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Les éditions de L’Arbre à paroles

dimanche 23 février 2014, par Cécile Guivarch

Entretien avec David Giannoni par Cécile Guivarch

Comment sont nées les éditions de l’Arbre à paroles et comment la maison d’édition est-elle si liée à la maison de la poésie d’Amay ?

C’est d’abord un collectif de poètes qui a vu le jour. En 1964 avec Francis Tessa, Francis Chenot puis des gens comme Alain Gerbaut et Rio di Maria… Ce collectif a d’abord réalise des lectures, des conférences, des “midis littéraires” à Liège. En 1974 l’association et la galerie « Vérités » sont créées ainsi qu’une revue du même nom. La revue va ensuite s’appeler « Ecritures multiples » puis Identités – L’Arbre à paroles puis enfin L’Arbre à paroles tout court. De 1979 à 1986 l’association va même se transférer à Flémalle pour revenir sur Amay de nouveau et s’installer d’abord dans les locaux d’Ombret (une dépendance d’un école appartenant à la Commune d’Amay). EN 1993 l’on rachète un vieux bâtiment au centre d’Amay qui devra être totalement rénové. Il sera pleinement occupé à partir de 2000. C’est là où se trouve actuellement les bureaux administratifs, éditoriaux, la résidence de poètes et la galerie de la Maison de la poésie d’Amay – les bureaux des animatrices et l’imprimerie étant restés à Ombret.
Les éditions de l’Arbre à paroles sont donc une émanation de ce collectif, un prolongement de la revue. Elles comptent des centaines de parution (il fut un temps où le rythme de publications était hebdomadaire, ce qui aujourd’hui n’est plus possible par rapport à la capacité d’absorption de nouveautés du « marché » dans le secteur poétique).

Je crois savoir que tu as repris le flambeau ces dernières années, quelles actions as-tu entrepris alors ?

À la demande conjointe des cofondateurs de la Maison et de l’attaché littéraire de la Ministre de la Culture j’ai proposé un projet pour la Maison de la poésie d’Amay en 2006. On est venu me chercher pour le travail actif et vivant en poésie que j’avais réalisé avec le groupe et les éditions que j’ai créées : maelstrÖm. Cela n’a pas été simple de reprendre le flambeau. Il y a toujours des tensions lorsque l’on doit « refondre » un projet qui a déjà vécu 45 ans. Les résistances ont été très fortes et multiples. À l’époque j’étais donc plus jeune que le projet que je reprenais. J’ai ressenti la responsabilité de tout cela, et dans un contexte où la crise économique commençait à poindre son nez, j’ai retroussé mes manches et commencé petit à petit à restructurer la Maison. La partie éditoriale, et donc les éditions de l’Arbre à paroles ont été mon dernier chantier. J’ai pu rendre confiance en certaines sections des équipes qui ne se sentaient sans doute pas valorisées au plus juste (les animatrices, les responsables d’expositions), et j’ai commencé à renforcer l’autonomie et encourager la créativité de certains membres du personnel. Nous avons aussi créé des événements novateurs comme le « Nouvel An Poétique » qui se déroule au printemps autour du 21 mars, et qui a permis à un public nombreux de renouer avec la Maison de la poésie. Il y a eu un gros travail aussi pour faire de l’imprimerie un outil plus performant. Car non seulement nous réalisons les livres de l’Arbre à paroles en interne, mais nous réalisons aussi des livres et revues pour d’autres petits et moyens éditeurs. Cela nous permet de compenser un peu le manque structurel de subventions institutionnelles, mais cela ne résout pas tout, encore…
En 2011 j’ai pu également engager Antoine Wauters, poète et revuiste liégeois. Je lui ai confié un vrai rôle d’assistant éditorial et littéraire, afin d’accomplir la refondation du projet de l’Arbre à paroles. Un graphiste de talent, Antoine Van Impe, nous a rejoint à ce moment-là aussi. C’est à partir de ce moment-là que nous avons pu travailler sur de nouveaux projets comme des nouvelles collections (comme la collection IF – mêlant prose et poésie).

Il me semble qu’à la maison de la poésie d’Amay il y a plusieurs salariés, comment êtes-vous organisés ?

C’est en 1992 que la Maison de la poésie a pu bénéficier d’un nombre important de contrats aidés et en large partie financés par la Région Wallonne (aujourd’hui on appelle cela les contrats « APE »). C’est une situation tout à fait atypique dans le secteur, et nous sommes bien conscients d’être dans une situation privilégiée. Il reste que les charges pour de tels postes (en tout 10 temps plein) sont nombreuses et gravent régulièrement sur nos budgets. Seul mon poste de directeur est payé sur fonds propres (ce qui explique que je sois rémunéré uniquement mi-temps depuis plusieurs années – et bientôt 3/5e temps, mais il ne nous est pas encore possible de faire plus).
Les 10 temps plein sont répartis sur plusieurs postes dont plusieurs mi-temps.
Il y a grosso modo 4 personnes dédiées aux animations de la cellule « CEC – Centre d’Expression et Créativité Plume et Pinceau », 3 personnes dédiées à l’imprimerie, 2 personnes dédiées à la composition et au graphisme, 3 à l’administratif général et à l’assistanat éditorial ainsi qu’à la distribution de nos livres et des éditeurs que nous distribuons, et enfin 1 personne dédiée à l’éditorial pur.

Comment choisissez-vous les livres qui seront publiés ? Quelle poésie défendez-vous ?

Antoine Wauters organise le comité de lecture, avec Rio di Maria, Pierre Schroven et moi-même. Les choix se portent sur les coups de cœur, évidemment, mais aussi, de plus en plus, vers des auteurs qui savent s’engager dans la défense de leur livre, et vers des écritures novatrices, qui sont souvent le fruit d’une recherche poétique propre, et ouverte sur le monde. Toutes les générations se retrouvent encore à l’Arbre à paroles. La collection IF nous a récemment ouverts à la prose poétique, et même au roman (« Viola » de Anne Versailles). Il n’y a donc pas « un » type de poésie que nous défendons, mais plutôt un travail, une honnêteté et une franchise dans le travail poétique, une recherche…

Vous organisez des lectures, rencontres, jour de l’an poétique à l’occasion duquel paraît une anthologie, etc. Peux-tu m’en parler un peu plus ?

De nombreuses rencontres et lectures sont organisées oui, autant chez nous à Amay qu’à l’extérieur : sur Liège, à Bruxelles, à Namur et ailleurs aussi en Europe… Comme le « Nouvel An Poétique » c’est la « maelstrÖm touch » que j’ai voulu apporter à la Maison de la poésie : la poésie incarnée, vivante, qui se découpe dans le temps et l’espace, qui habite les lieux, qui s’exprime à voix haute, parfois même de façon dite « performative » et spectaculaire et parfois de façon plus sobre, voire intime. Tout le large spectre de l’humain, donc. Car la poésie c’est avant tout la vie, et l’approche du plus profond, et du plus léger à la fois dans l’humain que nous tentons de devenir…

Quels sont les projets, les publications à venir pour 2014 ?

Toujours beaucoup de participations à des événements comme le fiEstival de Bruxelles (Festival international de poésie), le Nouvel An Poétique, le Festival Les Parlantes à Liège, les divers marchés de la poésie (Paris, Namur…) Et une quinzaine de publications, dont 4 nouveaux titres pour la collection IF qui est la véritable innovation depuis l’an dernier. Nous allons également continuer à développer la collection « Résidences » qui est consacrée aux auteurs qui ont séjourné chez nous à Amay, dans l’appartement qui est dédié aux résidents étrangers qui ont un projet particulier d’écriture.
Et travailler à une meilleure diffusion et distribution de nos ouvrages en librairie, et particulièrement en France.


Extrait de Chapelle du rien, Stéphane Lambert

Seuil de la lumière. La paupière frémit. Le matin, je ne vois personne. Avantage de ne pas être né. Deux vies au réveil et je veille à ne pas m’y dérober. Les selles. Mais déjà, à peine l’iris allumé, déjà l’étendue du sommeil se referme. Reflet brutal qui ramène la pensée. Et tant pis, s’ouvre l’oeil. Je mets les selles à fermenter. Le souvenir de la neige tordu par le cri des chiens / Me tenir éloigné. Veux me tenir éloigné. Doigt mouillé et tremblant, visant, la vue baisse, comme on glisserait à reculons à l’intérieur de soi-même. Impression d’impression jusqu’à découdre l’origine [...]

Extrait de Dansent les ombres, Olivier Dombret

Ce qui s’est perdu dans la Forêt.
Crie.
Pleure parfois.
A longtemps appelé.
Jamais la Nuit.
Jamais la Nuit, donc, n’a connu ton visage.
Ni ton nom.
Ni le nom de ton père.
Ni reconnu ta voix.
Ni la voix de ton père.
Ni ces lentes prières par l’Arbre chantées.
Celles de ton père.

Extrait de Berbère, Philippe Fumery

la femme mène la vache
du bout de son bâton
elle la suit
en silence complice

leur chemin est le même
la marche sur les pierres
déplacées par les sabots

nulle ne s’échappe
les maisons en vue

Extrait de Chant pour un corps déserté, Claude Donnay

L’attente naît au bout d’un quai, aux coutures des bois, aux lèvres des falaises
Oubliés le couvert de la forêt et la verrière nervurée de la gare
Le temps s’accroupit comme un pisteur à la recherche des traces que nulle main n’a semées
L’attente se nourrit de terre, de pierre et de vent
Tu tamises chaque minute pour le rappel d’un instant qui parfois suffit à justifier le jour.

Extrait de Rythmes pour apprivoiser la hérissonne, Doina Ioanid

J’ai écrit sur la solitude, des poèmes sur la solitude. Mais je ne la connaissais pas vraiment. La solitude qui te cisaille les tripes et balance contre les murs, la solitude d’un ghetto bucarestois, avec ses tsiganes qui te crient des conteneurs de ne pas t’approcher. La solitude avec son odeur rance et croupie, avec son indifférence crasse. La solitude, qui te vide le corps de tous ses organes, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une carcasse errant la nuit dans les rues. Et voici que la solitude, avec sa bave de bouledogue, écrit ses poèmes, ses propres poèmes, à même mon corps.

Extrait de Les obsessions fondamentales, Pierre Dancot

Il reste un peu de tes lèvres entre l’hiver
Quelque chose de trouble entre toi et ces lunes assises
Il reste l’écho délabré d’un peuple assis juste en dessous du silence
Un peu de bois mort sous ta jupe aux heures les plus indécises
Il reste ton départ
Une mort douce
Comme un lait maternel sur mes bras

Extrait de Mon nom est printemps, Ben Arès

Petite, déjà, je croquais des visages, des paysages d’Afrique, rêvais d’ébène, manioc, d’enfances sauves et magiques/
Par mes traits spontanés, habitée d’inconnu, d’un lointain, d’une mémoire salamandre, malgré moi provoquais, convoquais les ombres, les esprits malveillants issus d’un terreau hostile aux engrenages bien huilés du clan.
Par le crayon, je faisais entendre ma voix féroce, celle que la mère noie, que ses anges gardiens matent et grondent.

Extrait de L’insensée rayonne, Diane Régimbald

fallait-il ce désir ___ d’aller au-delà
___ où les failles ne subsistent plus ___ peut-être

un rayon parfois vient entre paupières
réveille un espoir ___
___ élève le temps à l’intelligence ___ de bras chauds
le chagrin devient joie
___ fenêtres ouvertes
sur le ciel ___ des formes à enchevêtrer

Extrait de Quelques mains de poèmes, Philippe Leuckx

J’appelais poème votre nom
Et poème encore l’énoncé d’un visage
En sa nuit avec le linge offert
A toute blancheur
J’appelais image ce peu de ciel
Laissé en l’essentiel
Et forme l’arcade au-dessus des yeux
Quand ils plongent en moi
Soumettent l’air au silence.
Depuis l’herbe a poussé
Et le cœur revient déserté
En terrain vague à peine
Floué forcément désappris
Comme le temps gagné de vent
S’embarrasse les épaules
Vers la mer.

Extrait de Isla cuerpo océano / Île corps océan, Jeanine Baude

La historia se fabrica como
el viento se desarrolla el cuerpo entre
las areas negras El juego de bolas
los romanos se bambolean arriba
El mar examina

L’histoire se fabrique comme
le vent se déroule le corps entre
les aires noires Le jeu de boules
des romains tangue au-dessus
La mer dévisage

Extrait de Aux arbres penchés, Emeric de Monteynard

Savoir qu’un jour il va mourir, ne lui offre aucun avantage. Sur personne. Mais a-t-on - pour autant - déjà vu un arbre rebrousser chemin, ou bien se mettre à couvert ?

Extrait de fragments 2, Luc-André Rey

désert
l’homme s’avance
mais ce n’est plus un homme
un squelette
squelette d’homme

où s’avance
désert
ce qu’il est
des étoiles

Extrait de Celle, Chantal Dupuy-Dunier

Tous les trains empruntent mes voies,
les aiguillages conduisent à moi.
Tous les ponts transbordeurs
___ ___ indiquent mes points cardinaux.
Ma compagnie affrète longs courriers et charters,
la course du soleil vers la tombée du jour
et l’immuable ballet de la lune.

Extrait de Ce qui, la nuit, Emeric de Monteynard

Faudra-t-il
A la fin

Qu’on se passe
Des morts -

Des nôtres, au moins,

Et qu’on les laisse
Et mourir
Et renaître,

Ailleurs,
Incandescents,

Loin des corps

Dont ils doutent (Peut-être
A raison) ?

Extrait de Un petit peu d’herbes et des bruits d’amour, Cécile Guivarch

cachée au fond d’elle-même
s’en bouche les oreilles

la douleur aux seins le sang les veines
son corps par où est passé l’autre corps

la douleur elle n’y voit que la douleur

mettre au monde seule au monde
avec les yeux du monde

s’en bouche les oreilles les cris de son
enfant

La page vers les éditions L’Arbre à paroles


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