« En activité réduite, comme une petite lampe allumée en permanence, de façon durable et attentive
à l’environnement dans lequel nous vivons, La Veilleuse s’engage à faire découvrir des façons inédites d’appréhender, de narrer, ou d’écrire le monde ». C’est la devise de l’édition. Je songe à la lampe évoquée par Gaston Bachelard dans La flamme d’une chandelle : « On a rêvé de la lampe qui donne une vie lumineuse à une matière obscure. Comment aussi un rêveur de mots ne serait-il pas ému quand l’étymologie lui enseigne que le pétrole est de l’huile pétrifiée ? Des profondeurs de la terre, la lampe fait monter la lumière. Plus vieille est la substance qu’elle travaille, plus sûrement la lampe est rêvée dans son statut de créature créante ».
Et me revient aussi à la mémoire La lampe allumée si souvent dans l’ombre, un essai sur la poésie et les poètes d’Ariane Dreyfus, qui dit de la poésie qu’elle est « à vivre, non parce qu’elle nous dirait quoi que ce soit de la vie, mais parce qu’elle nous fait battre le cœur. Non parce qu’elle exprimerait des sentiments qui auraient eu lieu, mais parce qu’elle nous veut, maintenant et dans le monde ». Il me semble que des collections de poésie comme « Le verre ardent » des éditions La veilleuse travaillent en ce sens. Fragile lumière dans le temps, menacée, mais qui persiste.
Né en 1991 en Franche-Comté, au cœur de la Grande Brasserie d’Audincourt, Arthur Billerey est éditeur, poète et critique littéraire. Il a travaillé aux éditions de l’Aire et aux éditions d’en bas. Il vit à Vevey et lit chaque jour de la poésie. L’un de ses propres livres, La ruée vers l’ombre, publié par les éditions Empreintes, a obtenu le prix Rimbaud en 2023. Florence Schluchter Robins, née à Bern, a grandi ailleurs, en anglais. De retour en Suisse, elle a découvert Ramuz, Agota Kristof ou Alice Rivaz lors de son apprentissage de libraire à Neuchâtel. « J’ai retrouvé en Suisse romande cette écriture généreuse qui me touche dans la littérature anglophone, mais aussi un goût pour les choses simples et pour la nature », dit-elle tandis qu’Arthur Billerey affirme : « J’ai trouvé dans la littérature romande une vivacité incroyable. Je n’ai jamais compris pourquoi on ne connaissait pas mieux ces auteurs », ce à quoi je m’accorde volontiers. Nous sommes ignorants d’une bonne part de la littérature francophone lorsque nous ne lisons pas la littérature suisse, ce qui est trop souvent le cas. Il est vraiment nécessaire de faire connaître la littérature de Suisse romande de ce côté de la frontière et plus particulièrement sa poésie.
Éditer, aujourd’hui, c’est se reposer la question de la fonction sociale du livre et de la lecture. « Lire, pour nous, c’est se réveiller, s’émouvoir, étoffer sa connaissance, voyager dans le temps, changer de corps, aimer autrement, s’interroger, contester, questionner les valeurs et les croyances de l’idéologie dominante ». On pourrait imaginer la lecture comme une sorte de résistance et toute la littérature comme l’effectuation d’un cercle vertueux – écrire, éditer, lire – propre à susciter l’apparition de « l’écriture invisible » à laquelle réfléchit Toni Morrison lorsqu’elle affirme : « Ecrire la lecture [...] implique d’amener par ruse le lecteur à pénétrer dans des environnements situés hors des pages. De disqualifier la notion de texte stable au profit de celle d’un lecteur dépendant d’un lecteur actif et activé, qui écrit la lecture ... dans une encre invisible ». Ruse, je ne sais pas, car il aura fallu que l’écrivain s’aventure lui aussi dans l’inconnu et que l’éditeur donne ses chances au livre. Mais mouvement de la pensée en relations d’interdépendance, certainement. Mouvement et résistance au mouvement, transformation des mouvements.
Les éditions La veilleuse ont ouvert plusieurs collections, elles ont toutes un beau nom qui rappelle celui des éditions : pour le roman la collection « Nuit blanche », Récit insolite « Feu pâle ». Beau livre « LUX », une collection de poche « Lueurs » et pour la poésie, donc : « Le verre ardent ». Un nuancier de la lumière, fragile, mais vivace. Verre ardent ? Peut-être même peut-on imaginer le travail du verrier, le moment où le verre prend forme par le souffle et la rigueur du geste, l’attention et la tension à leur acmé. « Il s’agit alors d’explorer la littérature contemporaine et ses marges, comme l’écriture issue des franges urbaines, ou de toute forme alternative de la pensée et de créer de beaux livres ».
« Publier moins, pour publier mieux » pourrait être notre leitmotiv, dit Arthur Billerey. « Accompagner pleinement chaque projet éditorial, avec un suivi de proximité, un travail de correction, une réflexion artistique ¬rigoureuse, le tout porté par une ligne graphique soignée », couverture sans illustration pour la collection poésie et seulement graphique pour les autres. Couleurs très présentes, mais comme en retrait dans le papier. Tout se fait léger pour laisser toute la place au langage, en inventant une sorte de résistance à la standardisation de la langue, une manière d’être politique même si cela semble l’être d’une manière très indirecte. Être vigilant en matière de langage est important, essentiel pour toute tentative de littérature consciente d’elle-même et de ses fondements.
La poésie – richesse de la polysémie et des rythmes créateurs – s’emploie plus que tout autre mode d’expression à interroger la langue et à la pousser hors des chemins convenus, des formes contraignantes parce que devenues vides. C’est une des raisons pour ouvrir une collection, mais Arthur Billerey est aussi poète, il ne saurait évidemment se passer d’en éditer. Entre classique et actuel (dans le bon sens du terme, c’est-à-dire présent au monde dans lequel nous vivons et que nous sommes), quelle que soit la collection, les deux éditeurs privilégient toujours ce qu’ils perçoivent comme une originalité.
Déjà sept titres au catalogue dans la collection « Le verre ardent », collection qui n’oublie pas d’aborder aussi le domaine de la traduction (les livres se présentent alors en version bilingue). Le dernier titre en date est une anthologie de jeunes et moins jeunes poètes romands sur le thème de l’enchantement, au pluriel. Arthur Billerey, dans la préface, s’interroge : « Que reste-t-il de nos (dés)enchantements ? Quels liens entretiennent le charme, l’incantation et la magie dans nos poèmes contemporains ? La poésie est-elle assez forte, assez puissante pour conjurer la nuit ? Que formule-t-elle de nos présents, de nos avenirs ? Que nous permet-elle de distinguer, d’ouvrir, en tout cas de pressentir ? »
Comme je trouve ces livres très beaux et très simples – la mise en page des livres est réalisée par Maxime Levy – je n’hésite pas reproduire encore la couverture de quelques-uns de ces livres. Je les trouve aussi discrets et intenses que la petite lampe dont il est question lorsqu’on évoque une « veilleuse ». et par ailleurs « Repères, repaires » propose des notes critiques sur deux d’entre ces livres dans ce numéro de terreaciel.net : La Maison vide de Yari Bernasconi (traduit de l’italien), Je ne vis pas dans un jardin de roses, anthologie de poèmes de Maria Mercedes Carranza (traduit de l’espagnol).
Les locaux et le siège des éditions se trouvent à la fois en France et en Suisse, une autre manière de traverser les frontières et de défier toutes les sortes de clôture...
Le siège des éditions se trouve à Lausanne et le bureau des expéditions à Renens. Nos livres sont aussi stockés chez notre distributeur et diffuseur POLLEN/CEDIF en France à La Ferrière et chez notre distributeur diffuseur l’OLF en Suisse à Fribourg.