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Editions des Lisières

samedi 15 juillet 2017, par Roselyne Sibille

Mini-entretien avec Maud Leroy, éditions des Lisières par Roselyne Sibille

Comment est née votre maison d’édition ?

C’est un peu long mais j’aime bien raconter cette histoire… Un soir de 2013 - j’étais libraire depuis huit ans et parallèlement avec une amie nous avions développé les éditions du Bon Pied, micro-édition en campagne depuis 2009 - en rentrant du travail, je me dis que j’aimerais bien créer une maison d’édition qui s’appellerait les Lisières. Il y avait dans ce mot à la fois la nature et la marge, du sensible et de la rencontre en perspective.

En rentrant chez moi, je m’amuse à imaginer un logo et puis je vais me coucher. Ce soir-là j’ai pris deux livres parmi la quinzaine sur ma table de chevet. Le Dictionnaire symbolique des rêves parce que j’avais rêvé de la mort d’un ami la nuit précédente et le petit article disait « C’est sur cette lisière que se tiennent rêveuses et rêveurs en quête d’une insaisissable vérité... ». Puis Trois verres de thé d’Ahmed Kalouaz et dès les premières lignes : « Ici, le froid souvent pose ses collets à l’affût aux lisières des forêts... ». Je m’endormis en me disant que c’était de bon augure.

Le lendemain à la librairie, une recherche par téléphone au sujet du Cantique des oiseaux, un vieux texte persan, m’amena sur le site de la librairie Les Lisières à Roubaix.

Dès lors, l’idée ne m’a plus quittée. J’ai arrêté la librairie en 2015, repris des études et c’est parti ! Il faut dire aussi que j’avais déjà la matière des trois premiers livres (tous en adéquation avec cet esprit des Lisières) grâce aux auteurs (Laetitia Gaudefroy-Colombot, Alain Nouvel et Patrick Blanche qui a co-traduit Jours d’errance) rencontrés par le biais du Bon Pied.

Quelles sont ses particularités ?

Au niveau de la forme, la particularité est sans doute que les couvertures sont actuellement réalisées aux plombs mobiles et avec une linogravure originale grâce à l’aide de Pierre Mréjen, des éditions Harpo &. J’essaie de faire le livre avec soin et attention aux papiers, à laisser aussi beaucoup de respiration et de silence dans la maquette.
Au niveau du fond, j’essaie de défendre des voix singulières, comme tout le monde je pense… et diverses aussi, c’est sans doute pourquoi il y a déjà plusieurs auteurs étrangers dans le petit catalogue des Lisières.

Quelle idée de l’écriture défendez-vous ?

Je ne sais pas si je défends une idée particulière de l’écriture. Personnellement je ne peux vivre sans, ou en tous cas ce serait extrêmement difficile et je veux dire « sans » celle des autres, car pour ma part, j’écris peu. L’écriture est un medium, c’est un formidable moyen de rencontrer l’autre et de se rencontrer soi, de se connaître et de se reconnaître en tant qu’humain, de grandir. C’est aussi ce qui nous relie au monde, au cosmos, j’aime particulièrement la poésie des « techniciens du sacré » (Jérôme Rothenberg), poésie plutôt orale, mais j’ai tendance à rechercher cette simplicité et cette profondeur dans la poésie contemporaine.
Je n’ai pas d’exigence stylistique particulière. Si j’aime le dense dans les formes littéraires longues, je préfère généralement le dépouillé, le substantiel en poésie, mais ce qui m’importe surtout c’est de sentir de la sincérité, de l’authenticité dans l’écriture, sentir que l’auteur a su se défaire du normatif, de la mode et du paraître pour trouver sa propre langue, répondre à sa propre quête. J’aime sentir le rythme de l’auteur, sa pulsation. Le fond m’importe autant, si ce n’est plus, que la forme car j’ai besoin de me sentir nourrie par l’écriture.

Avez-vous plusieurs collections ?

Il y a actuellement 4 collections :

Aphyllante qui met en avant des écritures sensibles en quête de simplicité et d’harmonie avec le monde. En font partie, Gardienne en terre sauvage de Laetitia Gaudefroy-Colombot, travail d’une peintre-poète-bergère et Jours d’errance – 109 haïkus de Seigetsu, recueil bilingue de haïkus d’un poète errant du XIXeme siècle traduit pour la première fois.

Coléoptère qui propose des textes singuliers dans des formes plus longues comme la nouvelle par exemple. Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest d’Alain Nouvel en est le premier titre.

Pinson des arbres, collection de contes et textes plus enfantins. Verte et les oiseaux, premier conte traduit en français de Pinar Selek, sociologue, écrivaine et militante turque exilée en France, en est le premier titre.

Et la collection Hêtraie (voix poétiques féminines bilingues) qui sera inaugurée en juillet avec Brouillons amoureux de Souad Labbize en français-arabe et Terres de femmes / Terre di donne – 12 poètes corses sous la coordination d’Angèle Paoli.

Comment choisissez-vous les textes que vous publiez ?

A la première lecture, le texte doit me plaire et être en adéquation avec l’esprit des Lisières.

Quel est votre meilleur souvenir d’édition ?

La maison est jeune, les trois premiers titres sont sortis en novembre 2016, mais mon plus beau souvenir date de l’année dernière, le 21 mai 2016, quand j’ai rencontré, grâce à une amie, Pinar Selek aux plateau des Glières et que je lui ai proposé d’éditer un de ces contes. En fait, je rêvais de travailler avec elle depuis la lecture de son petit livre, Loin de chez moi... mais jusqu’où ? (éd. Ixe), dans lequel elle parle de sa vie et de son expérience de l’exil. J’ai lu ce livre en 2014 à une période particulière de ma vie et il a été important pour moi. C’est aussi à cette période qu’a germé le projet des Lisières. Du coup, quand une semaine après notre rencontre, elle m’a dit oui, c’était un peu comme un conte de fée. Et Verte et les oiseaux collait parfaitement avec l’esprit des Lisières.
Et aussi jusqu’à présent, le travail avec les auteurs a été à chaque fois un grand plaisir, quelque chose de très enrichissant. Ce sont donc de très bons souvenirs.

Des projets, des publications à venir ?

Après les deux sorties de l’été (collection Hêtraie), il y en aura une à l’automne, un recueil de haïkus de Jean Féron dans la collection Aphyllante, puis cet hiver sans doute une nouvelle collection avec un recueil de témoignages sur les luttes paysannes entre 1960 et 1990. Cela va peut-être paraître étrange à certaines personnes mais je trouve ça très cohérent ! Je ne sais pas encore si la collection s’articulera autour des mémoires orales ou autour des luttes.

Je dis souvent que les Lisières publient des voie/x poétiques (même s’il n’y a pas que de la poésie au catalogue) car la poésie va au-delà du poème, c’est une façon d’habiter le monde, d’orienter sa vie et ça peut s’exprimer de façons très différentes. Andrée Chedid disait « Les habiles, les jongleurs de mots sont plus éloignés de la poésie que cet homme qui - sans parole aucune - se défait de sa journée, le regard levé vers un arbre, ou le cœur attentif à la voix d’un ami. » J’aime beaucoup Andrée Chedid.

Il y aura également dans les mois qui viennent un troisième titre pour la collection Hêtraie, un recueil d’une poète irakienne, Aya Mansour, traduit par Souad Labbize. C’est un témoignage poétique très fort sur ce que vit actuellement son pays, un témoignage de guerre bouleversant par une jeune femme de 24 ans.

Il y a de la liberté à vivre dans ces lieux imprévisibles, à l’ombre d’une montagne ou bien très haut sous les étoiles, ou blotti entre deux rochers, il y a de la liberté à être dans ces lieux où ce qui civilise est ténu, chimérique, improbable, dans de hautes vallées loin de tout et qui se ferment aux premières neiges de l’automne. Ce sont peut-être les seuls lieux libres et forts, où poussent des humanités capricieuses, hybrides, solitaires, parfois inquiétantes. À mon avis, ce sont ces libertés-là que Giono a décrites à travers les passions, les caractères de ses personnages. Vivant à la lisière, à l’orée, près du ciel ou de l’eau, loin des intrigues basses des cités, en contact avec ce que la nature trame, autour d’eux ou en eux. Des « déserteurs » ayant choisi de n’être rien du point de vue social, afin d’aller à l’essentiel de leur humanité. Henri Bosco dans Malicroix, ou le Ramuz de Derborence ont su parler aussi de ça. Giono dans L’Iris de Suse a montré ces individus – comme l’étrange et fascinant Casagrande dans sa Maison Grande, un dédale à son image – allant au bout de leurs chimères, dans des demeures qui sont aussi des labyrinthes intérieurs. Les vrais événements n’ont pas lieu sur les grandes scènes des hommes, mais dans le théâtre secret du monde, et singulièrement dans celui de ces consciences seules qui ont choisi de s’isoler pour se connaître et s’accomplir.

Alain Nouvel - Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest - 2016

À l’ombre d’un pin japonais
jour timide
soleil distrait
une estampe en mouvement

souffle léger du vent
sol humide
la veille la pluie a lavé la lumière
la roche s’effrite sous mes pas

le buis devenu rouge
nappe la cime aux arbres nus
les cades blanchissent
dans le ravin en crue

je suis, j’épie
assise sur une pierre

_________________________________Je contemple la montagne
_________________________________oisiveté nourrissante
_________________________________regarder pousser une plante
_________________________________labeur du fainéant

Laetitia Gaudefroy-Colombot - Gardienne en terre sauvage - 2016

Jours d’errance, 109 haïkus de Seigetsu - 2016

L’histoire de Verte est une histoire du ciel.

Les pigeons la racontent aux flamants roses, les aigles aux cigognes, les grues aux tourterelles, les oies aux cygnes…
Les oiseaux qui ne volent pas la connaissent aussi.
Les poules, les dindes, les autruches parlent tout le temps de Verte et de sa grand-mère.
Gardez bien ceci en tête ? : même si certains n’y croient pas, les histoires du ciel sont des histoires vraies.

Écoutez…

Pinar Selek - Verte et les oiseaux - 2017

Souad Labbize - Brouillons amoureux - 2017

Terres de femmes / Terre di donne - 12 poètes corses sous la coordination d’Angèle Paoli, 2017

Depuis les micro-régions de Corse, des voix de femmes traversent les terres poétiques insulaires. Portée par un lyrisme empreint de nostalgie, la mémoire explore toute la palette de l’intime. Paroxysme et incandescence des sentiments occupent tout l’espace dans la composition des poèmes de ce nouveau recueil. Angèle Paoli

Les auteures :

Marianghjula Antonetti-Orsoni, Marianne Costa, Patrizia Gattaceca, Annette Luciani, Danièle Maoudj, Catherine Medori, Anne Marguerite Milleliri, Angèle Paoli, Isabelle Pellegrini-Alentour, Hélène Sanguinetti, Lucia Santucci, Marie-Ange Sebasti


Lien vers le site des éditions : http://editionsdeslisieres.com/

(Page établie avec la complicité de Roselyne Sibille)


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1 Message

  • Editions des Lisières Le 17 juillet 2017 à 08:53, par Nouvel

    Bravo pour ce texte qui met bien les Lisières en perspective. Le seul bémol, c’est cette notion de « collection » qui est très à la mode mais qui pose autant de problèmes qu’elle ne semble en résoudre. Comment mettre en collection des textes si divers ? Mais tu résous bien le problème en posant des « contraintes » formelles.

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