Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > Voix du monde > Chandak Chattarji, traduit par Roselyne Sibille

Chandak Chattarji, traduit par Roselyne Sibille

dimanche 23 avril 2017, par Roselyne Sibille

SUMMER KNOWS / LES SAVOIRS DE L’ETE

I Am Because

Because you are
I am.
In you
I see
that me
no mirror can
ever show.

Je suis parce que

Parce que tu es
je suis.
En toi
je vois
ce moi
qu’aucun miroir ne pourra
jamais montrer.

My Land – Another Crucifix

In distant Somalia
starvation comes with temerity
and from within emaciated chests
steals the only precious thing.
Life.
One theft accomplished
it goes on to the next
and the next
and the next.

In this land of mine
starvation staggers us not
but hatred
sanctified in the name of one God
reddens roads
with the blood of those
who follow some
Other.

The skeletal bodies
of the Somalis
bereft of breath
of life
bear no other cross.
But the bodies
in this land of mine
are branded with another crucifix.
Hate.

Mon pays – Un autre crucifix

Dans la lointaine Somalie
la famine arrive avec témérité
et à l’intérieur des bustes décharnés
vole la seule chose précieuse.
La vie.
Ce vol accompli
elle passe au suivant
et au suivant
et au suivant.

Dans ce pays qui est le mien
la famine ne nous fait pas tituber
mais la haine
sanctifiée au nom d’un Dieu
rougit les routes
du sang de ceux
qui en suivent un
Autre.

Les corps squelettiques
des Somalis
privés du souffle
de la vie
ne portent pas d’autre croix.
Mais les corps
dans ce pays qui est le mien
sont marqués d’un autre crucifix.
La haine.

So Let Him Lie

He lay by the roadside
in a brutal sprawl
in a rivulet of blood.
Passersby looked
then looked away and
went on their way.
He was no kin of theirs
so let him lie and
if need be die.

God was nowhere to be seen
for men had portcullised him
in the many temples
that were his abode.
Used to the luxury
of temples
where behind drawn gates
he could do as he pleased,
he had no wish to stir.

So he took consolation
this God of ours
that death was
after all
something he had ordained.

Laissez-le ainsi rejeté

Il gisait sur le bord de la route
étalé brutalement
dans un ruisselet de sang.
Les passants regardaient
puis détournaient le regard et
passaient leur chemin.
Il ne faisait pas partie de leurs proches
aussi le laissaient-ils étendu et
le cas échéant, mort.

On ne pouvait voir Dieu nulle part
car les hommes l’avaient entouré de herses
dans les nombreux temples
qui étaient sa demeure.
Habitué au luxe
des temples
où derrière des portes dessinées
il pouvait faire ce qui lui plaisait,
il ne souhaitait pas bouger.

Aussi se réconfortait-il
ce Dieu qui est le nôtre
que la mort soit
après tout
quelque chose qu’il avait décrétée.

One Face Has Remained

It has remained with me
one face
where hunger fear and desolation
have written their story.

When I bring my food
to my mouth
that face comes
between my spoon and my lips.
When fear stalks me
that face comes
as a consolation.
When I am desolate
that face tells me
I have no reason
to be.

That face lifts me up
when I am low
but I can do nothing
to rewrite the story
written all over it.

Un visage est resté

Il est resté avec moi
un visage
où faim peur et désolation
ont écrit leur histoire.

Quand je porte ma nourriture
à ma bouche
ce visage se glisse
entre ma cuillère et mes lèvres.
Quand la peur me traque
ce visage arrive
comme une consolation.
Quand je suis affligé
ce visage me dit
que je n’ai aucune raison
de l’être.

Ce visage me redonne le moral
quand je suis déprimé
mais je ne peux rien faire
pour réécrire l’histoire
écrite partout sur lui.

I Feel a Freedom

Time imprisons me.
Yet I do not feel fettered
by the bars
it has forged
for today
remains forever
what it is
and lets me enjoy
the space
between me and the bars.

A prisoner
I feel a freedom
many have never known.

Je ressens une liberté

Le temps m’emprisonne.
Pourtant je ne me sens pas entravé
par les barreaux
qu’il a forgé
car aujourd’hui
demeure pour toujours
ce qu’il est
et me laisse apprécier
l’espace
entre moi et les barreaux.

Prisonnier
je ressens une liberté
que beaucoup n’ont jamais connue.

Prey

The Vendor of Gods
goes about his daily chores
his tools
a basket of flowers
some sandalwood paste
a pot of tap water
he passes off as holy
and a tiny bell

His first stop
is a tiny shop
where he sprinkles ‘holy’ water
with a flower
dips it in sandal paste
and hands it over
with a tinkle of the tiny bell
and some mumbled mantras
and into the basket
drops a coin.

He stops
at shops galore
until his flowers
can hardly hide
the coins
each an effort
to appease a god
the giver
scarcely cares about
a balm to salve
his guilty mind
for it is guilt and greed
on which
these vendor-vultures prey.

Proie

Le Vendeur de Dieux
se met à ses corvées quotidiennes
ses outils
un panier de fleurs
de la pâte de santal
un pot d’eau du robinet
qu’il fait passer pour bénite
et une toute petite cloche.

Son premier arrêt
est une boutique minuscule
où il asperge de l’eau “bénite”
avec une fleur
la trempe dans la pâte de santal
et la confie
avec un tintement de la toute petite cloche
et quelques mantras marmonnés
et dans le panier
tombe une pièce.

Il s’arrête
aux boutiques en veux-tu en voilà
jusqu’à ce que ses fleurs
puissent difficilement cacher
les pièces
chacune étant une tentative
d’apaiser un dieu
le donateur
est à peine concerné par
le baume fait pour soulager
son esprit coupable
car c’est à la culpabilité et à l’avidité
que s’attaquent
ces vendeurs-vautours.

Defeat

Words came from him
like boulders
tumbling down a steep,
crushing all in their path.

His listeners sat
bewildered and overcome.
Was poetry meant to resonate or defeat ?

They felt so defeated !

Défaite

Les mots venaient de lui
comme des blocs rocheux
chutant abruptement
dévastant tout sur leur passage.

Ses auditeurs étaient assis
perplexes et épuisés
La poésie était-elle censée résonner ou bien vaincre ?

Ils se sentaient tellement défaits !

Now

Now
stands between
Yesterday and Tomorrow
aware that these two
can never wear the garb
of that which is
the way Now can.

We
in our fathomless
foolishness
pine for what is gone
and wait
for what is to come
like those two who
in vain waited
for Godot.

Maintenant

Maintenant
se tient entre
Hier et Demain
conscient que ces deux-là
ne pourront jamais porter le costume
de la façon dont le peut
Maintenant.

Nous
dans notre insondable
bêtise
sommes nostalgiques de ce qui est passé
et attendons
ce qui est à venir
comme ceux qui
en vain attendaient
Godot.

Where Have They Gone ?

I’ve been looking for them
the chameleons
for some time now
but have not found even one.

Where have they gone ?

Have they –
shamed by our constant changes of colour –
banished themselves
to some distant exile isle ?

Où sont-ils passés ?

Je les ai cherchés
les caméléons
depuis un bout de temps déjà
mais je n’en ai pas trouvé un seul.

Où sont-ils passés ?

Se sont-ils –
rendus honteux de nos changements de couleur incessants –
bannis eux-mêmes
sur quelque lointaine île d’exil ?

In Search of Silence

In the crowd
of a thousand words
what I want to say
is lost.

I don’t know where
the silence I seek
has gone.
The one
more potent than speech.

I only know I shall
tread that path
for a thousand years.
The path down which
silence fled
a fugitive from clamour.

En recherche de silence

Dans la foule
de milliers de mots
ce que je veux dire
est perdu

Je ne sais pas où
est parti
le silence que je recherche.
Celui qui est
plus puissant que la parole.

Je sais seulement que je
foulerai ce sentier
pendant un millier d’années.
Le chemin le long duquel
le silence a fui
fugitif de la clameur.

I’ve Let Go

I’ve walked
all these years
holding on
to the hand of time.

Today
I’ve let go.
I want to see
how far I can get
without the aid of time.

Je suis parti

J’ai marché
toutes ces années
en tenant
la main du temps.

Aujourd’hui
j’ai lâché prise.
Je veux voir
jusqu’où je peux aller
sans l’aide du temps.

Calcutta

Times are
when I wonder
what hangs in the air
of this city
that’s so grown on me.
It’s not the suspended particles
nor the infamous smog
nor the smell of champak
nor the coagulated blood of those
dying on its roads
nor the odour of poverty
the grey scent of melancholy
the loudness of a city
that has forgotten to whisper.

What is it then
this smell ?

I go on trying
to pin it down
the smell of Calcutta
that holds me
a willing hostage
to all that it is and is not.

Calcutta

Il y a des moments
où je me demande
ce qui est suspendu dans l’air
de cette ville
qui s’est aussi développé sur moi.
Ce ne sont pas les particules fines
ni le smog tristement célèbre
ni l’odeur du magnolia
ni le sang coagulé de ceux
qui meurent dans ses rues
ni la puanteur de la pauvreté
la senteur grise de la mélancolie
le volume sonore d’une ville
qui a oublié de murmurer.

Alors qu’est-ce que
cette odeur ?

Je continue à essayer
de l’épingler
l’odeur de Calcutta
qui me tient captif
otage volontaire
de tout ce qui est et n’est pas.

Pray Kill Me Now

Pray kill me now
that I might rise
into another life.

Je vous en prie tuez-moi maintenant

Je vous en prie tuez-moi maintenant
pour que je puisse en m’élevant
entrer dans une autre vie.


4° de couverture (trad. R. Sibille) :

Aujourd’hui
j’ai lâché prise.
Je veux voir
jusqu’où je peux aller
sans l’aide du temps.

Dans ces poèmes du poète octogénaire Chandak Chattarji, le temps joue le rôle de destructeur et de guérisseur, de compagnon bien-aimé et de traître ennemi. La seule certitude inébranlable dans un monde en fluctuation est la mort. Et pourtant, dans ces poèmes, l’élan de vie s’affirme à travers la présence des chants d’oiseaux, de la lumière du soleil, de l’attente patiente des mots. En interrogeant chaque certitude, chaque réconfort anodin en termes simples, directs, le poète cherche l’absolu à travers le quotidien, sachant qu’il lui échappera sans cesse.

[Né en 1935, Chandak Chattarji est un pédagogue, auteur de manuels scolaires d’anglais réputés, et un poète.]

(Page établie avec la complicité de Roselyne Sibille)


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés