Comment est née la revue Texture ?
Le premier numéro a paru en janvier 1980, c’était alors (bien sûr) une revue « papier ». Très vite y ont collaboré Georges Cathalo, Casimir Prat, et quelques autres amis occasionnellement. De 1980 à 1989, pendant une dizaine d’années donc, je l’ai animée. Trente-cinq numéros ont paru, la revue avait environ 300 abonnés qui suffisaient à la faire vivre. Elle avait trouvé un rythme de croisière. Moi, en revanche, je m’essoufflais, submergé par les manuscrits, les services de presse et le courrier qui s’accumulait sur mon bureau. C’est pour cette raison que je l’ai arrêtée au bout de dix ans. Mais durant les années qui ont suivi, je n’ai jamais abandonné tout à fait l’idée de relancer la revue dès que je disposerais d’un peu de temps. Ce fut le cas en 2009, puisque j’ai quitté le journal pour lequel je travaillais depuis plus de 30 ans. J’ai d’abord créé un blog, avec quand même l’idée de le doubler un jour par une nouvelle revue « papier ». Mais je me suis vite aperçu que la fréquentation était très forte sur la Toile, d’où ma décision de créer une revue en ligne… J’ai mis le doigt dans l’engrenage, le bras a suivi !…
Quel est pour toi le rôle d’une revue de poésie et pourquoi avoir choisi le format numérique ?
Pour moi, au départ, c’était de donner à lire des textes ou des auteurs que j’aimais, que j’avais envie de partager. Ce que je faisais avec la version « papier ». Sur la Toile, ce fut différent. Compte tenu de la fréquentation, j’ai été très vite débordé par les textes reçus, d’autant que Texture ne se consacre pas exclusivement à la poésie, mais aussi à la nouvelle, aux romans, aux essais, etc. Je me suis donc résolu à n’en faire qu’un espace critique. D’ailleurs, depuis des années, j’avais envie de créer un journal littéraire où les portraits, les entretiens, voisineraient avec les articles, les notes, les coups de cœur et les annonces d’événements, rencontres, lectures, etc. Le projet avait été plusieurs fois mis sur le tapis dans les associations auxquelles je participais en compagnie d’amis écrivains, comme Escalasud, le Passe-mots, et d’autres… mais les moyens manquaient pour un journal imprimé. Finalement, c’est en ligne et plus modestement que j’ai réalisé ce vieux projet… C’est le numérique qui m’a choisi au départ. Mais j’y étais déjà habitué (mon journal – un quotidien régional – disposait aussi d’un site où nos articles étaient repris) et, surtout, j’ai apprécié de pouvoir mettre en ligne immédiatement les critiques, avec autant d’illustrations visuelles ou sonores que je le désirais, y compris des vidéos. À dire vrai, j’ai quand même la nostalgie de la revue de création, qui donne à lire des textes, poèmes, des nouvelles. Je me console en me disant que ce qui manque surtout aujourd’hui, tu le sais aussi bien que moi, ce sont les passeurs, et qu’en conséquence Texture doit bien avoir une utilité… Comme ses consœurs imprimées ou numériques.
La revue compte un certain nombre de contributeurs, c’est une ouverture, un compagnonnage ?
D’abord un compagnonnage : les premiers collaborateurs du site sont des amis, Max Alhau, Georges Cathalo, Jacqueline Saint-Jean, Abdelkader Djemaï, certains hélas disparus comme Bernard Mazo ou Jean-Luc Wauthier. Des auteurs et critiques qui étaient de vieilles connaissances, comme Lucien Wasselin, Jean-Noël Guéno, Patrice Angibaud s’y sont joints. Et puis, au fil du temps, d’autres personnes – souvent des amis également - m’ont proposé une collaboration régulière : Françoise Siri, Jacques Ibanès, Jacques Morin, Philippe Leuckx, Marilyne Leroux plus récemment, et Jeanine Baude. D’autres enfin se joignent à nous, occasionnellement. C’est une « ouverture », comme tu dis, qui s’est réalisée naturellement.
Chacun est bien sûr libre de ses goûts et de ses choix. Si une certaine unité se dégage, c’est par le fait même que les contributeurs ont proposé leur participation au vu de ce qui s’y publiait… De fait, j’ai l’impression que nous formons une équipe qui ne sert pas trop mal une poésie que je dirai « à hauteur d’homme » pour faire simple. Malheureusement, nous sommes très dispersés géographiquement et il est impossible de nous réunir tous. Au temps de Texture « papier », nous réunissions parfois jusqu’à quarante auteurs à la maison pour des « repas de poètes » qui n’étaient pas tristes ! Cela me manque…
Peux-tu nous faire une petite présentation des différentes rubriques qui composent Texture ?
J’ai conçu le site, son « squelette », mais il n’a pas été simple à architecturer, car je n’ai rien d’un informaticien ! La primauté est accordée à la poésie et aux nouvelles, mais on parle aussi des romans, voire des essais (ce sont d’ailleurs mes centres d’intérêt et j’ai écrit et publié dans tous ces domaines). La page d’accueil recense donc tous les articles du semestre, par ordre alphabétique d’auteurs, avec un lien qui d’un seul clic vous conduit à la critique désirée. Mais certains auteurs font aussi l’objet de plusieurs articles qui sont alors regroupés par « dossiers » (on y accède par l’onglet « auteurs »). Enfin, on peut lire toutes ces critiques classées par chroniqueurs et par années. L’onglet « entretiens » permet de repérer plus rapidement les interviews.
Mais Texture s’intéresse également à la musique et à la chanson et il y a un onglet qui mène aux divers articles, avec des présentations et des possibilités d’écouter des chansons.
Quant au théâtre, Jeanine Baude vient récemment d’apporter à Texture son regard de passionnée et c’est une contribution précieuse.
On trouve enfin une rubrique « actualités » où j’essaie d’annoncer des rencontres, signatures, expos, des prix, hélas aussi des décès, sous forme de brèves. J’ai dû renoncer aux comptes-rendus faute de temps à consacrer à leur rédaction…
J’ai aussi ajouté une rubrique « humeurs » où je me lâche parfois, mais là, c’est anecdotique…
Comment choisissez-vous, toi et les chroniqueurs de Texture, les livres et les auteurs que vous mettez en avant ?
Pour ce qui me concerne, je n’évoque que les livres que j’aime, quel que soit le domaine, comme je l’ai presque toujours fait dans mes articles consacrés à la poésie et à la littérature en général pour les journaux et les diverses revues auxquels j’ai participé. Je ne prétends pas que des critiques négatives soient inutiles quand elles ouvrent des débats (ce fut le cas à une époque avec la « poésie du quotidien », l’écriture « blanche », certaines prétentions élitistes, etc.) et mon essai, « Poésie et Pesanteur », publié il y a bien longtemps, s’en faisait d’ailleurs l’écho ; mais aujourd’hui, mon problème personnel est d’essayer de parler le plus possible des livres qui me semblent le mériter. J’en reçois beaucoup (deux à trois par jour en moyenne) et il y en a énormément qui mériteraient vraiment qu’on leur consacre une critique – preuve que la poésie se porte mieux qu’on ne le dit, sans doute le constates-tu également... Mais je suis submergé par le nombre !
Quant aux collaborateurs, ils sont bien sûr libres de leurs choix, et ceux-ci sont probablement aussi subjectifs que les miens…
Que penses-tu de la place qu’occupe Texture dans le « monde » de la poésie ?
A dire vrai, je ne sais trop que te répondre… Les statistiques que m’adresse l’hébergeur me semblent devoir être prises avec pas mal de circonspection. Que sait-on des surfeurs du net qui viennent sur vos pages ? Un exemple : j’ai découvert que les articles consacrés à Pierre Gabriel étaient souvent consultés par des gens dont la requête était « Peter Gabriel »… Pour autant, je sais que la fréquentation est bonne, ne serait-ce que par l’afflux des « retours » : l’abondance des courriels, des services de presse, etc. C’est donc qu’un certain nombre d’internautes y trouvent pâture…
Est-ce que cela sert la poésie et sa lecture pour autant ? Je n’en sais rien. Je l’espère, parce que c’est quand même pas mal de boulot et beaucoup de temps ! Je constate que les sites et blogs sont nombreux et c’est tant mieux. Ils doivent bien répondre à un besoin… Texture quant à elle essaie de privilégier un angle, en favorisant une approche par les auteurs, les portraits, les interviews (c’était déjà l’orientation de Texture « papier », dans les dernières années, chaque numéro étant consacré à un poète). Ensuite, elle s’appuie sur une lettre d’info trimestrielle (cette périodicité m’autorise à parler de « revue » en ligne) assez exhaustive, récapitulant (avec des liens) tous les articles mis sur le site. Elle est envoyée à environ 1300 personnes.
Quels sont les projets à venir ?
Poursuivre, si possible sans me laisser déborder ni me lasser ! Je n’ai pas tout à fait abandonné non plus l’idée d’une revue de création, imprimée elle. Car je crois que pour les textes, et singulièrement la poésie, rien ne vaut le bon vieux papier !
Propos recueillis par Cécile Guivarch
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