirs une réécriture de « La Chanson du mal aimé », d’Apollinaire, un lipogramme en E, à la façon de La Disparition de Perec, ce fut le premier titre de la collection. La troisième collection, « Inactuels/Intempestifs », est consacrée à des textes d’auteurs non contemporains, Nietzsche, Valéry, Bernanos, Eckhart, du Bellay, Swift, Orwell… dont les écrits trouvent un écho à toute époque, la nôtre y compris (trois textes de la collections sont l’œuvre de contemporains). La dernière collection, Alcahuète, est dédiée à la critique littéraire, un seul titre pour l’instant, qui s’intitule, clin d’œil à Boris Vian, En avant la chronique !, il s’agit d’un recueil de recensions de Philippe Chauché pour La Cause littéraire, suivies de réflexions de quelques auteurs sur la critique littéraire.
FSR : Quel est, grosso modo, votre tempo éditorial, et comment accompagnez-vous les publications ?
Les éditions louise bottu publient 5 ou 6 livres par an (ce format garantit une forme de liberté), qui bien sûr requièrent un accompagnement en librairie, sur les réseaux sociaux, et lors de salons et autres manifestations en libraries à Dax, Mont-de-Marsan, Bordeaux, Paris, Toulouse, Marseille, etc. Nous distribuons nos livres, à Mont-de-Marsan, Bayonne, Bordeaux, Toulouse, Montpellier, Strasbourg, Marseille, Paris, Lyon, etc., et tous nos livres sont commandables dans les librairies où ils ne sont pas présents physiquement.
Les parutions récentes n’apparaissent pas dans la rubrique « Nouveautés » du site louisebottu.com. Nous nous contentons d’yexprimer nos réserves sur ce terme, essentiellement commercial, et qui sous-entend « invention » et « progrès », or je ne crois pas au progrès. Rien de nouveau sous le soleil. Tout a déjà été dit et écrit (« le passé a la vie dure, il ne passe jamais »), et le temps du livre est un temps étale, à égale distance, toujours, de nous-mêmes. Pour nous, une nouveauté ne chasse pas la précédente et nous tenons à ce que Louise Bottu reste une petite maison d’édition de fond, tous les textes étant constamment disponibles. Tout a été dit, on ne peut que le redire sous une autre forme, ou le répéter (notre collection « Inactuels/Intempestifs » s’y emploie).
Après réception et acceptation du manuscrit, les choses mûrissent, il y a des allers-retours entre correcteur et auteur, puis le livre prend forme, cela peut prendre entre quelques mois et un an avant parution. Il y parfois des surprises, c’est pourquoi nous gardons toujours une forme de latitude dans l’organisation du calendrier, pour pouvoir publier rapidement un texte qui nous plaît particulièrement. Mais grosso modo nous fonctionnons comme ça.
« On a voulu faire pour le mieux, on a fini par faire comme d’habitude » , disait un premier ministre russe
FSR : Quel sera le prochain titre publié chez louise bottu ?
Il s’agit d’un recueil d’articles de Clément Rosset publié jadis par « Distance », et qui va trouver une deuxième vie chez louise bottu, d’autres titres suivront.
FSR : La question attendue de nos lecteurs, à la recherche, parfois, d’un éditeur : qu’est-ce qui fonde votre choix ?
JMM : J’aime être surpris. Surtout par la forme, le style, la composition. J’aime être touché, touché comme une cible. Lorsque je reçois un manuscrit, je suis son lecteur premier. J’aime qu’un texte m’étonne, me révèle à moi-même en quelque sorte, pour le meilleur et pour le pire, dans le vide un instant. Peut-être que le lecteur fera une semblable expérience, découvrira l’insoupçonné en lui, et que la lecture lui plaise ou pas, sera accroché. Dans le meilleur des cas.