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Dara Barnat, traduite par Sabine Huynh

dimanche 23 avril 2017, par Sabine Huynh

La poésie, les essais et les traductions de Dara Barnat ont paru notamment dans les revues The Cortland Review, diode, Poet Lore, Crab Orchard Review, The Collagist, Los Angeles Review of Books, Jacket2, et Bridges : A Jewish Feminist Journal. Sa première plaquette de poèmes, Headwind Migration, a été publiée en 2009. Le recueil bilingue anglais-français Taut, Invisible Threads / Des liens invisibles, tendus a été publié par Recours Au Poème Éditeurs en 2014 (dans une traduction française de Sabine Huynh). Ses poèmes ont aussi été traduits en hébreu (par Gili Haimovitch, publiés dans Shvo et Makaf). Le recueil In The Absence a été publié aux éditions Turning Point en 2016. Dara détient un doctorat de l’université de Tel Aviv, où elle enseigne actuellement, au département d’études anglaises et américaines, en tant que « Writing Director ».
Les cinq poèmes suivants ont été traduits de l’anglais (américain) par Sabine Huynh et sont extraits du recueil In The Absence (Turning Point, 2016).

The Best Piece of Blue Sky

If my brother could pick
_____a piece of sky,

he’d give it to me on earth,
_____though he can’t

seem to figure out
_____where the sky ends

or begins, or whether the sky
_____has a beginning

or an ending. What
_____do beginnings

and endings matter when illness
_____occupied our house

before we knew illness
_____could occupy

a house, confusing everyone,
_____like a cloud

that changes shapes and disappears
_____into other

clouds, but never from
_____the sky altogether ?

Who cares about the shape
_____of this cloud,

when the sky falls when
_____it falls ? He could pick

for me the best piece
_____of blue sky,

_____still I’d have no answer.

Le meilleur morceau de ciel bleu

Si mon frère pouvait choisir
_____un morceau de ciel,

il me le donnerait ici bas,
_____même s’il n’a pas l’air

d’arriver à saisir où le ciel finit,
_____où le ciel commence, s’il a un début

ou une fin. Qui s’intéressait
_____aux débuts

et aux fins quand la maladie
_____occupait notre maison,

avant de savoir que la maladie
_____pouvait occuper

une maison, perturbant tout le monde,
_____comme un nuage

qui change de forme et se fond
_____à d’autres

nuages, mais jamais
_____au ciel ?

Qui s’intéresse à la forme
_____de ce nuage,

quand le ciel tombe quand
_____il tombe ? Même s’il choisissait

pour moi le meilleur morceau
_____de ciel bleu,

je n’aurais toujours pas de réponse.


What Happens Before Anything

So many things happen before
anything happens. Water climbs

two hundred degrees before it boils,
like my mother cried

for fifteen years before
she left my father, like Suzanne

kept drinking and taking drugs
before her heart gave out. When

I learned of Suzanne’s heart
I was walking across campus,

arms filled with books.
Then I felt the weight

she must have carried, piling up
like snowflakes, light at first.

(« What Happens Before Anything » first appeared in The Cortland Review.)

Ce qui se passe avant tout

Tant de choses se passent avant
que quoi que ce soit ne se passe. L’eau monte

à deux cents degrés avant de bouillir,
telle ma mère qui pleura

quinze ans avant de
quitter mon père, telle Suzanne

qui ne cessa de boire et de se droguer
avant que son cœur ne cède. Quand

j’ai appris pour le cœur de Suzanne
je traversais le campus,

les bras chargés de livres.
J’ai alors senti le poids

qu’elle avait dû porter, s’amassant
comme des flocons de neige, légers, au début.


What Holds

The dam I built against history
held as long as any

man-made thing,
long enough to believe

it couldn’t be torn down.
But fractures

grew wide enough
for history to pour in,

a surge too fast to run from, filled
with debris.

What choice was there, but to grab
what I could, hope

to be saved ?

Ce qui tient

Le barrage que j’ai bâti contre l’histoire
a tenu aussi longtemps que n’importe quelle

chose faite par les hommes,
assez longtemps pour croire

qu’il ne pourrait être démoli.
Mais les brèches

se sont tellement élargies
que l’histoire s’y est infiltrée,

s’y déversant trop vite pour qu’on lui échappe, pleine
de débris.

Que pouvais-je faire, excepté attraper
ce que je pouvais, espérer

être sauvée ?


Grief’s Language

_____To escape the deaths
strewn about life, I packed my things,

moved to another country, learned
a new language, hid

in cafés, where I wouldn’t be
recognized in a crowd.

But grief slips
across borders, between

countries and languages.
There grief was, tapping me

on the shoulder, greeting me
in Hebrew, Shalom.

_____I could no longer
disguise myself or beg grief to stop

following me. I’ve started
speaking to grief in every

language possible. Sometimes
we end up laughing.

(« Grief’s Language » first appeared in The Collagist.)

La langue du chagrin

_____Pour échapper aux morts
que la vie répand, j’ai fait mon sac,

je suis partie pour un autre pays, j’ai appris
une nouvelle langue, je me suis cachée

dans des cafés, des lieux bondés
où l’on ne me reconnaîtrait pas.

_____Mais le chagrin se glisse
entre les frontières, entre

les pays et les langues.
Le chagrin était là, d’une petite tape

sur l’épaule, il me salua
en hébreu, Shalom.

Je ne pouvais plus
me déguiser ou supplier le chagrin d’arrêter

de me suivre. J’ai commencé
à parler au chagrin dans toutes

les langues possibles. Parfois
nous finissions par rire.


No Goodbye Never Said

Then I’m walking on the street and there

you are, light

against the dusk, in an armchair,

left leg atop the other, right hand

under your chin,

as if you’ve been thinking,

and you’re wearing

that jacket, and we see each other

for who we are now,

and you say, I’m sorry I couldn’t stay as long

as I wanted, and I say, I’m sorry

I couldn’t help ease you

from this world, then the air

around you turns bronze,

like the ring you wore,

and the side of your mouth lifts,

because you’re remembering

a joke that we two shared,

then the air around you turns white,

like the snow

you shoveled from the car,

and you say, Be sure to get home before dark.

Jamais d’au revoir jamais dit

Alors je marche dans la rue et

te voilà, léger

assis dans le crépuscule et un fauteuil,

jambes croisées, la main droite

sous ton menton,

comme si tu étais en train de penser,

et tu portes

cette veste, et nous nous voyons

tels que nous sommes aujourd’hui,

et tu dis : je suis désolé de n’avoir pu rester

aussi longtemps que je le voulais ; et je dis : je suis désolée

de n’avoir pu te faciliter la sortie de ce monde ; puis l’air

autour de toi se transforme en bronze,

comme la bague que tu portais,

et les coins de ta bouche se soulèvent,

car tu te souviens

d’une blague que nous partagions tous les deux,

puis l’air autour de toi blanchit,

comme la neige

que tu pelletais de la voiture,

et tu dis : prends soin de rentrer avant la nuit.



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