Edito de Françoise Delorme
Je marche dans le monde / et j’ai mal aux pieds / le monde aussi me fait mal, écrit Ludovic Degroote dans Le début des pieds. Et les poètes ne peuvent pas ne pas écrire cela, parmi « ce qui arrive » dans la violence des jours et des nuits d’aujourd’hui. C’est un impératif, l’impératif du poème, de toute poésie quelle que soit sa langue d’expression et quelle que sa forme. Shigemoto Yasushiko écrit en haïku : Fukushima / La lune d’hiver brille / sur une ville morte. Mais il reste toujours ce chant qui me traverse dans le pépiement des jours, comme le désire Alain Roussel dans un bel entretien. Le poète Pierre Landete métamorphose en élan végétal l’eau des larmes de la lumière : Sur le seuil usé de la double porte, / la lumière a arrêté ses pas. / Elle est nue, sans volonté. / Ses larmes sont comme de l’herbe / entre les pierres d’une ruine. Car, sûrement, aucun mot qui ne puisse suivre / le courant du nerf optique / aucun mot qui ne puisse pénétrer / la beauté violente /des traces : oui, suivons cette affirmation de Jacques Roman, cette « beauté violente » pourrait rebattre les cartes, en vivante anthologie, avec de nombreux poètes invités par Florence Saint-Roch. Chaque carte peut se retourner / pour cartographier / le relief neuf du poème avance Isabelle Lévesque et, comme le confirme Sabine Dewulf, c’est vrai : Au centre de la donne / résolument couper. / Goûter, aussi frêle soit-il, / le point jailli / de source sûre. Parfois, un pas de côté, nous dit Séverine é, redistribue l’embuscade de ce jour / où l’on a réussi à s’échapper / juste en penchant légèrement la tête / incroyable et pourtant tellement simple. Bien sûr, tout n’est pas toujours aussi facile. Tout se révèle même difficile poussée dans le long cri tremblé de la chouette en automne / et tout ce vert avide de moissons nouvelles que dévoile Cécile Ouhmani. Mais il faut continuer à ensemencer la langue, même sous les menaces, tenir la poésie en proue avec Lara Dopff lorsqu’ à l’apparition des nuits, à l’instant où le lecteur ne peut poursuivre et relève la tête, nous entrons dans la lisière des chants. Ouvrir paupière et percuter le monde. Pourquoi ne pas prendre plutôt le parti d’une ironie insolente, comme Hollie McNish : nous sommes la seule espèce qui maquille ses cadavres / nous naissons / insouciants / de notre apparence extérieure / et nous aurons l’air / merdique à notre mort / mais nous serons morts / alors quelle importance. Ou alors écouter, dans le silence clair d’un retrait méditatif, Tchouang-Tseu, regardant un rouleau, cité par Kenneth White : que/ voit-il donc ce grand oiseau, qui s’élève/ si haut dans le vent ? Est-ce la matière// originelle tournoyant en poussière d’atomes ?/ l’air qui donne vie aux créatures ?/ ou la force innommée qui anime les mondes ? Dans tous les cas, le poème creuse son chemin, se fait nouveau, plongeant ses racines dans la poésie de toujours et de partout comme dans ces vers de Nathalie Diaz traduits par Adèle Carasso : Dieu nous a créées les mains / pleines d’absence, mais nous ne retournerons pas par là. / Pas maintenant, pas quand nous sommes toutes deux/ capables de nous rassasier / des banquets brodés par la nonne gitane de Lorca.
Et pourquoi ne pas, tout aussi bien, tenir tête ensemble, comme dans L’étui épistolaire rassemblé par l’artiste suisse Chantal Quéhen ? Nombre de poètes et d’artistes suisses y ont travaillé de concert à une sorte de « nous » (re)créateur ainsi évoqué, au plus noir du plus noir, par Sylvain Thévoz : De nuit nuitamment / nous irons /faire fleurir la mer.
Françoise Delorme pour Terre à ciel
Un ange à notre table
- Carole Carcillo Mesrobian
- Muriel Denis
- Samuel Florin
- Caroline Giraud
- Clélie Lecuelle
- Héloïse Roquencourt
Terre à ciel des poètes
Voix du monde
- Entretien autour de Federico Garcia Lorca, traduit de l’espagnol par Laurence Breysse-Chanet
- Haïkus & changement climatique, le regard des poètes japonais - Alain Kervern, par Françoise Delorme
- Doina Ioanid, Traduite du roumain par Jan H. Mysjkin
- Mark Hollis, traduit par Denis Hamel
- Pierre Landete - Extraits d’Itinéraires traduits en grec, en arabe et en hébreu
L’arbre à paroles
- Brasser les cartes, anthologie proposée par Florence Saint-Roch
- Territoires de la blancheur : Kenneth White en absolu, par Marc-Henri Arfeux
- Nicole Laurent-Catrice ou la voix de l’intranquillité, par Marie-Hélène Prouteau
- Billet de Christophe Stolowicki
- Chevalier ! Montre-moi tes seins ! Par Bruno Normand
A l’écoute
- Autour du feu, Françoise Delorme, Florence Saint-Roch
- Ecrits studio - Episode 2
- L’écrit du son - Entretien avec Patricia Audo & Rémy Peray, par Cécile Guivarch - suivi d’une écoute de 2 textes de Cécile Guivarch
- Le Texte impossible, suivi de Le vent effacera mes traces, Entretien avec Alain Roussel, par Isabelle Lévesque
Paysages
- Alexia Atmouni
- Phloème - textes de Françoise Matthey et des phytogravures de Chantal Quéhen
- L’étui épistolaire - ensemble de conversations à deux
- Stéphane Meunier, entretien avec Clara Regy
- Faire parler les images, à propos de La Part du désert, de Christine Durif-Bruckert et Cédric Laplace, par F. Saint-Roch
Bonnes maisons
- Blancs Volants
- Concerto pour marées et silence, revue
- Papiers d’Art, Collection et partenariat avec L’Herbe qui tremble
- Rehauts
Bonnes feuilles
- Hep ! Lectures fraîches ! par Cécile Guivarch
- Lus et approuvés, par Valérie Canat de Chizy
- Repaires, repères, par Françoise Delorme
- Lignes d’écoute par Sabine Dewulf
- L’espère-lurette, chronique po&ique, par Jean Palomba
- Itinéraires non-balisés N°13, par Georges Cathalo
- Lectures de Véronique Elfakir
- Lectures de Mathias Lair
- Forêts domaniales de la mémoire, Marc Alyn, par Marilyse Leroux
- Anne Mortal, Un fracas sans bruit, par Patricia Cottron-Daubigné
- Dans la doublure, de Philippe Longchamp, lu par Albane Gellé
A découvrir : Un entretien sur Terre à ciel dans Recours au poème - Cécile Guivarch / Carole Mesrobian