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Editions Potentille

mercredi 12 octobre 2016, par Cécile Guivarch

Entretien avec Anne Brousseau par Cécile Guivarch

Comment sont nées les éditions Potentille ?

Elles sont nées de l’Impertinente, une collection d’opuscules que j’ai menée durant plusieurs années. Il s’agissait d’une page A4 pliée en forme de signet, avec déjà en couverture la présence d’un plasticien, et à l’intérieur 4 petites colonnes pour mettre des poèmes.
J’ai ainsi publié des poètes que l’on a retrouvés ensuite dans le catalogue de Potentille : Marcel Migozzi, Ludovic Degroote, Roger Lahu, etc.
La collection a duré ainsi plusieurs années. Puis du temps a passé, et l’envie est revenue de « faire quelque chose » en poésie… avec cette fois l’idée de livrets.

Je me suis toujours demandé, d’où vient ce nom : « potentille » ?

C’est tout simple. Je voulais le nom d’une fleur pour une métaphore que j’avais en tête. A mes yeux, la poésie contemporaine est comme un paysage : il y a de grands éléments, des moyens, des petits, des flamboyants, des discrets, et c’est le fait que chacun tienne sa place, c’est l’ensemble de tous ces éléments qui fait la beauté du paysage.

J’ai donc pris un livre de fleurs, et j’ai commencé à tourner les pages. Je voulais un mot qui ait une belle sonorité. J’en étais à la lettre P… et voilà, je suis tombée sur Potentille, et ça m’a plu.
Après, j’ai lu comment était cette petite fleur : discrète mais jolie et robuste. J’ai pensé que ça me convenait bien.

Quelle poésie avez-vous envie de défendre ?

Celles qui font un travail sur la langue, et qui révèlent de l’humain aux hommes. J’aime ces écritures où le moi de l’auteur, est un moi qui le dépasse, qui a à nous dire, nous éclairer, nous bousculer, nous emmener dans des territoires que nous n’aurions pas approchés autrement.

Comment choisissez-vous les auteurs que vous publiez ?

Le texte. C’est lui qui fait foi. Parfois je sollicite des auteurs dont j’aime beaucoup l’écriture, parfois je découvre des manuscrits que l’on m’a envoyés, parfois je tombe par hasard sur certaines écritures qui me donnent envie d’aller plus avant.

Quel est votre meilleur souvenir d’édition ?

Très honnêtement, je ne peux pas dire qu’il y en ait un parce qu’il y a eu plusieurs fois de très belles surprises entre les gens (auteurs et plasticiens), des moments précieux, enthousiasmants.

Je dirais aussi que parmi les meilleurs moments, je garde fort en mémoire ceux qui ont eu lieu avec un public totalement novice mais finalement conquis. Qui vous dit des choses comme : « c’est ça la poésie ? Ah ben alors j’aime bien ! ».

En tant que petit éditeur, rencontrez-vous des difficultés ?

Je dirais que techniquement, aujourd’hui, faire des livres, c’est facile. Un ordinateur et un imprimeur.
Le faire bien est à portée de main, si on se donne la peine d’apprendre, observer, etc.
Mais la difficulté, c’est diffuser. C’est pourquoi les festivals et marchés de la poésie sont si précieux pour les petits éditeurs, et en voir fermer boutique n’est pas une bonne nouvelle.
La « chaîne du livre » est compliquée aussi pour les petits éditeurs (distributeur et diffuseur auxquels je n’ai pas recours, libraires, médiathèques… ce n’est pas toujours simple de travailler ensemble).
Et puis le temps. N’en vivant pas financièrement, je prends sur mon temps en dehors de mon travail alimentaire, et par conséquent cela ne me permet pas d’avoir la réactivité et rapidité que j’aimerais.

Quels sont vos projets à venir en terme de publications, salons, festivals ?

Pour les publications, je veux maintenir à 3 titres par an. Et être peut-être plus attentive à de nouvelles voix/voies. Il est vrai que 3 titres sur une année ne me permet pas une grande latitude de choix éditoriaux, mais me permet tout de même de veiller à ce que régulièrement un titre paraisse d’un auteur pas ou peu connu, ou qui ouvre un nouveau champ.

Quant aux salons et festivals, continuer bien sûr.

Enfin, développer aussi les lectures, c’est très important. Notamment dans ma région (Nevers), avec la formule Poésies au logis. Il s’agit de lecture chez l’habitant. En septembre, on a reçu ainsi Jean-Louis Bergère.
L’idée est de poursuivre ce projet de manière régulière à Nevers et les environs bien sûr, mais aussi bien au-delà, en cohérence géographique avec les auteurs.
Sans négliger évidemment les librairies et médiathèques quand elles sont partantes. A propos de ce dernier point, je pense que les financements de la culture étant tels, ainsi que les orientations allant de plus en plus vers une culture-spectacle, nous devons continuer d’inventer nos formules, moyens, idées pour que les livres, encore et encore, circulent.


Extrait masque et figure, Jean-Louis Bergère

A nouveau à l’intérieur ce
tremblement vif et précis je le
reconnais là à ma tempe
battement de ciel qui saccade
de toute mon âme corps et
cœur envahis à tous les étages
ça revient à la charge une
sacrée secousse bleue
électrique à nouveau dans le
jus jour d’ivoire qui dure et
qui dure aussi longtemps la
source serait-elle vraiment
intarissable de l’eau fraîche

Extrait de prés poèmes et pommes, Thierry Le Pennec

on s’accroche à ce champ dans
____ le frais dans la pluie c’est
ça de fait on se dit quelques caisses
de plus empilées en bout de rang les oiseaux
____ dans les rouges pommes laissées
aux flèches chahutent et l’on pousse
____ dans l’herbe le tri
la grande grisaille gravant
ses traits sur l’hiver comme un train là-bas sur la ligne

Extrait de Le livre de Timothé, Isabelle Damotte

Extraits de Le livre de Timothé

Lui
il frotte tout doux ma colère
dans sa fourrure
la serre à l’étouffer
et secoue sa crinière
pour me faire rire

*

Elle, le soir
glisse des histoires
sous les draps
range mes chagrins
juste à côté des siens
qui sont guéris

*

Elle dit
il ne faut pas perdre ses chagrins
il faut leur parler
les aimer bien

*

Les jours de visites
papa sent bon
Il est presque le papa d’avant
à la maison

Les jours de visites
parfois c’est pas le bon
c’est un jour sans queue ni tête

Vaut mieux le repousser
d’un coup de pied
comme un ballon

Extrait de Nous valsons, Albane Gellé

avec le bout du pied
nous jetons querelles
dans le caniveau - nous attendons
des trains dans de petites gares
en écoutant des uns des autres les promesses
et les recommandations - nous
nous éloignons

Extrait de qui sous le blanc se tait, Erwann Rougé

on parle de tout
ce qui est sans ombre ni chemin
comme l’entre-deux

qu’on approche doucement
sitôt qu’on se démunit
de la courbure des choses

ce va de brume-et-vient
se fait encore

le silence flaque sa propre langue

Extrait de et ainsi les arbres, Michel Bourçon

en ce lieu, nous atteignons le sentiment d’être au
cœur de ce que nous sommes venu chercher. devant
nous, l’horizon nous regarde poursuivre en lui la
recherche de notre vrai visage.

Extrait de Les visages s’effacent, Philippe Païni

ici maintenant
toutes les langues
on fait la queue devant les latrines
la vie se vide mais la vie
est toujours pleine de vie

comme hier toutes les langues
elles ne parlent pas
car dans chaque langue un homme se réveille
du cauchemar
et casse la langue en deux
comme du bois sec
un morceau pour les morts
un morceau pour les mots
le bruit du craquement pour les vivants

Extrait de si mal enfouis, Ludovic Degroote

je ne sais pas ce qu’on range
dans une vie
comme une histoire
ça semble aller
sans fin

Extrait de A défaut de miracle, Geneviève Peigné

Les poèmes ne tombent pas des nuages
ils descendent des plafonds
les uns à la suite des autres

là où si peu que les yeux se lèvent au ciel
la douane
les arrête.

Extrait de La tête pas vite, Armand Dupuy

Ciel ras les cendres
lichen et pétales
_________ s’étalent, gris basculé ___ vite
sur les mains, la table - ___ restent les gants

sans toi ni travail ___ / ___ la pluie, le toit.

On se plante, un pied devant l’autre. C’est la seule façon,

rien ne presse.

On cherche des gamelles dans le paysage,
un radiateur, un mur ou quelque chose de sale

à vider.


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