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Hep ! Lectures Fraîches ! (juillet 2020) par Cécile Guivarch

mercredi 15 juillet 2020, par Cécile Guivarch

Les Dames, Clara Regy, Editions Henry et Adelino / Journal de Mars, Clara Regy, Les Editions du Petit Rameur

Je note dès le titre que Clara Regy a opté pour le « D » de dame en majuscule. Ce sont de grandes dames dont il s’agit dans ce nouveau titre de Clara Regy paru aux Editions Henry. Une série de portraits : Lulu, Madame Boum Boum, Germaine, Renée, La Callas, pour en citer certaines. Aucune n’est parfaite, chacune est différente, mais elles ont pour point commun d’avoir marqué l’auteure dans son enfance. Chacune dégage un petit quelque chose. Une odeur. Une histoire. Un métier. Une tristesse. Une poésie. Voilà ! Ne tournons pas autour du pot, chacune d’elle dégage de la poésie. Elles touchent, elles émeuvent. Et ceci car Clara Regy les écrit, leur rend hommage avec beaucoup de tendresse. En se les remémorant, elle leur rend vie et on les voit ces femmes là, devant nous, en portrait, en chair et os, on les entend parler. Elles sont belles. Lulu est « belle / dans sa robe / pleine d’amours ». Amours avec un « s » car Lulu en a vu passer des hommes et elle leur fait des gâteaux. Cela c’est ce que croit la petite Clara. Que les hommes viennent voir Lulu car elle leur fait des gâteaux. En parallèle de ces portraits de femmes, se glissent les souvenirs de la vie quotidienne avec père et mère ainsi que des fragments de dialogues. Mais aussi leurs état d’esprit : « ta mère l’aime beaucoup / mais ton père ne dit rien ». Un portrait de la mère se glisse, femme parmi les femmes, toutes ont un point commun, être femmes, même si elles sont différentes. Certaines sont seules comme Sophie Loren (cela est un surnom) et cela attriste beaucoup la petite Clara : « tant de solitude / ça ne se fait pas ». Clara Regy a remarqué de petits détails comme « un trait / à la place des sourcils / à la mode d’hier ». Et exprime sa sensibilité face à l’exil en nous donnant sa vision particulièrement touchante : « ce mot / coupé en deux par une croix / qui penche / comme il doit faire mal »

Après chaque portrait, une lettre. On ne sait pas si ces lettres sont réelles ou inventées par Clara Regy. Mais elles sont un hommage supplémentaire à ces dames. Elles leur sont adressées directement, transmettent des petits messages, de la tendresse et souvent les remercient d’avoir été là. Portraits ainsi de vies de campagne dans les années 60/70. Ces vies qui parfois ont été rudes. Avec de petits détails qui ont de l’importance, comme les étiquettes des robes de Germaine qui ressemblent à de petits papillons lorsque les robes sèchent au soleil. La petite Clara les aime ces petits papillons car elle n’en a pas sur les robes que sa mère lui invente sur sa machine Singer alors que la petite Clara n’aime pas porter de robe. Elle aime les robes sur ces dames, mais aussi leur parfum et leurs rides. L’air de rien, de portrait en portrait, ce sont aussi des sujets de société qui sont évoqués. Mai 68, le communisme, la prostitution, etc. Et la petite Clara observe tout cela, parfois même en vient à se demander si les hommes sont si méchants, ceci notamment à la mort du mari de Germaine qui pleurait quand il était vivant et qui pleure encore quand il est mort. Attentive également au temps qui passe sur les gens : « chaque été / quelques tâches supplémentaires / quelques rides nouvelles / tu as peur ». Ce « tu as-peur » souvent je le note chez Clara Regy. Autant ce pronom pour évoquer la petite Clara, ses émotions, ses sentiments. Mais aussi sa peur de perdre les gens de son entourage. Je note sa tristesse lorsqu’elle enterre ces personnes qu’elle peut trouver « tendre(s) à pleurer ». Parmi ces portraits, Madame Boum Boum, l’épicière qui offrait des gâteaux aux gens pour leur dire qu’elle les aimait. Cette dame dont « un jour son cœur a battu / trop fort / c’était la guerre / il se raconte qu’elle fut tondue ». Clara Regy en se rendant dans un musée où « madame Boum Boum / et ses cadeaux de nouvel an / sont remontés / dans ta gorge », ainsi rend hommage aux femmes et à ce qu’elles ont du endurer.

Comment vous dire de ne pas passer à côté de ce livre, et de Clara Regy de manière générale, sans aimer cette poésie qui est la poésie de la vie, celle de ces gens que l’on rencontre et qui font de nous ce que nous sommes.

Germaine vient
à la nuit tombée
souvent
ton père dit
pour économiser
sa lumière

toi
ça ne te gêne pas
ta mère non plus

Germaine vient
pour ne pas être seule
son homme est au café

son homme communiste
son homme aux yeux
comme un étang

(...)

 
Un autre titre de Clara Regy est également paru ces derniers mois et il s’agit d’ Adelino / Journal de Mars , aux Editions du Petit Rameur. Il a été écrit lors d’une résidence d’écriture chez Alain Crozier, dans son village, La Clayette. Le livre est de petit format, de 21 pages. C’est un livre de rencontres avec les gens mais aussi avec les lieux. La première rencontre se produit au cimetière : « Adelino T. / rencontré au cimetière / ses sourcils en accents circonflexes / ne protège pas la tristesse de ses yeux ». Suit la rencontre d’une fillette qui achète des bonbons, puis un homme au coin du bar qui « boit sa honte et me fait mal aussi » et d’autres rencontres où l’on perçoit la sensibilité de Clara Regy envers les gens. Une rencontre particulière : « j’ai vu une auto / ses entrailles à l’air » et pour évoquer ceux qui y sont morts : « les coccinelles défraichies sur le mur (...) quel âge combien de points / quelques tâches seulement ». Adelino reste dans la lignée des dames et montre à quel point Clara Regy est sensible aux gestes, aux petites vies... Mais aussi aux lieux, à ce qu’ils enferment.

l’histoire d’un homme au cheveux roux
qui se voulait devenir blond
pour cacher ses premières neiges
l’histoire d’un homme au chapeau
pour cacher sa rousseur
c’est drôle
l’homme et le chapeau sont absents
mais dans les rires
il y a tout l’amour
d’une longue femme
feuillue

Tout peut commencer à trembler, Lucien Noullez, Revue Nunc | Editions de Corlevour

Lucien Noullez avant de commencer un poème, de nous amener dans le cœur de son livre, commence par tout ranger. Il range son cahier, ses torchons, sa vaisselle... car ainsi « les mouettes bien alignées dans (s)a tête ». Cela nous met en condition car Tout peut commencer à trembler. Le titre du livre, nous amène au centre d’une écriture où poésie et quotidien cheminent ensemble, où l’émotion est au service du poème, où la poésie est sensible. Continuons, car une fois que tout est rangé, il faut se mettre au travail, écrire. Il faut être en condition car pour Lucien Noullez la poésie c’est laisser trembler les choses lentement. Voici une définition de la poésie qui me rencontre en tant que lectrice et qui invite à vibrer. Dans un même poème, Lucien Noullez est à même de nous conduire dans différentes directions et ceci avec une finesse et une profondeur particulières. On a l’impression qu’il veut prendre le monde dans ses bras et éviter ainsi que la vie de chacun soit « bousillée ». On perçoit aussi la lignée, la transmission des ancêtres, autant de par leur récits versés des uns aux autres que par leurs morts. Tout ceci n’oublie pas d’être tendre :

« Je voudrais peigner les récits de mes grand-mères / et je voudrais encore aussi / peigner leurs cheveux blancs »

« Je ne suis pas doué pour le poème / mais je grimpe parfois,/ je lutte contre un ange / et je cherche à trouer ».

« Lorsque j’écris, je n’écris pas / mais un poème peut tomber / dans mon oreille ».

Lucien Noullez, aussi humble soit-il, traverse le lecteur, le rencontre. Il vit l’écriture comme un tremblement, une vibration, un souffle. Cela, il le communique à son lecteur qui est alors en mesure de faire de même. Il évoque également la présence du divin, de Dieu qui semble jouer avec lui :

« chaque fois que je trouve Dieu / il s’efface / et chaque fois que Dieu s’efface, j’apparais ».

Et Dieu côtoie ainsi des questions qui pourraient être sans grande importance mais qui pourtant trouvent résonance et pourraient continuer un chemin chez les lecteurs... Par exemple, je pense à celle-ci « Vous faites quoi, quand vous ne faites rien ? » C’est cela Lucien Noullez. Tout vient nous cueillir. Avec une force plus ou moins grande. Avec intensité parfois.

« Vous alliez raconter quelque chose qui vous regardait. / Elle vous regardait avec intensité. »

Les poèmes s’écrivent, traversés par des choses qui les regardent, questionnés par le mystère de l’existence, du temps, cette révélation de vivre puis de mourir.
« J’ai besoin de comprendre un peu / comment on passe d’une minute à une autre / minute et comment ça se fait, qu’après quelques / minutes on meurt, et pourquoi tout cela / continue dans l’impeccable / alors que franchement, c’est flou »

Il est touchant Lucien Noullez quand il ajoute que « ce sont des questions de gamin ». Mais pourtant des questions que nous ne parvenons jamais à résoudre, auxquelles l’adulte ne donne jamais une réponse satisfaisante à l’enfant. Toute notre vie, nous tentons d’y trouver une explication. Lucien, ce vieux gamin, renverse la question.
Lire Lucien Noullez, c’est accepter une invitation à aimer le monde, à apprécier chaque seconde de la vie car « la vie ne ressemble à rien d’autre / qu’à la vie ». Le poète nous verse du tendre et des souvenirs d’enfance. De l’amour vers la figure paternelle : « je t’aimais bien, papa », de l’amour vers la figure maternelle, à se souvenir de ses gestes. C’est un poète qui écrit avec son temps et ce qui l’entoure. Une feuille qui tombe. Le petit piano dans le salon. Mais qui se tient aussi au fait de l’actualité en affirmant : « elle ne me construira pas plus ». Lucien Noullez nous touche et nous surprend, par exemple en mangeant une salade dans laquelle il a trouvé des morceaux de papier. Tout ceci pour nous communiquer de la joie. De la joie de vivre. Même si l’homme est petit dans l’univers, qu’il est à peu près rien selon le poète, « cet à peu près rien / écoute les oiseaux ». Ainsi, accorder une conscience à de petites choses permet cela : être en joie. Lucien Noullez l’écrit si bien. Une poésie pure coule dans ces mots, comme « un poème pas compliqué ». Ce livre est magnifique et Tout peut commencer à trembler quand vous l’aurez lu.

J’aimerais bien penser : pourquoi
on naît, pourquoi on meurt et
pourquoi pas, mais je m’y prends très mal :
pourquoi on aime ? Pourquoi on
n’aime plus ?
Ce sont des questions de gamin.
J’aimerais bien être un gamin,
un gamin qui renverse les questions.
Un gamin dans l’herbe, c’est vert
et c’est beau,
c’est petit.
J’aimerais revenir au petit gamin triste
qui trouvait toujours plus petit que lui,
dans la pelouse.

Origine Horizon, Stanislas Cazeneuve, La Crypte

Stanislas Cazeneuve invite à relier deux dimensions Origine et Horizon. Deux chemins de l’être de la naissance à ce qui se tient devant, la vie. Origine Horizon, deux mots aux sonorités semblables, deux mots qui se superposent. L’Origine, comme un retour, ici vers la mère et la naissance entourées d’ombre. L’Horizon, comme un aller, une invitation à regarder plus loin. L’Aurore ne figure pas dans le titre mais avec sa sonorité est proche d’ Origine et d’Horizon et occupe une place importante dans le recueil.

L’écriture de Stanislas Cazeneuve est juste. Les mots pesés. Pas un de trop. Il alterne proses de quelques lignes et quelques vers brefs, trois ou quatre, guère plus. Economie des mots pour dire un « non-lieu des mots ». Sa poésie, dans une langue belle et sensible, vient forer une souffrance enfouie et peut-être aussi le rien. Sous-jacent, on entend le silence et sa clarté rompue par les mots.
Ce livre est celui d’une quête de l’origine, à la recherche d’une vérité. Cela revient avec insistance. Se répète pour ne pas effacer « l’absence et la présence » d’une mère que le poète n’aurait pas ou peu connue. Dont le souvenir tend à s’effacer.

« Entre l’air et l’invisible, il y a ce qui me reste de toi. Et qui s’éclipsera encore ».

« Ma mémoire s’éloigne de là où je pars »

« Les traits de ma mère s’effacent un peu ».

« Je ressens la cassure de l’eau »

J’aime chez Stanislas Cazeneuve l’observation des arbres, des gouttes de rosées, de la lumière, des premières lueurs de l’aube. Ainsi relié à la nature, apparaît la possibilité de se rapprocher de sa mère dont on comprend qu’elle est trop tôt disparue, peut-être en donnant naissance. Une mère qui a laissé un voile autour d’elle, tout autant qu’une aura. Elle est présente partout. Dans l’air, dans le ciel, dans un arbre mort au sein duquel figure la lumière. L’image de la mère puisée dans le paysage. Elle est disparue, mais elle est présente, semble même renaître dans l’eau. L’air « est un corps maternel ». Une « lumière morte sur mes mains ». Tout un processus de naître, mourir et renaître, à l’image du cycle de la nature et des saisons. Stanislas Cazeneuve par la magie de l’écriture permet cela. Le vivre ainsi, permet de poursuivre, d’aimer vivre, c’est « l’origine qui tend vers l’avenir ». En puisant dans ce discours intérieur de l’enfance, en s’en faisant une armature, écrire, vivre l’horizon.

« Je donne vie à tout ce que j’écris. J’apprends à ne pas déserter mon visage. A me convaincre de ma présence. »
« Je sers Homère dans mes bras. Homme et mère. »
« Le passé et l’horizon ne se mesurent pas. » et « vient la joie de vivre ».

Ecrire et vivre habitent Stanislas Cazeneuve. La joie, la vie, prennent de la hauteur sur le silence et la mort. Devenir, être, tout cela est en chemin. Comme s’il s’agissait de « rendre à la vie sa valeur d’évidence ». La vie est cet « horizon qui donne d’autres lumières. » Comment ne pas vous recommander chaleureusement de lire ce livre ?

Ces arbres morts portent la lumière. Ligne de crête. Aurore et horizon. Les premières couleurs du jour sont des pensées de Prométhée. Pour le bonheur des hommes. Sur la terre. Dans les plis de la rosée. Une offrande de grandeur. Presqu’une acclamation. Légère. Une intimité avec le vide. Qui se perd. Dans le péril de la nature. Mon regard est un paysage pour ces arbres. Si l’œil est une source du mystère. Il se voit aussi disparaître.

Propositions, Jacques Goorma, Collection Jour & Nuit, Les Lieux-Dits

90 propositions autour du poème et de la langue. 90 propositions de peu de mots. « Comme il y a / peu de mots // peut-être / les lira-t-on ». 90 propositions pour donner une vision de la poésie. 90 propositions construites de la même manière, sur le rythme 2 // 2. 90 propositions pour vous faire entendre le silence, l’air, la parole, les oiseaux, les voix, les visages, le ciel, la pluie, le vide, la joie. Un univers à explorer, celui de Jacques Goorma. Le lecteur n’éprouve aucune difficulté pour y entrer et est saisi par l’évidence de vers fulgurants. Par exemple, lisez ceci : « les mots ? /des mains // pour toucher / l’invisible »

Seulement sept mots, d’une telle concision et justesse, je ne peux qu’applaudir. Peut-être se poser la question de savoir si ce sont les mots ou le nécessaire silence qui nous retiennent à la lecture. Cet autre passage : « il est bon / de se taire // quand le silence / nous écoute ». Ainsi ce secret du mot, qui « rend le mystère / sensible ». Ces mots qui rapprochent « l’espace entre les corps ». Ce n’est que bonheur de lire ce livre où « le poème / est nuage // momentanément / arrête ». Vous attendez quoi pour lire Propositions de Jacques Goorma ?

en marchant je respire
j’avance devant moi

en respirant je marche
j’avance dedans moi

Notes d’hiver, Didier Jourdren, préface de Michel Jourdan, éditions unicité

Bonheur. Un livre entier consacré au chant du rouge-gorge. Ce chant que l’auteur remarque et écoute chaque matin. L’oiseau « invisible presque toujours ». Au début, l’auteur ne sait pas à qui appartient ce chant. Et quand il le découvre, se met à l’attendre chaque jour et à écrire ces notes. « Tenter de décrire ce qui avait lieu ». Le chant du rouge -gorge n’en est pas vraiment un. L’oiseau lance des notes entrecoupées de silences. Ecouter cette voix qui entre dans le silence pour l’habiter. Ecouter le rouge-gorge, ce petit porteur de flamme qui veille pour nous. Puis laisser résonner sa voix en soi dans le silence qui suit. Un silence dans lequel l’oiseau semble attendre une réponse. et « cela, venu sans être attendu » et cela est « une petite passerelle vers le silence ».

« Entre les phrases suspendues, brisées d’un coup parfois, une place est faite à ce qui écoute, une invite est lancée. »

Ecrire sur le chant du rouge-gorge est également le point de départ d’une quête pour Didier Jourdren : « parvenir à un peu de clarté ». Que cette clarté soit faite sur ce chant mais surtout sur notre présence au monde. Le rouge-gorge, ce voisin qui chaque jour reprend sa place et « tent(e) d’élever la voix, nous convaincre, pour accompagner le jour, remettre en ordre, préparer ce qui va venir (...) »
Appréhender « le fait d’être vivant, dans un monde pour une bonne part obscur, et si souvent désespérant, en compagnie des êtres que l’on aime, au milieu de tous ceux que l’on ne connaîtra jamais. On réapprend tout cela, on retrouve place et souffle (...) »

Ecouter le rouge-gorge et prendre conscience de cela : être là. « Ecouter, accueillir » et se laisser habiter, « conduit par un élan que l’on ne comprend pas ». « Peut-être faudrait-il accueillir tout être, toute chose avec la même attention, la même ferveur, le même abandon, renoncer à toute emprise. » Puis « reconnaître le rouge-gorge en chaque être ».

Je cite, je cite l’auteur, mais comment écrire mieux que lui-même l’essence profonde de ce livre. Didier Jourdren nous invite à cette écoute attentive. Cela est une façon d’habiter le monde et de se laisser habiter par lui. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans un monde mais de se « remettre au monde ». Car « on devine qu’en chaque être, derrière les paroles, les mouvements, le souffle, s’élève un chant, la respiration tremblante, ténue, de la vie. » Aller vers « une autre façon de percevoir, d’être, de respirer, de parler plus attentive, plus accueillante, plus humble », afin que « la frontière entre dehors et dedans s’estompe peu à peu ».

Au fil de la lecture, le lecteur a envie d’aller à l’écoute de l’oiseau et du monde pour laisser les choses se dénouer peu à peu, pour laisser la joie d’exister envahir le corps. A la fois journal et quête, notes qui vibrent et amènent à écouter en soi. D’ailleurs « ce n’est pas le rouge-gorge qui m’interroge : c’est d’avoir, sans rien décidé, écouté en moi, de plus en plus, de plus en plus loin ». Est-ce que cela vous permet de réfléchir, de méditer ? Pour ma part, ce livre m’a accompagnée les matins où je suis allée marcher et que j’ai remarqué que toujours dans le même arbre un oiseau chantait. Au départ, je ne savais pas qui était cet oiseau. Puis je l’ai vu, le rouge-gorge, tous les matins sur la même branche, semblant attendre qu’un passant viennent à l’écoute, de ses notes comme de ses silences. Aussi, voici quelques phrases de Didier Jourdren que j’ai notées car elles ont trouvé silence et résonance en moi.

« Ce n’est pas le rouge-gorge que j’attends, que j’écoute : c’est son signal pour commencer le jour ».

« Petit oiseau qui aime s’approcher quand on retourne la terre, il m’oblige à creuser aussi en moi. »

« On n’a plus de mots, on est hors de tout, on approche de quelque chose, on se laisse approcher, apprivoiser par l’invisible, l’inconnu, on va dans le creux du souffle, des mots (...) »

« Nous ne choisissons pas tout ce que nous vivons, loin de là, moins encore les moments singuliers où nous devinons une autre façon d’être au monde. »

« Une fois de plus, je questionne, quand c’est moi qui suis interrogé ».

Visages vivant au fond de nous, Michel Bourçon, Al Manar

Tout se défait et recommence. Ainsi va la poésie de Michel Bourçon dans une tonalité nouvelle. Car « il n’y a pas de panneau indicateur au ciel ». Ce thème récurrent dans les livres de Michel Bourçon, le ciel, ici tournoie d’une autre façon et rejoint les visages. Du ciel aux visages. Du ciel à soi-même. « Nos têtes flottent / entre ciel et terre ». Le visage, le « soi » « à l’ombre des autres ». Ce soi si intime et si commun à cet autre soi qui est le « nous » sur cette terre. Un sentiment de vide dans la vie ordinaire, où chacun s’agite apparaît parfois, dans certains moments de la poésie de Michel Bourçon. Mais il en donne une échappatoire : peut-être revenir aux arbres, aux oiseaux pour pouvoir entrevoir « les yeux d’un homme que traverse / l’éclair d’une femme ».

Michel Bourçon amène à regarder autrement. « Nous qui ne voyons / parfois que des corps / dans les autres ». A entrevoir le « feu brillant à l’intérieur » plutôt que les ombres, ces corps qui se laissent disparaître. Cela est certainement rendu possible par l’observation de la nature, le ciel, la grêle la neige, les nuages qui tombent du ciel et « capuchonnent la lumière ». Mais encore l’observation des touffes d’herbes, la Loire, sa faune, les boutons d’or, les insectes, les graminées. Et le printemps qui explose au milieu du livre comme pour faire « s’épanouir en nous / les premières fleurs élues / par la mélancolie ». Le printemps qui illumine les branches de la même façon les visages. Quand dans la nature arbres et oiseaux habitent le ciel, des gens « oubliant de vivre ». C’est avec une « conscience éclaircie » que Michel Bourçon nous montre de quoi le ciel est capable sous nos yeux au gré des saisons. Une saison agit sur le soi, « l’air manque pour respirer », « un oiseau réclame le bleu / au ciel redevenu gris / et d’un seul trait / lui dessine un sourire ». Ainsi, ciel(s) de saison donne(nt) différentes éclaircies aux visages. Il se pourrait bien que les oiseaux en sachent plu que nous : « Dans ce que décrit la lumière / les yeux cherchent au ciel / des mots que les oiseaux trouvent / emportent comme insectes ou chenilles ».

C’est pour cela que lire Michel Bourçon, est une invitation à :
- se laisser happer par la lumière,
- laisser de côté ce qui « miroite dans l’ombre » pour se souvenir « d’un beau rayonnement »,
- regarder dans la rue les visages que l’on croise, chacun d’eux « propose une énigme ».

quand les branches tendues s’illuminent
chantent leur bourgeons
dans le déambulatoire du jour
chaque chose s’ouvre sur une promesse
puis se repose sur son mystère
la rue voit renaître des visages
sous le ciel où s’enchevêtrent des nuages
comme en tête des idées contradictoires
à l’heure de la sieste
une main s’endort sur une hanche
l’autre de ses doigts
ombre des paupières
et la nuit venue
les morts rêvent de couleurs
en écoutant la pluie
jouer une sonatine en tombant
sur le sens hypothétique du monde.

Une prairie de poèmes suivi de Les langages infinis, Roselyne Sibille, Collection Grand ours, L’Ail des ours / n°3

Les œuvres de Renaud Allirand viennent illustrer la prairie dans laquelle Roselyne Sibille marche. Une prairie de poèmes, ou vivre la nature, être dans la nature, s’y fondre, l’accueillir. Prendre l’herbe « entre (s)es mains / pour écrire » et le déposer en soi. Roselyne Sibille nous entraîne dans ce paysage : une prairie. Sous le soleil de mars. A marcher, devenir abeille, butiner les fleurs de la prairie. Tout s’entremêle un peu. La nature se met à méditer quand c’est la poète qui en marchant médite activement. Les graines de pissenlit deviennent de « petites pleines lunes ». Devant la simplicité de la prairie, comparée à un « nuage végétal », boutons d’or, pâquerettes et pissenlits, « les pieds posés sur les nuages », la poète s’émerveille. Ainsi émerveillement dans la lumière naissante du matin, la rosée qui scintille : « entre mes pieds et l’herbe / les mots stupéfaits ». Émerveillement devant cette prairie qui au fil des jours se métamorphose : « la prairie se transforme plus vite que le poème ». Bientôt elle deviendra foin, mais se recommencera, se mettra à pousser de nouveau. Et nous arrivons sur une deuxième partie Les langages infinis, qui pousse à « entendre / les langages multiples ». Le langage est-il seulement le fait de l’homme ? Roselyne Sibille nous confirme qu’il est également dans la nature : « plutôt que des mots / noyés par des mots / j’écouterai / s’équilibrer les arbres ». Ainsi écouter les insectes, déchiffrer les écorces, l’arbre qui pousse, semer des fleurs afin que la joie se dessine et « (...) entend(re) le chant de l’océan / à l’intérieur ». Lire Roselyne Sibille, c’est trouver une forme d’apaisement.

Un oiseau s’applique
à répéter sa phrase

Brume des boutons d’or
tous ensemble épanouis

Presque oublié le vert
sous l’étole à peine déposée

Des choucas croassent
comme s’il s’agissait
de rayer
la perfection

L’Indien au-delà des miroirs, Simone Molina, écho visuel de Marcel Chetrit, éditions la tête à l’envers

L’écriture de Simone Molina évoque celui, ceux, qui ont connu la route, la marche, l’exil ainsi que la fatigue et la solitude de l’exilé.
« La misère de l’homme / qui tout le jour / toute la nuit marche ».
« On ne passe la vie qu’à aller d’un point à l’autre ».
L’importance du verbe, de la parole, celle qui « pousse à la vie ». Cela est possible si l’exilé « habite le verbe / alors le temps existe ».

La poésie de Simone Molina est comme une peinture, une grande fresque. Une poésie par ailleurs très inspirée par la peinture comme le témoignent certains passages dont celui-ci dans lequel le lecteur a l’impression de contempler un tableau dans un musée :
« trois javelots fichés dans la bouche de la nuit / détournent les chevaux du chagrin / dont les sabots rugueux dessinent un paysage »

Le texte de Simone Molina s’articule autour du verbe, du temps, de la marche, de la peinture, du paysage. Ces notions prennent force au fil du poème et se rassemblent comme dans un tableau. Une trouée de mémoire où transmission et racines ont également une importance et permet d’écrire : « son texte est un enfant suspendu à un arbre ». De l’enfant au vieil homme fatigué par la marche, un monde traversé par le temps. « Récit de sang / et de mémoire », marche sur la route autant que dans la vie. Ecriture de tous les exils, venus d’Afrique ou d’Amérique. Ecrire le cri autant que la vie. Ecrire une marche, un chemin qui sans cesse recommence, sans cesse se cherche, traverse l’effroi mais aussi son envers. Ecrire pour mettre à la lumière « sous la peau du verbe / une histoire longtemps tue ». Ecrire pour permettre à « la fleur ouverte sur demain » de poursuivre cette transformation. Simone Molina porte dans son écriture le poids de l’Histoire et des liens qui s’y dénouent. Les œuvres de Marcel Chetrit, entre terre et montagne, entre eau et ciel, oscillent entre douceur des couleurs et traits noirs épaissis. Peut-être ainsi témoignent-ils à leur manière de l’effroi chassé par quelque chose de plus vaste : « le mystère est plus vaste que l’effroi ».

tu marches sur la grève
je vois ton pas rapide / et la pierre
la poussière sous le vent

tu habites au bord de
l’étang vert ou gris / sinon le ciel
l’eau qui glisse

ton visage lisse
esquive mon appel

le jardin accompagne ton chant de cendres

là-bas des noms / oubliés
ici la fleur ouverte sur demain

tu questionnes le mot jamais qui pointe l’horizon

Mathématiques du trois, Germain Roesz, Collection bas de page, Les Lieux Dits

Un livre de la Collection bas de page. Format agréable, 21 centimètres sur 5 centimètres environ. On peut laisser défiler les pages et faire une lecture aléatoire des poèmes de trois vers chacun. Ou bien choisir de les lire dans l’ordre et de laisser infuser les Mathématiques du trois et le déroulé de la pensée de Germain Roesz. Des poèmes de trois vers qui se divisent, se multiplient, s’ajoutent et toujours par trois. Ainsi diviser la poésie par trois, diviser l’horizon par trois, dans l’écho, le ciel, l’infini, l’invisible. Vivre dans le monde, se multiplier par trois, habiter « le ciel lui même / jusqu’à l’infini / articule trois mots nouveaux ». Que cela soit visible, invisible, parfois se couper en trois, ou bien devenir multiples : « chaque partie de nous-mêmes / observe l’autre de sa coupure / multiplie les points de vue ». Nous nous multiplions, ou nous nous divisons par trois. C’est à l’infini que cela tend. Et ce petit livre pourrait aussi bien se feuilleter à l’infini.

Pourtant diviser le tout par trois
n’empêche en rien le tout d’être
le tout

*

Le vide qui se remplit trois fois
reste le vide
Trois est le vide invisible et infini

Les maisons du détour, Pierre Auban, La crypte

Je vais y aller sans détour, le livre débute ainsi : « C’est au bout d’un long chemin paresseux que se trouvent les huit maisons ». Et si je continue sans détour, ce livre dès le premier texte me rencontre ainsi que l’écriture singulière de Pierre Auban, maintenant décédé, dont l’œuvre reste encore à découvrir. Les maisons du détour est un recueil qui fait la description, ou plutôt le portrait, de huit maisons. Le terme portrait serait en effet approprié tant ces maisons pourraient adopter des visages humains, chacune avec sa personnalité. Tantôt maison des plus petits, tantôt maison des rêves, maison reine, maison des femmes, maison de la mer, maison de l’âme, maison des saints ou encore maison de la mort. Toutes les périodes de la vie évoquées à travers ces maisons. Un livre dont je n’ai pas envie de dévoiler tout ce qu’il suscite, préférant inviter à le lire tout simplement. Pour son originalité. Pour découvrir un auteur disparu sans avoir été davantage reconnu de son vivant. « c’est ce que, dans la joie ou la tristesse (...) on meurt aussi dans la demeure »

Si tu habites le cri ou le chant d’un oiseau
voilà ta deuxième maison.
Mais n’écarte jamais les passereaux
car ils sont peut-être ton premier langage,
ta vérité première.
L’incertaine, l’inconnue
la plus limpide à l’âme.

La maison n’est pas un pour
un soleil libéré.
Elle est pour le soleil offert
à celui qui veut bien
pénétrer avec tendresse
le sens véritable
(...)

Cécile Guivarch


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