Un entretien avec Jean-Paul Morin, par Hervé Martin
Mes premiers contacts avec Jean-Paul Morin remontent à 2015 lorsqu’il m’a appelé afin de me demander des numéros de la revue Incertain Regard pour la Cave littéraire. Récemment, c’est moi qui l’ai contacté pour lui proposer, cette fois, quelques titres de revues dont je souhaitais me séparer. C’est à la suite de nos échanges que j’ai songé à cet entretien auquel il a répondu favorablement.
La plupart des revues sont éphémères et cette entreprise de leur conservation est de première importance pour la sauvegarde d’une mémoire littéraire et poétique. Il faut la saluer !
Hervé Martin : À quelle époque la Poéthèque de Villefontaine a-t-elle été créée ?
Jean-Paul Morin : Avant d’évoquer la création de la Poéthèque, département de La Cave Littéraire, il importe de dresser le cadre de son avènement.
L’association La Cave Littéraire a tenu son Assemblée Générale constitutive le 9 décembre 1983 après avoir obtenu de la Municipalité de Villefontaine en Isère, en juin de la même année, les clefs de la cave sise dans le sous-sol de l‘ancienne mairie, celle-ci s’étant délocalisée et transformée en Hôtel de Ville.
Initialement, la cave était destinée à créer un studio d’enregistrements pour les émissions de la radio locale « Radio-Jacasse », et notamment pour « Ondes Poétiques » courte émission hebdomadaire consacrée à la poésie.
Devant l’importance des travaux d’aménagement, - passer d’une cave à charbon à un studio radiophonique moderne nécessitait quelques transformations – un groupe de personnes, poètes, écrivains ou simples auditeurs se mit à rêver de la création d’une association de poésie dont le siège social serait précisément ladite cave. L’idée mûrit et six mois plus tard La Cave Littéraire sortait de l’ombre.
HM : Comment est née l’idée de créer un lieu pour conserver les revues et à quels besoins répond la Cave Littéraire ?
JPM : La création de la Poéthèque résulte dans un premier temps du besoin de l’association de constituer un fonds documentaire de recueils et revues poétiques en vue de la préparation des lectures poétiques publiques avec les auteurs invités. N’étant pas adossée à une bibliothèque officielle municipale ou autre, la poéthèque ainsi nommée dès sa création n’était qu’une petite bibliothèque associative installée au rez-de-chaussée de l’ancienne mairie de la commune qui abritait, en dessous, la Cave où se déroulaient les lectures dans le cadre de ses « Rendez-vous Poétiques » bimestriels.
Au fur et à mesure des rencontres le volume des publications s’accroissait et les rayonnages disponibles se remplissaient. La gestion documentaire s’alourdissait quand l’arrivée du Minitel sur le marché téléphonique y apporta son concours. Le Minitel offrait sur une seule ligne par recueil ou revue une ébauche de répertoire dont la Poéthèque s’est immédiatement emparée, pour informer le grand public du fonds de la bibliothèque.
Parallèlement, en Isère, dans le même département que celui de Villefontaine, la Maison de Poésie de Saint-Martin d’Hères près de Grenoble obtenait le label de Maison de Poésie Rhône-Alpes. Aussi, pour ne pas être en reste, notamment auprès du Conseil Départemental subventionnant l’association, La Cave Littéraire proposa à la Maison de Poésie Rhône-Alpes de spécialiser le fonds documentaire de chaque entité, en attribuant à l’un les recueils, à l’autre les revues. Ce qui fut fait, apportant à la Poéthèque plusieurs milliers de numéros de revues supplémentaires et surtout officialisant la Poéthèque comme lieu de références départemental en matière de revues poétiques et/ou littéraires.
Tout dès lors s’est accéléré. Claude Seyve, fondateur avec Alain Wexler, de la revue Verso, déménageant en Saône et Loire, offrit à la Poéthèque tout son fonds de revues détenu dans le Rhône. Roger Gaillard, éditeur du Calcre, annuaire papier des revues culturelles, se déleste après publication, de toutes les revues qui lui sont adressées, et un nombre d’auteurs prestigieux ou modestes offrent à leur tour leurs collections. Le répertoire de la Poéthèque devient de plus en plus fourni, quand l’internet arrive et fait « exploser » les ressources. Le SUDOC (Système Universitaire de DOCumentation) de Lyon, informe son homologue à Grenoble de la richesse inattendue d’une bibliothèque associative à Villefontaine qui en devient partenaire. En retour, des demandes documentaires pointues parviennent à la bibliothèque en provenance des États-Unis, du Canada, d’Allemagne, de Suisse, de Belgique, d’Italie, de Hollande, etc.
Affinant son répertoire sur le net, de plus en plus de revuistes adressent à la Poéthèque un service de presse permettant d’être réactif au plus juste, la Poéthèque à travers sa base de données (revues.lacavelitteraire.fr) est désormais reconnue et de plus en plus consultée.
HM : L’animation d’un tel projet demande des ressources humaines et financières importantes. Quels sont les moyens dont dispose La Cave littéraire pour son fonctionnement ? Quelle est sa forme juridique ?
JPM : Ce sont essentiellement des ressources humaines : Un webmaster indispensable et performant, un opérateur disponible au moins six heures par jour, pour la saisie des données, des collaborateurs associatifs motivés et curieux, des poètes et écrivains convaincus de l’utilité de la démarche, etc. et toutes et tous bénévoles.
Association, loi 1901, La Cave Littéraire qui abrite la Poéthèque bénéficie de façon très modeste de subventions municipales et départementales, et au coup par coup d’aides de la Région.
HM : La page d’accueil du site précise que quatre personnes participent à la conception et à la réalisation du site de La Cave Littéraire. Le fonctionnement de votre structure qui nécessite la recension des revues, l’indexation des numéros, les saisies informatiques, l’archivage… représente un travail considérable. Comment procédez-vous ?
D’autres personnes se joignent-elles à sa vie administrative ou associative de La Cave Littéraire ?
JPM : L’association, forte de ses neufs membres actifs de son Conseil d’Administration, n’a pas de salarié. Elle accueille des stagiaires en formation, des emplois précaires comme les candidats au Service Civil, parfois des « emplois tremplins », etc.
HM : Le genre « littéraire » peut englober une large palette de revues. Quels sont précisément vos critères de choix ?
JPM : Le choix reste très éclectique dans le sens que certains titres n’indiquent en rien la présence de textes littéraires ou poétiques débusqués parfois par hasard comme Le Débat dans son numéro 54 de mars 1989. D’où l’importance de consulter la revue au-delà des sommaires imprimés. Certaines revues privilégient l’image, le dessin, et la poésie est là aussi, alors ...
HM : Avez-vous une idée de la fréquentation et de la composition sociale de ceux
qui consultent le site ?
JPM : Hormis les retours provenant de demandes documentaires, souvent de bibliothèques, nous recevons les appréciations de poètes ou écrivains sans qu’il soit possible d’en déterminer la position sociale.
La fréquentation du site reste à notre avis très modeste mais est en progression constante.
HM : Comment approvisionnez-vous concrètement les rayons de la Poéthèque ?
JPM : Essentiellement, trois sources principales d’égale importance :
- Les dons de particuliers, auteurs ou lecteurs, souvent précieux par leur rareté ;
- Les « désherbages » de bibliothèques municipales, départementales ou universitaires qui nous ont pourvus, par exemple, d’un lot de plus de 100 numéros du « Mercure Galant », revue du XVIIe siècle en provenance d’une grande bibliothèque parisienne ;
- Les SP ou Services de Presse des revues en contrepartie du relevé exhaustif des sommaires de chaque numéro.
HM : Êtes-vous en recherche de numéros particuliers ?
JPM : Nous recherchons tous les numéros en lacune dans les collections (voir le site) et il y en a encore beaucoup !
Nous souhaiterions trouver des numéros de la revue belge : Phases où a publié pour la première fois Pierre Dhainaut, et la livraison du numéro triple 7-8-9 de la revue italienne de Mario Dessy, POESIA publiée en 1920 recueillant des inédits de Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Pierre Reverdy, Philippe Soupault, Jean Cocteau, etc.
HM : Dans quel lieu est hébergée aujourd’hui cette bibliothèque d’un genre particulier ? Et est-il possible de consulter dans la totalité, d’une manière ou d’une autre, un ou plusieurs numéros de revues ?
JPM : La Poéthèque bénéficie, pour l’heure d’un local municipal aménagé par la commune sur des racks mobiles s’étalant environ sur 1000 m linéaires.
La consultation peut se faire in situ. Une salle de lecture est alors mise à disposition du lecteur sur réservation et les documents sélectionnés à la demande à partir du répertoire de la base de données du net.
HM : Au cours des nombreuses années de fonctionnement avez-vous une anecdote une histoire ou une rencontre particulière autour de la cave littéraire ?
JPM : Parmi les nombreuses activités de La Cave Littéraire, il en est une assez représentative du dynamisme de la structure : « Le Plus Petit des Festivals Européens ». C’est un Festival forain de poésie avec lectures, performances, expositions d’art plastique, danse, musiques, réalisé chez un particulier disposant dans la campagne dauphinoise d’un espace susceptible d’accueillir une telle manifestation. Chaque festival se déroulant dans des lieux toujours différents, du Château de Virieu à la Grange du Pin, ou de l’atelier d’un potier à une peupleraie des bords du Rhône, etc. majestueux ! Chaque festival donnant lieu à de multiples anecdotes avec des personnages comme Julien Blaine, Serge Pey, Patrick Henri Burgaud ou Georges Hassomeris...
HM : Est-il possible de vous envoyer des titres de revues ? Et de quelle manière ?
JPM : L’objectif de la Poéthèque reste avant tout le désir de faire sortir de l’ombre un grand nombre de poètes ayant un jour ou l’autre publié en revue ou d’informer le grand public de textes ou d’entretiens d’auteurs connus dans des revues parfois « confidentielles ». Et par un simple clic retrouver le document précis de sa publication. La base permet aussi de voir précisément, dans le temps, le parcours revuistique de chaque auteur.
L’envoi de titres est toujours apprécié à partir du moment où celui-ci s’accompagne d’un exemplaire de la revue. Plus de 600 000 noms de poètes ou écrivains y sont à ce jour répertoriés. En sélectionnant sur la base de données un patronyme ou un thème, on dégage immédiatement un nombre d’occurrences précis relatif aux choix déterminés. C’est purement fabuleux. Les témoignages de satisfaction sont particulièrement éloquents ou inattendus, comme par exemple celui du responsable du Dictionnaire Michel Butor, qui découvrant le site, s’aperçoit qu’un certain nombre de références relatif précisément à Michel Butor, lui avait échappé...
HM : Je vous remercie.
Pour toutes informations, s’adresser à : poetheque.villefontaine (at) Gmail.com ou à La Poéthèque de La Cave Littéraire, Maison de Poésie, espace Jacques Prévert, 90, avenue de La Verpillière 38090 Villefontaine.
Tel : 07 81 93 54 09