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Les Éditions des instants

mercredi 27 octobre 2021, par Cécile Guivarch

Entretien avec Stéphane Bernard,
par Isabelle Lévesque

 
Isabelle Lévesque : Qu’est-ce qui vous a amené à créer une maison d’édition ? Est-ce un projet personnel ou celui d’une équipe ? Êtes-vous vous-même auteur ? Avez-vous travaillé pour un autre éditeur ?

Stéphane Bernard : Les éditions des instants sont nées d’une envie de valoriser aussi bien la création contemporaine que de grands textes du passé quelque peu oubliés. Nous sommes pour le moment deux dans cette aventure ; je m’occupe surtout de toute la partie éditoriale ; l’autre personne des aspects plus techniques et de la promotion. Je ne suis par ailleurs pas auteur et je n’ai jamais eu d’expérience dans le monde de l’édition que je découvre avec beaucoup de plaisir.

I.L. : Quelles collections avez-vous créées (ou allez-vous créer) ? Quelle est / quelle sera la place de la poésie dans vos publications ?

S.B. : Nous avons créé 3 collections :

Portraits : Collection constituée de rééditions ou textes contemporains proposant des portraits d’écrivains et de penseurs. Notre volonté est d’offrir des textes érudits mais non académiques. Nos livres Vues sur Baudelaire et Portraits de pessimistes (paru le 7 octobre) font partis de cette collection.

Florilèges : Collection d’anthologies de grandes œuvres du passé. Notre volonté est de redonner toute la complexité et la diversité de ces œuvres en un seul livre. Nous publierons par exemple, en novembre, un florilège des Carnets de Joseph Joubert, avec pour titre Le courage d’être heureux (préfacé par Christiane Rancé).

Inédits : Collection regroupant des textes jamais édités. Notre volonté ici est de montrer “l’œuvre en marche”, en publiant des carnets, des correspondances, des journaux intimes. Nous publierons par exemple, en mars 2022, un premier volume des Carnets inédits du grand écrivain Paul Gadenne (1907-1956) : Le long de la vie (premiers carnets qui vont de 1927 à 1937). Par parenthèse, nous publierons l’intégralité des carnets inédits de Paul Gadenne sur plusieurs années.

La poésie occupe dans notre maison une place égale à tous les autres genres littéraires. Si parmi les textes que nous recevons seuls ceux de poésie nous touchaient, nous ne publierions que de la poésie. C’est la rencontre avec un texte qui est primordiale pour nous.

I.L. : Ô saisons, de Denise Le Dantec, et les Vues sur Baudelaire d’André Suarès circonscrivent-ils le périmètre de la poésie que vous comptez éditer ?

S.B. : Nous sommes tout à fait ouverts à différentes poésies. En ce sens ces deux textes ne circonscrivent pas ce que nous publierons en poésie.

I.L. : Pourquoi appeler votre maison « Éditions des instants » ? Est-ce une référence poétique ou philosophique ? Ce nom a-t-il un rapport avec le type de livres que vous souhaitez publier et défendre ?

S.B. : Le nom de notre maison d’édition est en rapport direct avec ce que nous souhaitons éditer. Nous sommes intéressés par les œuvres qui retranscrivent et transmettent au lecteur des instants intensément vécus et particuliers ; instants qui structurent l’écriture et la composition du texte. La référence en l’occurrence serait alors plus existentielle, sans la borner à un champ de pensée ou à des catégories. Pour illustrer notre ligne éditoriale, nous avons repris une citation de Robert Musil : « Il y a toujours quelques instants qui ne ressemblent à rien d’autre. » Nos livres sont des invitations à ces instants.

 

 

I.L. : Combien de livres par an envisagez-vous de publier ? Et combien pour la poésie ? Parmi vos premières publications, on relève deux rééditions (le livre de Suarès et les Portraits de pessimistes de Paul-Armand Challemel-Lacour). Rééditerez-vous également des recueils de poésie ?

S.B. : Nous avons envisagé de publier cinq à six livres par an. Mais nous n’avons pas de limite a priori, cela dépendra surtout des lecteurs. Pour le moment nous n’avons pas de projet de réédition de livre de poésie, ce qui ne dit rien de l’avenir car de tels projets pourraient parfaitement rentrer dans notre ligne éditoriale.

I.L. : Quels sont vos modes de diffusion ? Vos livres sont-ils disponibles dans des librairies ? Peut-on les commander par internet ou par courrier ? Participerez-vous à des salons ou des marchés du livre en général ou de la poésie en particulier ? Assurez-vous un service de presse ?

S.B. : Quand nous avons vraiment lancé notre projet éditorial, il y a huit mois, nous avons eu la chance d’intéresser un diffuseur/distributeur. Nos livres se trouvent donc en librairie, en France et en Belgique. Ils peuvent également être commandés sur notre site (editionsdesinstants.fr). Je dois avouer que nous ne nous sommes pas encore beaucoup penchés sur les salons ou les marchés. Il est difficile de tout faire. Mais nous avons la volonté de participer à ces événements et nous avons été présents par exemple au marché de la poésie d’octobre 2021. Nous serons aussi au salon du livre indépendant au mois de novembre. Pour ce qui est des services de presse, nous les assurons de la façon la plus large possible.

I.L. : Quelles sont les caractéristiques communes aux livres que vous publiez ? Format, reliure, type de papier ? Quelle en est la fourchette de prix ? Quel est le tirage initial ? Souhaitez-vous défendre une ligne éditoriale ?

S.B. : Nous sommes très attentifs à la facture des livres. Nos livres, au format 13*21 cm, sont par exemple imprimés en cahiers cousus, avec des papiers italiens de couverture. Malgré le coût de ce type de conception, avec une impression en France et à 500 exemplaires minimum, notre volonté est que nos prix se maintiennent entre 14 et 18 euros. Cette exigence vis-à-vis de « l’objet livre », avec l’exigence concernant les textes, fait intégralement partie de notre ligne éditoriale ; ligne que nous voulons plus que défendre puisqu’elle est la raison d’être de notre maison d’édition.

I.L. : Acceptez-vous de recevoir des manuscrits par la poste ou par internet ou préférez-vous contacter vous-même les auteurs ? Comment choisissez-vous ceux que vous éditez ? Avez-vous un comité de lecture ou prenez-vous personnellement la décision ?

S.B. : Oui, nous recevons tous les manuscrits, plutôt par email lorsque cela est possible. Il nous arrive aussi de contacter des auteurs, si nous aimons leur travail et pour des préfaces. Pour choisir les textes, choix qui se font à deux, nous pouvons dire que nous avons trois « critères » : l’adéquation avec notre ligne éditoriale, l’exigence concernant l’écriture et la pensée, le coup de cœur.

I.L. : Qu’attendez-vous en poésie ? Quelles écritures vous touchent, plaisent, intéressent, bouleversent ?

S.B. : J’ai bien du mal à répondre à cette dernière question, car je n’attends rien de la poésie, pas plus que des autres genres littéraires. Nous recevons des textes, les lisons, et s’ils correspondent à nos « critères », nous les prenons. Tout est affaire, encore une fois, de rencontre. Et n’y a-t-il pas de meilleures rencontres que celles qui n’impliquent aucune attente ?

 

EXTRAITS

Date de parution : 10 juin 2021 ; 148 pages ;
21,00 x 13,00 cm ; broché ; ISBN 978-2-491008-08-6

 

Denise LE DANTEC est une poète française née le 3 mai 1939 à Morlaix (Finistère). Après des études supérieures en philosophie à la Sorbonne, elle a publié une trentaine d’ouvrages parmi lesquels plusieurs sont consacrés à l’esthétique et à l’histoire des jardins.

 

EXTRAIT 1 :

Ciel rose vapeur.

Cinq doigts frais sur le bras. Trois gouttes dans l’œil.

Les marguerites ont un pied court.

Le monde nous tient.

 

EXTRAIT 2 :

Une forêt dans la forêt. Un étang. Des arbres autour

Des fleurs blanches.

Le hautbois est l’aubépine. L’aubépine, le mot-oiseau.

Les sifflements de l’air. Les campagnes. Les rivières.

Le jour et son envers — le bleu cascade.

Je cherche l’archaïque au fond de l’élan.

 

Date de parution : 7 octobre 2021 ; 218 pages ;
21,00 x 13,00 cm ; broché ; ISBN 978-2-491008-04-8

 

Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay-aux-roses, agrégée de philosophie, maître de conférences en philosophie antique et en esthétique littéraire (auteur, entre autres, de La poéthique. Paul Gadenne, Henri Thomas, Georges Perros, 2011), Marie-Hélène Gauthier signe ici un livre où elle offre un corps de langage à la sensibilité de l’intériorité, à tout ce qui dit en ne se disant pas.

 

EXTRAIT :

 
« L’arrêt du train sur le quai d’une gare la réveilla. […] Il faisait nuit noire alors, il était tôt, un horaire auquel elle ne s’était jamais habituée. Tout paraissait irréel, les silhouettes condamnées qui arpentaient les rues, les quais, quand tout ailleurs dormait encore d’un sommeil paisible d’abandon. L’appel de la maison résonnait si fort alors, elle rêvait de trains annulés, de journées de grève nationale, d’événements qui auraient tout bouleversé, intimé l’ordre du repli, la rupture des jours ordinaires, parce que ceux-là ne l’étaient jamais, qui exposaient au froid, à la lumière vibrante et laiteuse des réverbères, aux ombres des arbres qui veillaient peut-être, à la chape de noir qui coulait comme du plomb sur les épaules, aux bras qui ne demandaient qu’à tomber, parce qu’il n’y en avait pas d’autres pour les enlacer. »

Date de parution : 7 octobre 2021 ; 178 pages ;
21,00 x 13,00 cm ; broché ; ISBN 978-2-491008-06-2

 

Philosophe, traducteur, critique littéraire et homme politique, Paul-Armand CHALLEMEL-LACOUR (1827-1896) a écrit notamment : Études et réflexions d’un pessimiste ; La Philosophie individualiste : étude sur Guillaume de Humboldt.

 

EXTRAIT : Début du portrait de Shakespeare
 

On s’endort tard en hiver dans la rue de Bourgogne.
C’est le quartier des ministres et des ambassadeurs. Le monde tomberait de cataclysme en cataclysme sans leur vigilance ; aussi est-il nécessaire qu’ils dansent toute la nuit pour se tenir l’œil ouvert, et qu’ils dînent longtemps pour soutenir le fardeau de nos destinées. Pourquoi faut-il, hélas ! que ceux qui s’amusent fassent veiller ceux qui travaillent ! Je n’ai plus mon sommeil d’enfant pour résister à ces roulements de voitures, qui ébranlent le pavé à chaque minute, et qui font frémir les maisons jusqu’aux combles ainsi que des feuilles de peuplier.
Une insomnie paisible, doucement occupée par quelque rêverie agréable, telle que celle que le thé me procure, ne me déplaît pas trop. Mais rien ne m’est plus pénible que d’être brusquement arraché à mon premier sommeil par l’affreux grondement d’une voiture. La brutalité de cette manière de réveiller les gens, et la mauvaise humeur qui résulte ordinairement de ce réveil, me coûtent assez souvent toute une nuit. Je ne sais vraiment pas par quel inepte scrupule le nouveau régime, en ramassant les morceaux de l’ancienne noblesse, s’est abstenu de revenir aux chaises à porteur, véhicule charmant, mystérieux, silencieux qui n’a de rival que la gondole ; d’ailleurs, l’emploi des bêtes de somme à deux pieds est éminemment aristocratique.
J’ai donc pris l’habitude de ne me coucher que lorsque la dernière voiture est rentrée : je sais par cœur tous les équipages de mon quartier. Un soir de l’hiver passé (c’était, je m’en souviens fort bien, le 17 février, vers onze heures), je m’étais assoupi au coin du feu en feuilletant le livre du Dr Drake sur Shakespeare. Honni soit qui mal y pense ! Le livre du Dr Drake, très savant et très intéressant, n’était pour rien dans cette surprise du sommeil : la même chose eût pu m’arriver en lisant Merlin l’enchanteur ou la Revue des Deux Mondes.
Je venais de lire une excellente description des mœurs et de la manière de vivre au temps de Shakespeare. Quelque admirable que soit cette époque, je me félicitais de ne pas vivre dans un temps où l’on ne pouvait mettre le pied, le soir, hors de chez soi sans être exposé à tomber dans les ornières ou dans les voleurs ; je me savais bon gré d’être né à l’époque du gaz et de la police plutôt que dans ce XVIe siècle si grossier encore, si violent et si sanguinaire ; et par un mouvement naturel, je m’étais mis à passer en revue les mille douceurs de la vie moderne, les lampes carcel, les cheminées à manteau, les tapis de feutre économique, toutes jouissances dont il eût fallu me passer alors, sans parler de la politesse des mœurs et des sergents de ville à tous les coins de rue. J’avais laissé peu à peu tomber le livre sur mes genoux, puis je l’avais fermé en tenant le doigt entre les feuillets à l’endroit où je m’étais arrêté ; ensuite j’avais coulé lentement dans mon fauteuil par l’effet graduel de la méditation, j’avais baissé les paupières pour ne laisser m’échapper aucune de ces riantes images, — et je m’étais endormi.

Date de parution : 10 juin 2021 ; 286 pages ;
21 * 13 cm ; broché ; ISBN : 978-2-491008-03-1

 

Gabriel Lévi est né à Chartres en 1990. Il vit et étudie l’esthétique littéraire à Paris. Eugénie et Eugenia est son premier roman.

 
EXTRAIT :
 

« Le pont des Arts ouvrit la Cour Carrée. Eugénie et Andrea franchirent la porte Champollion et, protégés par les hautes pierres, ils n’entendirent plus que des bruits atténués. La cour et ses bancs étaient presque vides. Aux étages, des ombres circulaient entre les fenêtres, allant d’œuvre en œuvre. Ils s’assirent sur la margelle de la fontaine et restèrent silencieux. Eugénie, qui avait étudié le Pavillon de l’Horloge dans un cours d’histoire de l’art, commença à examiner ses cariatides. Andrea la regardait du coin de l’œil.
Lorsqu’une rafale de vent s’infiltra dans la cour, Andrea vit qu’une goutte d’eau venait de se perdre sur le visage d’Eugénie. Elle sentit sa fraîcheur, l’effaça du plat de la main et la fit revivre sur la joue d’Andrea. Il sourit.
« On continue ? » demanda-t-elle. »

Date de parution : 10 juin 2021 ; 192 pages ;
21,00 x 13,00 cm ; broché ; ISBN 978-2-491008-05-5

 
André SUARÈS (1868-1948) fut essayiste, polémiste, critique et, avant tout, poète. Ce « pilier de la NRF », comme l’appelait André Gide, fut un maître pour André Malraux, Henry de Montherlant ou Stefan Zweig. Son œuvre, composée dans une langue souveraine, est d’une actualité brûlante.

 
EXTRAITS :
 

« Puisque le poète, entre tous les hommes, est celui qui crée son objet, nul ne fut plus poète que Baudelaire. C’est pourquoi il ne le sera jamais au jugement des esprits parasites, que le vent de la rhétorique soulève seul de la crasse des livres. Écartons d’abord les chenilles de bibliothèque et le droit qu’elles prennent de juger souverainement les vers […]. Je ne peindrai donc pas Baudelaire pour les menus pions de l’échiquier, mais seulement pour les cavaliers ou les fous… »

« On n’échappe pas à Baudelaire. Toute l’Europe l’a lu et s’en inspire. La Chine même le connaît. Il révèle leur destin en esprit à tous les vieux peuples, et il annonce le leur à ceux qui se croient jeunes, risibles pantins de la vanité. Comme s’il y avait loin de la naissance à la mort. Sur le seuil de son Apocalypse, il fait signe au lecteur, où soit-il, qui doit le lire, et il l’appelle : « Mon frère » ; et ceux qui ne l’ont pas lu, le liront. »

« Voilà l’étrange merveille de Baudelaire, et comment il a coulé une poésie nouvelle dans les formes de l’ancienne. Grand par là, et de la grandeur la moins commune. Il est une façon de sentir avant Baudelaire, et une façon de sentir après lui. Tout vient de la force qu’il a mise dans la révélation de l’homme intérieur. »

Pour en savoir plus sur les Éditions des instants :

https://editionsdesinstants.fr
https://www.facebook.com/editions.desinstants.98
https://www.instagram.com/editionsdesinstants


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1 Message

  • Les Éditions des instants Le 18 décembre 2021 à 08:22, par massot jean-louis

    Découvert cette maison d’édition avec le très beau livre de Marie-Hélène Gauthier « La nuit des choses ». Des choix et des réalisations de qualité. Bravo aux éditions des Instants Longue route !

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