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Sur la poésie de Lebogang Mashile et de Ronelda Kamfer, deux poètes sud-africaines, par Christine Bloyet

samedi 14 décembre 2013, par Christine Bloyet

À l’occasion de la venue à Nantes de Lebogang Mashile et de Ronelda Kamfer, deux poètes sud-africaines, la Maison de la Poésie de Nantes publie -dans la collection Chantiers navals- un ensemble de poèmes de chacune d’elles : Annales Anonymes et Chaque jour sans tomber.
Si ces deux voix s’enracinent dans une même terre, elles nous donnent à découvrir différents visages de ce pays qui porte les stigmates d’une lutte et d’une révolte qui les traversent l’une et l’autre.

Il suffit de reprendre le titre de quelques-uns des poèmes d’Annales Anonymes de Lebogang Mashile pour saisir l’enjeu de cette parole poétique : Les miens, Va ma sœur, Nous ne sommes pas seuls, Comme tu disparais, Invisibles guerrières, À ces hommes, Je veux être touchée, pour comprendre que le poème s’écrit avec et pour l’autre. Il s’écrit aussi dans l’affrontement avec la réalité quotidienne la plus immédiate, la plus brutale, là où le corps est souvent maltraité, même dans l’amour « Nous bougeons sur le sol comme des animaux ». Mais le poème est aussi la recherche d’une voie qui permette malgré les désillusions et les peurs de se frayer un chemin et d’avancer bien qu’il soit parfois nécessaire de fumer un joint avec Jésus pour voler par-dessus le ciel et tenter de faire vivre une parole d’amour, car
« Aimer/ notre plus bel effort ».

Le dernier poème interroge le sens de cette marche « Du socle douloureux au toit de la maison espérance ».

Comment appelle t-on les milliers de pas
Enterrés dans nos poitrines
La sécheresse à l’endroit où pleuraient les océans
l’Amertume croissante sur les lieux où rampait la terreur
….
Nous sommes tous voyageurs
Du nord au sud
….

Les poèmes Ronelda Kamfer sont également en prise directe avec la violence sociale qui s’exerce sur les êtres, mais sa langue est plus âpre, plus dure, plus crue aussi. Si Ronelda Kamfer a choisi d’écrire en afrikaans, la langue des esclaves, la langue de ses ancêtres, sa langue maternelle, ce n’est pas pour rien, c’est pour parler depuis cette langue pour ceux qui n’ont pu le faire. Les poèmes se succèdent comme une suite de petites narrations faisant revivre une série de personnages, et les titres sont, là aussi, évocateurs : Shaun, Sara la maligne, Martha, Katie a eu des enfants, Fin tragique, c’est avec un chat qu’on attrape une souris, Avis d’expulsion, Réponse des propriétaires, Grand-père Thomas Daniel Granfield, Notre chef parle. Parfois clichés pris sur le vif, le vif de la souffrance, comme lorsque l’enfant à la recherche de son père le découvre soudain :

……
j’avais les yeux fermés
mais je l’ai vu
j’ai vu mon père pendu
il pendait
et pendait
et pendait
sans moi
chaque jour sans tomber
il pendait
il pend encore aujourd’hui

Quand le plus dur est « de continuer à vivre » « alors que le seule chose que je voulais vraiment faire c’était pleurer », quand l’expression des sentiments est impossible « seule dans le noir/ tout mon amour pour elle ne signifiait rien », quand les larmes doivent rester cachées « creuser un trou dans/ la terre m’asseoir/ devant et pleurer » pour que celles-ci ne soient pas volées « mes larmes ils ne les auront pas », la poète réaffirme avec rage dans Vienne la pluie, sa volonté de tenir, pour faire face au corps du père qui pend indéfiniment, chaque jour sans tomber.

malgré tous les chiens qui m’ont prise pour
un réverbère/ vous savez quoi

je suis toujours debout

À l’heure où l’on apprend la disparition de Nelson Mandela, il semble nécessaire, aujourd’hui plus que jamais, de faire entendre la voix de ces femmes qui, chacune à leur manière, avance dans les pas du grand homme et nous parle à tous.

Christine BLOYET


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