Entretien entre Jean Antonini et Cécile Guivarch
L’association francophone de haïku, peux-tu cher Jean Antonini, nous en parler ? Quand est-ce que cette association a été créée ? Quelles sont ses activités ? Comment êtes-vous organisés ?
L’AFH a été créée en 2003 par Dominique Chipot, Daniel Py et Henri Chevignard. Je suis le n°4 dans les adhérents. Et j’ai pris la place de président en 2006.
Activités : promouvoir le haïku, avec une revue GONG, des éditions, un concours annuel, un festival tous les 2 ans.
C’est une association loi 1901, avec un bureau et un C.A. de 9 membres.
De cette association, naissent une revue : GONG et une collection de haïkus Solstice. Quelques mots sur chacune de ces activités ? D’où est venue la nécessité pour l’association de diffuser ainsi le haïku ? Vous êtes donc une équipe, comment fonctionnez-vous ? Un petit mot sur chacun des membres ?
La revue GONG paraît à chaque saison, depuis 15 ans maintenant. Elle propose un dossier sur un point particulier : « Haïkus irréguliers », « Corps et haïku », « développement personnel » ; elle présente un poète étranger, des notes de lecture, des sélections des lecteurs, des éléments pédagogiques et théoriques, annonces, courrier.
Les éditions : Les solstices paraissent en janvier et juillet et proposent des haïkus d’un auteur.e francophone. Le dernier est Christophe Jubien.
Nous publions aussi des livres plus importants : Zestes d’orange, une anthologie de 131 auteur.es publiées dans la revue ; Jours d’école, des haïkus sur l’école, de la rentrée aux vacances, d’auteur.es de tous âges,...
Nous avons fait des festivals (3 jours) à Nancy, Paris, Montréal, Lyon, Martigues, Vannes, Québec...
L’équipe de l’AFH est formée de poètes fondus de haïkus, comme moi ; les co-présidents sont Eric Hellal, trésorerie et poèmes sur le travail en usine, isabel Asunsolo, qui prépare festival et édition et entretient les relations avec des poètes de haïku hispanisant ; personnellement, je m’occupe de la revue et de distribuer les livres ; Bikko, vit à Poitiers, et dirige le comité de sélection des solstice où travaille Louise Vachon,de Rimousky, Canada ; Bikko a aussi créé une page FB avec Françoise Lonquety ; Geneviève Fillion, de Montréal, fait le secrétariat et éléonore Nickolay s’occupe des sélections de poèmes pour GONG ; quant à Kent Neal, que j’ai rencontré à Lyon (il est natif de l’Oregon) il dirige le site web depuis peu. Danyel Borner est spécialiste de tout ce qui concerne image et son. Donc, l’équipe est disséminée sur l’espace francophone et très active !
La revue GONG, on y trouve des dossiers, des articles de réflexion sur le haïku : comment se construit chaque numéro ?
La revue a un comité de rédaction qui choisit les thèmes abordés : « présence de l’auteur.e » ; « les chats » ; « nommer les plantes » ; « peut-on écrire un haïku en français ? » ; « l’art de la suggestion »...
Isabel Asunsolo et Klaus-Dieter Wirth se chargent de présenter un poète étranger, le plus souvent européen ou d’Amérique latine. Je fais les notes de lecture. Les sélections sont préparées par Eléonore Nickolay. Les questions pédagogiques sont souvent abordées par Isabel et les questions théoriques par Klaus-Dieter.
C’est moi qui fait la mise en page, et envoie les exemplaires à 250 abonné.es. Je fais ça depuis 2006 et j’aime bien. Je pense que la revue et son contenu se sont beaucoup améliorés depuis une dizaine d’années.
La revue donne la sensation que le milieu du haïku est très actif : événements, concours, des revues, des livres, salons, festival, en France mais aussi dans le monde avec la mise en valeur dans la revue de haïkus en d’autres langues : est-ce ton sentiment également ?
Oui, oui, tout à fait. D’abord, nous avons beaucoup augmenté nos adhérents : de 200 à 250 depuis 2016. Les poètes de haïku sont des passionnés et il me semble qu’ils s’impliquent de plus en plus dans les activités de l’AFH. C’est intéressant de s’étendre à l’espace francophone car nous avons des points de vue différents. Par exemple, les amis du Canada écrivent bien plus sur la nature que les poètes français.Et puis, le haïku a essaimé du Japon (en 1905) en Europe, puis en Amérique, et se pratique aujourd’hui dans de nombreux pays. Donc, cela crée des liens internationaux. Le comité de rédaction de GONG comprend Isabel, espagnole, Klaus-Dieter, allemand. Et notre webdirecteur est américain.
Depuis que je pratique le haïku, j’ai beaucoup voyagé avec le poème court : festivals au Canada, à Londres, à Bad Nauheim, à Constantza, à Tokyo, à Parme. Il y a des passionnés de haïku partout ! En fait, ce qui permet ces rapprochements, c’est la forme fixe 5-7-5 + kigo/mot de saison + kireji/césure. Elle est commune à tous et crée du lien. D’autre part, un poème court favorise les échanges et de nombreux poètes publient des recueils à deux, trois ou plus...
Et toi, comment as-tu découvert le haïku ? Te souviens-tu de ton premier haïku ?
J’ai découvert le haïku dans Fourmis sans ombre-Le livre du haïku, de Maurice Coyaud, en 1980. J’ai tout de suite aimé ce poème qui fait beaucoup de place au silence et qui met en avant un certain dénuement du langage. Mon poème préféré à l’époque était de Yosa Buson (poète japonais du 18° siècle) :
J’ai acheté des oignons
par le bosquet dénudé
je rentre à la maison
Ca correspondait bien à mes goûts domestiques. Ca aurait pu être écrit aujourd’hui même. Et puis, j’étais époustouflé qu’un texte si « pauvre » ait pu arriver sous mes yeux, depuis un Japon du 18° siècle.
Mon premier haïku, c’était :
Il était une fois
une vieille femme
et elle mourut
Il a été publié dans la revue Verso, à laquelle je collaborais avec Claude Seyve. Il m’a fallu quelque temps pour m’apercevoir que ce mini conte n’avait rien à voir avec le haïku. J’ai écrit celui-ci qui a été assez apprécié des lecteurs :
Le monde est un grand mystère
dit-il en regardant
un carré de poireaux
Tu remarqueras que la forme n’est pas 5-7-5, mais quand on commence, il vaut mieux s’attacher à l’esprit ironique et simple du haïku plutôt que compter des syllabes.
Ce qui est étonnant de lire dans GONG c’est la diversité que prend le haïku, parfois le 5/7/5, l’aspect de la nature qui caractérise le haïku japonais ne semble pas toujours présent, pour autant, ce sont des haïkus, tout évolue en haïku, comme dans tout art, me semble-t-il, quel est ton point de vue sur la question ? Quand peut-on dire qu’il s’agit d’un haïku ou pas ?
Evidemment, il y a des bons haïkus et des moins bons. C’est un genre qui est très populaire au Japon et tous les japonais ne sont pas des poètes exceptionnels. Dans l’espace francophone, la pratique du haïku est assez répandue. On peut voir des poèmes très éloignés du haïku écrits par des gens qui n’ont pas bien compris le genre. Un bon haïku n’est pas forcément 5-7-5, mais il offre du non-dit, du silence, du jeu, de l’ironie. Celui-ci par exemple dans le dernier GONG :
soleil d’automne (c’est le kigo/mot de saison)
à regret baisser le store
pour voir l’écran
Bikko
La ligne 1 relie le poème à la saison. Entre la ligne 2 et la 3, la césure entre store et écran. Du jeu. et on imagine bien la scène : quelqu’un qui travail sur l’ordi et qui rêve d’aller faire un tour au soleil d’automne (tout ça suggéré).
Par contre, celui-ci est difficile à décrypter :
le fleuve roule
flots abondants
ville en ruine
Les lignes 1 et 2 font double emploi, on ne peut pas situer le poème, même si on peut imaginer ce genre de scène à la télé, mais je pense que les lecteurs n’accrocheraient pas.
C’est un genre difficile à pratiquer, mais il a l’avantage de sembler simple et j’ai souvent vu des élèves s’y risquer pour cette raison, et pour la raison qu’ils peuvent y dire des choses intimes, avec la distance de la concision.
Et pour finir, quels sont les prochains événements au programme pour l’association ?
Cette année, nous allons restructurer le site AFH. Kent Neal est en train de plancher là-dessus.
Nous préparons un livre pour écrire des haïkus entre parents et enfants.
Pas de festival prévu en 2018, mais en 2019, nous serons en Espagne pour 5 jours, dans le lieu où aborda un samouraï au 17° siècle. C’est une rencontre régulière et très sympathique.
Et puis, les salons : Paris, marché de la poésie.
Je vais à Cabourg pour parler de haïku début mars et je suis invité au Canada en juillet pour une rencontre de haïku annuelle, au Festival de Trois-Rivières.
Le site de L’Association Francophone du Haïku
Extraits de L’eau sur la feuille de songe, Vincent Hoarau, collection Solstice
chez la fleuriste
je n’ai d’yeux que pour elle
la pivoine*
retour des beaux jours
un arbre
sifflote
Extraits de Colchiques, Véronique Dutreix, collection Solstice
craquement d’un bois
de châtaigner dans le feu
- à qui parler ?*
avant que la pluie
ne devienne grêle
si bref chant du merle
Extraits de Au creux de nos gorges, Hélène Boissé - Jean Antonini, collection Solstice
le silence de l’autre
pas même une corneille
n’a pu l’atteindrePointes des branches
Pour ne pas se sentir seul
il suffit d’un arbre
Extraits de L’année où ma mère est née au ciel, Christophe Jubien, collection Solstice
Tôt ce matin
ma mère est morte
je vais chercher le pain*
Printemps, été, automne, hiver -
la brouette oubliée
sous le pin