Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > Voix du monde > Piergiorgio Viti, traduction de l’italien par Thierry Gillyboeuf

Piergiorgio Viti, traduction de l’italien par Thierry Gillyboeuf

samedi 31 octobre 2020, par Cécile Guivarch

POSOLOGIA DEL DISAGIO

I
Il Presidente, nero su bianco, ha verbalizzato.
Dal 5 marzo saremo tutti inevitabilmente
orfani.
Orfani di padre di madre di fratello.
Orfani di una metà. O piuttosto di una
meta.

II
Anche oggi
il Presidente in versione altoparlante
trapassa il timpano con i divieti.
Raccomanda 1 metro di distanza.
Non abbracciarsi.
Uscire solo se indispensabile.
Io, nei miei affetti familiari, li ho infranti tutti.

Mi sono sentito fuorilegge per affetto.

III
Nonostante il sole,
ho rimandato la mia corsa.
La mia errata palestra.
Mi hanno seccamente sconsigliato
ogni attività all’aperto,
jogging compreso.
Così, saltello sul balcone in pigiama
come un criceto da laboratorio.
La mia zona di contagio è più che altro
privata.

IV
A volte, seduto sul cesso,
piango. Piango senza farmi vedere.
Mi sento così acquatico
tra l’acqua della toilette
e quella più salata delle lacrime…

Sì, sono acquatico e anche un po’ stronzo,
per questo tiro l’acqua spesso.

V
Dal balcone, sembra un coprifuoco.
Poche macchine, una ogni tanto
e sempre meno, di persone.

Mi è venuto in mente De Chirico,
le piazze vuote, la bambina col cerchio,
mentre crollavano intatte
le pareti della mia resistenza.

VI
Con la gola uncinata
di dolore, vedo in tv gli altri
cantare da un balcone.
Gli altri cantano.
Io rispetto fino in fondo
i dettami del Presidente
che mi vogliono a casa, penitente,
imbalsamato.
Che mi vogliono padre putativo
della mia esterrefatta
agonia.

VII
“Ce la faremo” dice lo slogan.
Ma il supplizio non è meno atroce.
“Ce la faremo”, adocchio su un monitor.
E penso a chi non ce l’ha fatta.
A mio padre, quando i baffi
gli sono diventati bianchi. All’improvviso.
Non vorrei morire come lui,
inavvertitamente.

VIII
Esiste una posologia del disagio
e io la sto rispettando.
Fino a non capire più
chi è malato e chi no.
Mi guardo allo specchio spesso
per confortarmi. Sto bene, almeno sembra.
Le gengive si erano ritirate già
da prima.

IX
L’ennesima, fuorviante
paura : andare alla posta.
Pagare un bollettino.

Penso di potercela fare
a scalare l’Everest
delle mie paure.
Penso, prima di serrare
il chiavistello.

X
In fondo questa vita da zanzara
non è male : in casa, a girare in tondo,
a incontrare pareti tutti i giorni.
Solo che le zanzare succhiano sangue,
mentre noi, noi lentamente
veniamo risucchiati. Spenti.

XI
Il mio dentista, per una carie,
non corre rischi.
Antibiotici, ammonisce dall’altro capo
di un telefono.
Poi riattacca. Riattacco.
E sento che in fondo la carie
può aspettare. La cullo.
La ammansisco.
Cosa ci sarà di male
a essere anticorpi di se stessi.

XII
Oggi il Presidente ha chiuso il cerchio.
I metri quadrati sono sempre di meno.
Uscire solo nella proprio area.
Il supermercato, quello più vicino.

Ok, allora facciamo come quando
ero adolescente, quando, per noia,
sbirciavo di nascosto gli atlanti
e di notte Olanda e Germania
confinavano con la mia stanza…

XIII
“Ce la faremo” è il loro mantra,
loro, che non sanno
che tutte le notti
torno al mio paese
a rivedere la mia casa
e sogno un posto di blocco
pronto a controllarmi,
a perquisire le mie scuse,
e io impaurito, provo
una via di fuga qualsiasi,
ma non ci riesco…

E’ impossibile, credo,
uscire vivi da un ricordo.

XIV
Quando tutto questo sarà finito,
racconterò di quel giorno,
quel giorno in cui,
per non dare adito
alla polizia di fermarmi,
ho comprato
thè cotton fioc polpette
arance shampoo e invece
avevo bisogno
solo di due uova.

XV
“Abbattiamoli tutti”
digitano su Internet.
Abbattiamo gli untori,
i runner, chi ha aggirato
la quarantena.
Abbattiamo quelli senza maschera.
Quelli a passeggio
in spiaggia.
Pure i monelli [1] a crocchio.

E mi rendo conto
che in quel bersaglio
potrei esserci io,
che di straforo
sono passato davanti al Kursaal, [2]
immaginando fosse tutto
un film.

POSOLOGIE DU MALAISE

I
Le Président a verbalisé, en noir sur blanc.
À partir du 5 mars nous serons tous inévitablement
orphelins.
Orphelins de père de mère de frère.
Orphelins des siens. Ou plutôt d’un
sens.

II
Aujourd’hui encore
le Président en mode haut-parleur
nous crève les tympans avec les interdits.
Il recommande les 1 mètre de distance.
De ne pas s’embrasser.
De ne sortir que si c’est indispensable.
Moi, dans mes amours familiales, je les ai tous enfreints.

Je me suis senti hors-la-loi par amour.

III
Malgré le soleil,
j’ai reporté ma course à pied.
Ma gymnastique fautive.
On m’a sèchement déconseillé
toute activité en plein air,
jogging compris.
Je sautille donc en pyjama sur le balcon
comme un hamster de laboratoire.
Ma zone de contagion est plutôt
privée.

IV
Parfois, assis aux toilettes,
je pleure. Je pleure sans me montrer.
Je me sens si aquatique
entre l’eau des toilettes
et celle plus salée des larmes…

Oui, je suis aquatique et un peu merdeux,
c’est pour ça que je tire souvent la chasse d’eau.

V
Du balcon, on dirait un couvre-feu.
Quelques voitures, une personne de temps
à autre, de moins en moins.

J’ai pensé à De Chirico,
aux places vides, à la fillette au cerceau,
tandis que s’effondraient intacts
les murs de ma résistance.

VI
La gorge ferrée
par la douleur, je vois les autres à la télé
chanter d’un balcon.
Les autres chantent.
Moi, je respecte jusqu’au bout
les préceptes du Président
qui veulent que je reste à la maison, pénitent,
empaillé.
Qui veulent que je sois le père putatif
de mon agonie
pantoise.

VII
“On va s’en sortir” dit le slogan.
Mais le supplice n’en est pas moins atroce.
“On va s’en sortir”, je guigne ça sur un écran.
Et je pense à ceux qui ne s’en sont pas sortis.
À mon père, quand ses moustaches
ont blanchi. Par mégarde.
Je ne voudrais pas mourir comme lui,
par mégarde.

VIII
Il existe une posologie du malaise
et moi, je la respecte.
Jusqu’à ne plus savoir
qui est malade ou pas.
Je me regarde souvent dans la glace
pour me réconforter. Je vais bien, apparemment.
Les gencives s’étaient déjà rétractées
avant.

IX
L’énième peur
trompeuse : aller à la poste.
Payer un bordereau.

Je crois pouvoir arriver
à escalader l’Everest
de mes peurs.
J’y pense, avant de fermer
le verrou.

X
Dans le fond, cette vie de moustique
n’est pas si mal : à tourner en rond, à la maison,
se cogner aux murs tous les jours.
Sauf que les moustiques aspirent le sang,
alors que nous, lentement, nous
sommes aspirés. Vidés.

XI
Mon dentiste, pour une carie,
ne prend aucun risque.
Des antibiotiques, m’exhorte-t-il à l’autre bout
du téléphone.
Puis il raccroche. Je raccroche.
Et je sens qu’au fond la carie
peut attendre. Je la berce.
Je l’amadoue.
Que peut-il y avoir de mal
à être un anticorps de soi-même.

XII
Aujourd’hui le Président a bouclé la boucle.
Il y a de moins en moins de mètres carrés.
Ne sortir que dans son quartier.
Le supermarché le plus proche.

Ok, alors faisons comme
à l’adolescence, quand, par ennui,
je feuilletais en cachette les atlas
et que de nuit la Hollande et l’Allemagne
confinaient avec ma chambre…

XIII
“On va y arriver”, c’est leur mantra,
eux, qui ne savent pas
que toutes les nuits
je retourne dans mon village
revoir ma maison
et je rêve d’un barrage policier
prêt à me contrôler,
à perquisitionner mes excuses,
et moi, effrayé, j’essaie
n’importe quelle échappatoire,
sans parvenir à la trouver…

Il est impossible, je crois,
de sortir vivant d’un souvenir.

XIV
Quand tout cela sera fini,
je parlerai de cette journée,
de ce jour où,
pour ne pas donner à la police
une occasion de m’arrêter,
j’ai acheté
thé coton-tiges boulettes
oranges shampoing alors
que je n’avais besoin
que de deux œufs.

XV
“Descendons-les tous”
tapent-ils sur Internet.
Descendons ceux qui propagent la maladie,
les joggeurs, ceux qui ont contourné
la quarantaine.
Descendons ceux qui ne portent pas de masque.
Ceux qui se promènent
à la plage.
Et même les monelli [3] en bande.

Et je me rends compte
que je pourrais me retrouver
dans la ligne de mire,
moi qui suis passé
en cachette devant le Kursaal [4],
en imaginant que tout cela était
un film.


Piergiorgio Viti vit en Italie, où il est professeur.
Ses poèmes sont traduits en espagnol (Jorge Aulicino et Antonio Nazzaro), grec (Stavros Girgenis), roumain (George Nina Elian et Geo Vasile) et français (Thierry Gillybœuf).
Il a trois recueils poétiques à son actif et le quatrième ouvrage est en cours de publication.
Il a également écrit pour le théâtre : La fable de Virginio et Virgilio avec la chanteuse italienne Tosca comme protagoniste et Les rêves de Ray, pièce dédié au musicien Ray Charles. Il est monté sur scène au théâtre en tant qu’auteur et voix d’acteur pour La voix de l’homme, un hommage à l’auteur-compositeur Sergio Endrigo. Il a traduit Les Préludes d’Alphonse de Lamartine avec une lecture par Ugo Pagliai et Paola Gassmann pour le festival Armonie della Sera.
En 2016, il a participé, avec d’autres poètes et écrivains, au projet photographique et éditorial Memory Card, crée par la photographe Rita Vitali Rosati.
En 2020, il est le seul italien du projet de chœur poétique international Tapis de chiffons de l’artiste Cécile A. Holdban, avec 172 autres poètes du monde entier.
La même année, pour le site de poésie grecque Exitirion, une traduction en grec moderne de Posologie de l’inconfort, quinze textes inspirés de la quarantaine, traduits par Stavros Girgenis, a été publiée.
Auteur d’essais, les textes de Viti sont également présents et revus dans des blogs, sites littéraires et magazines italiens et internationaux.
Il collabore avec le mensuel italien Poesia et avec le site de poésie Atelier et est le créateur de Versus, un festival de comparaisons poétiques tenu à Recanati, auquel ont assisté des poètes de renommée nationale et internationale.


Bookmark and Share

Notes

[1monelli : termine anconetano che sta per ragazzi, adolescenti

[2Kursaal : cinema di Porto Recanati

[3monelli : mot anconitain signifiant garçons, adolescents

[4Kursaal : cinéma de Porto Recanati



Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés