• Quand et comment est née votre maison d’édition, Les carnets du dessert de lune ?
L’envie de créer une maison d’édition est venue suite à la rencontre avec Antonello Palumbo qui animait les éditions L’Horizon Vertical. Après avoir édité un de mes 1er recueils en 1994, nous avions le projet de nous associer mais il est décédé peu de temps avant que ce projet prenne forme. Au départ, je n’ai pas voulu me lancer seul dans l’aventure, juste honorer sa mémoire, mais un manuscrit est arrivé, puis un autre, le nom Dessert de Lune est apparu, sorti je ne sais toujours pas d’où. Vous connaissez la suite…
• Quelle vision de la poésie avez-vous envie de défendre à travers les livres que vous publiez ?
Difficile de donner une vision exacte de la poésie que je défends, je préfère le mot écrits J’aime quand les mots, qu’ils prennent la forme de poèmes, de prose, de récit, même d’images, soient proches de l’humain, qu’ils racontent simplement la complexité de la vie, qu’ils fassent preuve d’humilité, d’autodérision.
• Ce qui est intéressant, je trouve, dans votre maison d’édition, c’est qu’il y a plusieurs collections différentes, ce qui permet à des textes de longueur ou de genre différents d’exister. Pourriez-vous nous présenter ces différentes collections ?
Au départ, il y a ce qui est devenu la Collection Carnet. Des petits livres comme des sortes de Carnets qu’on pouvait glisser dans une poche ou dans un boitier, puis recevant un manuscrit d’un jeune auteur, Mohamed Omari, la collection Les Petits Carnets s’est ouverte aux auteurs débutants. Des chutes de papier récupérées chez un imprimeur, un peu de manipulation et ça a donné la collection Dessert, genre de carte de visite.
Un auteur, Nicolas Chevalier m’a remis une maquette bizarrement reliée avec un texte inclassable c’est devenu la collection Pousse-Café. Publier un inédit de Brautigan au format d’un sachet de graine de légumes a donné naissance à la collection Demi-Lune.
Des manuscrits plus conséquents où se mêlent poésie, roman, microfictions se sont retrouvés dans la collection Pleine Lune. Un récit de voyage de Sylvain Farhi, récit atypique, a lancé la collection Sur La Lune. Pour les 10 ans, un ami restaurateur m’a proposé un livre de cuisine qui s’est retrouvé dans la collection Pièces Montées où cohabitent plusieurs genres littéraires avec des livres autant à lire qu’à regarder. Ne manquait plus que des livres à l’italienne que je pouvais relier moi-même avec des spirales, c’est devenu Dessert à L’italienne avec le 1er titre de Daniel Fano publié aux Carnets
• J’aime beaucoup l’attention que vous portez à l’objet-livre, la qualité du papier, l’utilisation de la couleur, les petites notes de fabrication en fin d’ouvrage… C’est important pour vous ce côté esthétique du livre ?
Papier, format, petits détails discrets, forment un tout, un peu comme une maison que l’on regarde de l’extérieur avant d’avoir envie de la visiter.
• Comment rencontrez-vous les auteurs que vous publiez ?
D’abord ce furent des auteurs qu’Antonello Palumbo avait projeté de publier, puis un ou deux manuscrits arrivés par la poste. Des auteurs que j’ai sollicités après les avoir découverts en revue, des rencontres sur des salons… des échanges avec d’autres éditeurs
• Votre catalogue comprend auteurs et illustrateurs, comment se passe la rencontre entre les deux ? Est-ce vous qui la provoquez ?
Parfois je propose une collaboration mais souvent l’auteur et l’illustrateur collaborent ensemble depuis plusieurs années. J’essaie qu’il y ait une affinité autant dans la collaboration éditoriale que dans la collaboration humaine
• Vous avez un blog, l’outil internet vous a-t-il permis de rencontrer de nouveaux auteurs ? De nouveaux lecteurs ?
C’est un univers très riche, très dense où le très bon côtoie le pire. J’y ai fait des découvertes intéressantes comme par exemple le travail d’Yves Budin qui a donné naissance à « Visions of Miles »
• Vous publiez parfois plusieurs livres d’un même auteur, est-ce important pour vous de suivre l’évolution de l’écriture d’un auteur ?
Suivre un auteur, ses projets, le voir grandir, construire modestement avec lui son univers, oui c’est important. J’aime ce qui perdure, la fidélité.
• Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez aujourd’hui dans cette activité éditoriale ?
Je ne vais pas vous dire le manque d’intérêt des libraires, des auteurs qui sont plus nombreux à vouloir être publiés qu’à lire les livres de leurs contemporains, tout le monde sait cela, ce qui est difficile c’est de se rendre compte parfois que ce n’est qu’une petite goutte d’eau mais qui demande tellement d’énergie.
Propos recueillis par Cécile Glasman
Extrait de L’éponge des mots", Saïd Mohamed
Je ne peux défaire mes yeux du rivage où tu t’échoues.
Ton corps : ce paquet de mer que les oiseaux se déchirent.
Ton nom : ce chant sur mes lèvres.
Le bruit de la nuit, l’odeur du pain qu’on enfourne, donnent
au papier la force, la fougue pour parler à travers vous.
La lumière de ces jours d’hiver me rappelle l’enfance et ses
brouillards plaqués aux jambes.
Tu voulais des oiseaux à tes pieds, souviens-toi !
De l’amour en voici ! Prends-le ! Regarde-le ! Il te coule
entre les doigts, ce sable qui te fuit !
Extrait de Les rues pluvieuses n’iront pas au ciel, Michel Bourçon
tant bien que mal
nous durons jusqu’au soir
pour voir la lumière
pousser les choses les hommes
dans le noiren nous parfois
le calme affleureen regardant la vie qui passe
nous ne voyons que nous-mêmes
et cela nous suffit pour un tempsnous aimerions seulement
que quelque chose en nous
puisse continuer de dire
que nous sommes bien ici.
Extrait de La Patagonie, Perrine Le Querrec
Le continent
Nous sommes
bientôt vous verrez
Nous avons traversé
plus de désert, plus de famines
plus de guerres, plus de dictatures
plus de violence, plus de mensonges
plus de promesses, plus de temps
Nous connaissons les âmes
les fous sont parmi nous
notre chair naît guerrière
Nous sommes
à quelques meurtres de vous.
Extrait de Jour, Jean-Jacques Marimbert
Me voici sur un banc,
flocon tiède égaré chantonnant
dans l’air gris.
Je voudrais dire deux mots, ne sais si
c’est au monde réuni
en mes reins, ou au petit
moineau
dont mon rire coud
les ailes.
Je saisis seulement
que traversant la ville,
entendant les chicots
d’un vieillard
étonné d’avoir si long
tourment sans taudis
ni couvert, tout juste décrépi
au regard des normes,
_- en cette rue passante j’ai eu désir de
fuir.
Extrait de Travails, Hervé Bougel
Guido Reybroeck
A la Maison-Dorée
Dans la cuisine
Peut-être 6 à 8m2
Nous étions
Roue dans roue
Avec le cuisinier
Raymond Zilliok
Ses yeux bleus de ciel
Où palpitaient vivantes
Des larmes
Brouillonnes
La vie ou
Le vin blanc
Petit Chablis
Lui affairé
A la sarabande
Des crêpes
Catalanes savoyardes
Norvégiennes au saumon
Paysannes jambon fromage
Sucrées miel noix
Dauphinoise
Maffiosi et mozzarella
Eddy me disait-il
En toute fin de soirée
Quand les assiettes
Dégarnies
Roulaient dans mes bacs
Eddy j’aurai été
Coureur cycliste
Me disait cet homme
Plutôt que le peloton
Des crêpes omelettes
Champignons patates
Crèmes et oignons
J’aurais pris la roue
De Guido Reybroeck
(...)
Extrait de Carnet des états successifs de l’urgence, Jean-Christophe Belleveaux
10 H 52
l’illusion de la lumière
enfièvre
les arbres
est-il possible d’être aussi con
là
en dehors de la poésie
et en dehors de la réalité
cherchant avec obstination
un langage
qui déplacerait les galaxies
un poison
déjà bu par tant d’autres
obstination obstination
je dis bien
et ce mot-là ne me plaît guère
pourtant
Extrait de Diogène au potager, Louis Dubost
Les tomates
_____acheminent la planète tout entière à
portée de la main. Elles implantent un arc-en-ciel sur l’are
de terre qui jouxte la maison. Leurs mille et une variétés
couvrent les mille et une variations colorées du spectre lumineux.
Il suffit de croquer l’un de ces fruits-légumes et son nom
fait courir le monde sans prendre l’avion ni le TGV : ananas,
banana leg, beauté blanche, black from tulu, carotina,
casaque rouge, cherokee purple, délice d’or, evergreen,
golden plem, grosse blanche, jaune saint-vincent, noire
charbonneuse, nuits australe, orange queen, potiron
écarlate, purple calabash (couleur chocolat), redskin,
rose de berne, trèfle du togo, wonder light, yellow stuffer...
Plein les yeux, plein les mains, plein la bouche, plein la
tête, plein le cœur, les tomates vous font citoyens du monde.
Extrait de Carnet de têtes d’épingles, Jean-Claude Martin
_____Il n’y a personne à la fenêtre. Elle est
éclairée pour rien. Pour quelqu’un qu’on ne voit
pas. Pourquoi espère-t-on un passage, une
silhouette ? J’ignore qui vit là-bas. Si une ombre
apparaît, ce sera pour fermer les volets... Mais, au
milieu de la nuit, la fenêtre mourut sans avoir été
habitée.
Extrait de Les âmes petites, Véronique Joyaux
Il faudrait pouvoir se livrer
laisser échapper un peu de soi
une brèche
Mais tout risquerait de se répandre
de n’être plus contenu
Alors on resserre les gestes la pensée
On regarde fixement au loin
le point de fuite des aiguillages.
Extrait de Carnet d’une dendrophile, Bernadette Throo
Il dort pendant qu’on le promène
il dort entre les arbres
entre les chants d’oiseaux
entre les feuillets du silence
repliés l’un sur l’autre.
Il dort entre mai qui s’en vient
et avril qui s’en va,
jolis mois un peu flous
comme les traits de son visage.
Il boit tout en dormant
le soleil aigrelet
le vent qui pique à peine.
Le fragile printemps lui mousse au bord des lèvres
et dans sa petite âme vague
fait germer pour plus tard
tout un verger d’images et d’odeurs.
Extrait de Poèmes sportifs en Puisaye-Forterre, Jacques Morin
petit matin
avec comme du duvet à l’horizon
la campagne a du mal à se leverl’orage vient en dormant
les grondements s’insinuent dans le rêve
les éclairs ouvrent le sommeil requis
le réel cogne aux portes
de corne d’ivoire et d’ouate
la pluie met en nage
on se réveille foudroyé
Extrait de J’aurais voulu t’écrire un poème, Pierre Soletti
J’aurais voulu t’écrire un poème
sans les arbres & sans les rivières
sans tous les gouffres que je suissans même moi-même
sans élan
sans essai préalable
J’aurais voulu t’écrire un poème
comme un souffle.
Extrait de Transatlantique, Daniel Labedan
Les choses plates
Parfois Lucien Quine pense
qu’il n’aime personne
qu’au plus profond de lui
quelque chose est bloqué
ou bien détraqué
je n’y arrive pas
je manque de profondeur se dit-il
mon existence est toute aplatie
comme la photo d’une maison
en lieu et place d’une vraie maison
Extrait de Terre à ciels, Cécile Guivarch
En fin de compte
ce sont les feuilles qui parlent le plus aux arbres
entre eux
nous ne sommes qu’un grain de sable
et ce n’est peut-être pas plus mal
Extrait de Mordre la neige, Anna de Sandre
À L’OREILLE DES VENTS SECS
Je dessine des feuilles,
Et uniquement cela,
Pour entendre autre chose
Que la fureur des sarabandes
Entre les grilles de nos villes
Où des Houdini garrottés
Se noient dans des verres d’eau.Je dessine des feuilles,
Et uniquement cela,
Pour capter entre les cris
Échappés
De l’estrade ronde
D’autres répliques
De la comédie des ombres
Turbulentes autour des armes.Elles s’ouvrent sous mon crayon dur,
Et ce feuillage bruissant
Est un pays des esgourdes
Au-dessus de la vallée
Où un bourreau détricote
Un dernier pull-over rouge.Il manque encore
Tant d’espaces à remplir,
À saturer de l’air
De nos respirations,
Comme des feuilles d’écriture
Couvertes de palimpsestes
Et festonnées en paperolles
Où des vieilles maudites
Et folles auraient la parole.
Extrait de Le violon pisse sur son powète, Eric Dejaeger
Tout powète se sent de taille à écrire un powème-fleuve.
ø
Le powète n’aime pas être téléchargé : on peut le jeter d’un clic.
ø
En entrant dans une librairie, le powète fonce tête baissée vers le rayon POÉSIE, même s’il n’y en a pas.
ø
Le plus beau powème du monde ne peut donner que ce qu’il n’a pas.
Extrait de Sillages improbables, Véronique Joyaux
Quand l’eau soudain m’aimera
je descendrai de la barque
furtive
Je nagerai à perte d’horizon
J’irai vers toi qui es à l’ultime ligne
nuage dans le ciel
bleu parmi le bleu
Quand l’eau soudain m’aimera
je marcherai le long des laisses
à la limite des vagues et du sable
et sentirai sous mes pieds des petits grains fébriles
la rondeur lisse des galets
Quand l’eau soudain m’aimera
je pénétrerai l’étendue verte des étangs
me glisserai entre les herbes dociles
qui caresseront mes jambes
suivrai le flux des rivières jusqu’à la mer
me bercerai de pluie
Quand l’eau soudain m’aimera
je n’aurai plus peur des larmes.
Extrait (Sport) Marcella
j’ai tendu la peau de mon visage
avec les mains
juste un peu
c’était beaucoup mieux
mais
je ne pouvais pas rester
toute la journée
avec les mains sur mon visage
non je pouvais pas
je ne pouvais vraiment pas
alors j’ai mis dans mon sac
le joli bric-à-brac
pour dérober au temps
ce qu’il ne sait
altérer
Extrait de Autre chose, Thomas Vinau
Chaque minuit de mai, il attendait le cri double tranchant, couleur jaune et rouge, de la Dame Blanche. Son père et son grand-père, avant lui, avaient attendu. Un jour, bientôt, il réveillera son enfant et lui dira : « Écoute, les pas dans le grenier. Elle est là. N’aie pas peur. C’est la reine des chouettes qui a choisi son antre. Nos rêves sont une forteresse dans laquelle elle se couche pour nourrir ses petits. Ses plumes blanches sont parsemées de sang. Tu l’entendras toutes les nuits, et puis dans quelques mois tu n’entendras plus rien. La lune sera rouge. Les petits seront grands. Tu auras fait ta part et pour te remercier elle reviendra un jour, à son tour, pour protéger ta nuit et veiller sur ce qui en toi refusera de rompre. »
Extrait Prova d’orchestra, divertimento) Michaël Glück
Il ne faut jamais vendre le non troppo de l’oud, avant d’en avoir joué.
On aime beaucoup le tambourin dans le delta du Rhône.
La musique kletzmer est abusive.
Les castagnettes sont au flamenco ce que la petite cuillère est au café.
Extrait de Jours de liesse, Saïd Mohamed
Le plateau du serveur tournoie sur son poignet agile, le cliquetis du diesel vient en témoin de la compassion de ces instants au comptant.
Je témoigne pour l’histoire immédiate, celle qui n’aura jamais droit d’être citée.
La différence qui oppose le ciel à la mer dégage en permanence une brume qui les unit.
Les bateaux pachydermes d’eau reviennent des îles.
Le plateau du serveur tournoie sur son poignet agile. Les Stambouliotes boivent du thé à la pomme.
Le vieil homme salue la belle femme d’occident en portant son baiser à son front tout en caressant son chapelet.
Un patron de bar refuse que je paie, la femme qui m’accompagne l’illumine.
Je n’ai peur de rien dans ce monde. Les hommes ont la même destination.
Extrait de Ostende, Christiane Levêque
L’été commence à tenir ses promesses. Il s’est pointé, le nez baissé, comme un enfant prodigue venu d’on ne sait où.
Le site des éditions Les Carnets du Dessert de Lune