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Entretien avec Jean-Marc Bourg, des Editions Faï Fioc

lundi 20 octobre 2014, par Cécile Guivarch

Faï fioc est une toute jeune maison d’édition. Comment l’idée de la créer est venue, en particulier dans un contexte assez difficile pour l’édition ?

Je ne connaissais pas ce contexte. Je n’en ai d’ailleurs toujours aucune idée. Je ne connaissais rien non plus à l’édition : fabrication d’un livre, mise en page, impression, choix de papiers, coûts. Rien de la diffusion. Rien des contrats d’auteur, rien des relations aux libraires. Rien des ISBN, rien des numéros de SIRET et des codes APE. Rien du dépôt légal et rien du service de presse. J’étais ignorant de tout. Éditer se limitait pour moi, assez naïvement, à vouloir faire connaître des œuvres qui me touchaient ; ou plutôt, car je ne suis pas non plus très au fait de ce qui s’écrit, partir à la découverte d’œuvres qui me toucheraient pour les faire connaître. Mon seul atout était ma curiosité, et la sensation de ne pas être en pays inconnu lorsque, dans l’exercice de mon métier d’acteur, j’allais voir du côté de la poésie d’aujourd’hui. Et c’est cette fréquentation occasionnelle de textes poétiques, mais qui prenait de plus en plus d’importance, et celle d’amis poètes (Prigent, Glück, Manon, Checchetto…) qui sans doute m’a permis d’imaginer ouvrir une maisonnette d’édition. Acteur, j’ai compris au fil des ans que certaines langues poétiques me nourrissaient davantage que l’écriture dramatique, souvent conservatrice. Jouer pendant dix ans Une phrase pour ma mère, de Christian Prigent, m’a sans doute plus appris du théâtre et de l’acteur que la formation que j’avais reçue, ou que les assez nombreuses mises en scène que j’ai pu réaliser. Je prenais peu à peu conscience non seulement que la poésie est nécessaire au théâtre (qui pourtant s’en fout un peu), mais surtout qu’elle est nécessaire pour comprendre ce qui nous anime, ce qui nous fait tenir, vaille que vaille, au fil de nos jours. Editer n’est que la suite du geste inauguré par l’acteur il y a quelques années. Et de même qu’acteur j’essaie de me placer en interprète et non en créateur, je voudrais tenir dans la « chaîne du livre », comme on dit (drôle d’expression), un rôle comparable de passeur. L’éditeur que je voudrais être n’a pas je l’espère le désir inavoué de se substituer à l’écrivain. De dire « mes livres », et de vouloir signer son édition comme on signe une œuvre. Même si choisir d’éditer un manuscrit oblige à une certaine prétention : il faut bien pour cela en refuser d’autres (mais de quel droit, au nom de quelle autorité ?).

Tu as donc le sentiment de prolonger ton travail de passeur en devenant éditeur ?

Oui, c’est un peu la même chose. Il y a un double mouvement. D’abord une plongée dans une langue : je lis/j’absorbe ; puis une reddition (comme lorsqu’on rend des comptes) vers les autres : je dis/je joue/j’édite. Ce que je reçois, ce qu’on me donne, je me dois (c’est le but qu’on se fixe quand on décide d’être interprète) de le rendre, de le restituer. Tout mon travail, depuis trente ans, se fonde sur ce principe. Je ne reçois pas pour capitaliser, pour enfermer dans mon coffre-fort personnel ; la littérature tout entière n’est qu’une grande course de relai, où l’on se passe, pour le temps et la distance qui nous sont impartis, le témoin.
Avec ma compagnie théâtrale je passais commande à des écrivains dramaturges. Il semble qu’accompagner de mon mieux la naissance d’une écriture ait toujours été un moteur, une raison d’être, je ne sais pourquoi.

T’es-tu fixé une ligne éditoriale ? Et comment travailles-tu ? Avec un comité ?

Il est trop tôt pour le dire. En tout cas, aucun axe programmatique n’est par moi souhaité. Je me sens, est-ce un atout, une faiblesse ? trop ignorant de ce qui s’écrit pour avoir la prétention de définir une ligne. Je laisse venir, avec mes goûts et mes dégoûts, je ne peux dire mieux. Un travail de dilettante, en quelque sorte. Du coup je suis encore dans la période où je n’essaie pas de travailler et encore moins d’avoir une méthode ; je remplis les tâches qui surgissent, j’y fais face, avec retard souvent, car mon métier de comédien est prenant et que je ne suis pas très organisé. Pour ce qui est des textes, il m’en arrive peu pour le moment, car personne ne me connaît, ne connaît Faï fioc. Mais même ce peu, il me faut faire un effort pour l’assumer, lire et répondre. Je n’ai pas encore pris le pli, il me faut me forcer, mais plus pour très longtemps, sans doute. Les textes que je lis, je les fais circuler dans un petit cercle d’amis très proches, pas tous écrivains. Les uns trouvent le temps de lire, les autres non, cela dépend des moments, et les avis divergent, forcément. Cela ne m’aide pas à choisir, cela m’aide à réfléchir.
Pourtant, affirmer une absence de ligne est sans doute un peu facile, parce que disant qu’il y a des textes qui ne me touchent pas, ou que je n’aime pas, j’essaie forcément de savoir à quoi tient ce qui me touche : mais voilà, je n’ai pas encore envie de m’apporter la réponse.

Tu as fait le choix de proposer deux livres de poésie et un livre d’artiste. Pourquoi ce choix ? Est-ce un rythme que tu souhaites adopter ?

J’ai pensé devenir éditeur pour favoriser, du mieux que je pouvais, la lecture de la poésie d’aujourd’hui. Or, les livres coûtent cher, bien trop cher. Pour découvrir une œuvre, on ne se risque plus à acheter. Au mieux, on feuillète en librairie, ou on emprunte. Je voulais des livres pas chers, pratiques, d’un format littéralement de poche. Ce qui est rarement le cas en poésie. Les livres souvent sont de grand format, et précieux d’apparence. On ne les approche qu’avec respect. Je souhaitais des objets plus simples, plutôt joyeux de couleur, bon marché (8€ pour un 64 pages) et pratiques (12x17,5). J’ai donc dû choisir du papier pas trop cher, tout en tentant de préserver l’élégance et le toucher ; choisir un graphisme sobre (merci à Franck Doyen, sans qui cela n’existerait pas), la lisibilité, la clarté, étant pour moi vertus cardinales ; enfin mettre sur pied (essayer) une économie qui tienne debout. D’où la tentative du livre d’artiste. Je m’explique : J’aime les beaux livres, mais ils ne sont pas le but que je poursuis. Ce sont des objets de luxe, des œuvres d’art, et très normalement, ils se vendent cher, très cher. Le but est donc de tenter de constituer un cercle d’amateurs de ce genre d’objet d’art, et que le bénéfice des ventes vienne rendre possible la fabrication et la diffusion des autres, plus modestes. Est-ce une utopie ? On verra.
Ce qui est sûr cependant, c’est que travailler à la fabrication d’un livre peint, c’est-à-dire tout d’abord, rendre possible le beau et généreux dialogue entre un grand peintre et un grand poète, avoir le plaisir de travailler avec eux deux, mais aussi se pencher sur le choix du papier, sur la maquette de l’ensemble, sur la typographie (merci Jacques Brémond), sur l’étui même, et le choix de la toile, fut un immense plaisir. J’ai entre mes mains au bout du compte quelque chose d’inestimable, le fruit d’une envie commune, et du travail bien fait. Réaliser ce livre a aussi été un pas important dans mon apprentissage d’éditeur.

Peux-tu nous parler des deux poètes, l’un confirmé, l’autre pour sa première publication ? Et de la plasticienne Anne Slacik ?

Ni Pierre Dhainaut, ni Anne Slacik n’ont besoin de moi pour être présentés. Ce qui me touche chez eux :
Pierre Dhainaut écrit une œuvre où l’on respire l’air à pleins poumons. J’aime sa langue imprégnée du rythme de ses pas. L’horizon est ce qui le fait marcher, écrire, ce qui le fait tenir, surtout lorsque la souffrance (comme dans Progrès d’une éclaircie) pointe son nez. Certains de ses vers s’ancrent au plus profond de moi, et ressortent sans prévenir : Si le vent tombe, remplace-le et parle.
Anne Slacik travaille depuis très longtemps dans un dialogue permanent avec les poètes. Et il y a sans doute entre les œuvres d’Anne et de Pierre quelque chose de commun, un geste très large et une aspiration au calme… Anne (pour moi) tente d’arriver au silence par la couleur. L’apothéose de la couleur, son chant, établit le silence de la toile. On pourrait croire que la couleur bavarde ; c’est l’inverse, elle se tait ; dire oui au silence écrit Pierre Dhainaut ; c’est aussi ce que me transmet la peinture d’Anne Slacik.
Christine Girard, elle, se bat avec une langue qui résiste, boueuse, qui fouille dans la ruine et le magma de la mémoire. C’est bizarrement une écriture douce et âpre. Qui lutte pour que ressurgisse le souvenir, mais cette lutte s’opère sans violences. Dans une sorte d’obstination tranquille. Il a plu, il pleut, et l’on sait qu’il pleuvra, mais on cherche le soleil. J’aime beaucoup ce désespoir optimiste. Elle n’avait pas, en dehors de la revue N4728, encore publié jusqu’à présent.

Que signifie Faï fioc ?

Faï fioc : il fait feu (occitan). C’est le nom d’un petit quartier de la ville de Marvejols, en Lozère. J’y suis attaché, pour bien des raisons, surtout amicales. Il faut sans doute l’entendre de façon climatique : il fait chaud ; mais faire feu peut s’entendre comme on veut. Pour ma part, j’aime la musique de ces deux mots, l’ouverture du premier et la fermeture soudaine et drolatique du second. Je cherchais un nom, tout ce qui venait faisait très sérieux, triste. Et Faï fioc a surgi, s’est imposé, à ma propre surprise. Ça claque au vent.

On peut acheter les livres bien sûr (fort conseillé) mais aussi adhérer à Faï fioc ?

J’essaie de trouver une économie saine.
D’un côté, être clair et honnête vis-à-vis des auteurs, en contractualisant correctement le lien qui m’unit à eux. Il est important de se soucier non seulement de la qualité littéraire des éditions que l’on fonde, mais aussi de respecter le travail de ceux qui rendent possible l’édition : les écrivains. Toujours se dire ça : ce n’est pas l’édition qui fait exister l’écrivain, mais l’inverse. Du coup, offrir des contrats en bonne et due forme, et des pourcentages de droits d’auteurs « normaux ».
De l’autre, tenter de maîtriser l’économie que je mets en place : si je souhaite proposer au public un livre à prix abordable (là encore c’est une question de choix), mais si d’autre part la fabrication du livre me coûte 30% de ce prix, la librairie 35%, l’expédition 12%, et le droit d’auteur 20%, comment faire pour ne pas finir dans le rouge ? On voit bien qu’en bout de chaîne, il ne reste rien. Donc, j’ai voulu faire les livres d’artiste pour que les bénéfices éventuels permettent l’édition courante.
Et j’ai aussi lancé une campagne d’adhésion aux éditions Faï fioc, qui sont une association, pour constituer bien sûr un premier cercle de lecteurs, attentifs et amicaux, mais aussi pour pouvoir assumer les nombreux frais courants que l’on n’imagine pas du tout au départ. Pour l’instant, une cinquantaine de personnes proches ont répondu ; mais il faudra, pour tenir, élargir.

Les projets de Faï fioc ?

Durer.

Pierre DHAINAUT Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
Christine GIRARD De la terre en mémoire

Prochaines publications à l’automne 2014, dont un recueil signé Armand Dupuy.

Faï Fioc : 34, avenue de Lodève 34070 Montpellier

Site internet

Par Sophie G. Lucas (été 2014)


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