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Fulminations, Mathieu Hilfiger par Isabelle Lévesque

samedi 14 octobre 2017, par Cécile Guivarch

Mathieu Hilfiger, Fulminations, Éditions Henry, coll. La Main aux Poètes, 2017 – 36 pages, 8 €

Au pluriel, le titre dont on ne sait d’abord s’il désigne des éclats de lumière comme son sens propre invite à le penser ou s’il faut explorer son domaine figuré, la colère qui tombe comme la foudre divine. Ferait-elle écrire ? Dicterait-elle les mots des Fulminations de Mathieu Hilfiger ? Une orientation fantastique semble envisageable sur le seuil du texte :
« [I]l dicte des lettres posthumes à sa main », nous indique, en prose, le narrateur de ces feuillets de nuit que l’on rêve comme des aphorismes définitifs ou des « lettres foudroyantes comme des épitaphes ». Un mouvement caractérise ces mots, vertical assaut puis chute dans la matière, sur la bruyère (de Bretagne ? de ses légendes ?).
Des mots se feront échos, comme les sons : « fulminations », « firmament », ils s’attirent et s’aimantent, ces phonèmes récurrents qui signent les mots longs du poème ajourné à l’horizon. La méditation accompagne ce mouvement, « faire nuit » devient l’objet d’une définition personnelle et acérée, réveille les « ténèbres » comme au soir des forces contenues se libèrent enfin pour dissoudre la frontière entre le jour et la nuit, pour faire sonner la lumière (le poème).
« Ce soir j’entends braver la nuit », affirme le narrateur, nous invitant à le suivre. Il est guidé par Paul Celan, mais aussi par le buis car les poèmes et les végétaux contigus se lient. Ce sont des alliés naturels. La nuit, l’encre de chine, en une seule évocation, seront faiseuses de poèmes, il faut les entendre et confier aux papillons de nuit le soin de tracer de leur vol ces signes qui dans les Fulminations traversées d’orages laisseront une trace. Resté dans la nuit comme captif d’un serment ou d’un mystère, le narrateur ne se plie pas au vœu du jour. L’aube, écartée, laisse aux étoiles le soin de percer, braver, la nuit. L’acceptation des ténèbres et de la blessure que le matin seul révèle scelle les noces du poète et de la nuit, le cadre que le matin décompose. Au cœur de ce dilemme, la désignation pronominale hésite (je/tu), figurant une prosopopée qui semble dissocier un instant le poète et l’autre personne en un monologue qui fait place à une autre voix : oracle, prophète. Il reste dans cette dissociation la trace d’une élection (poétique ou religieuse) qui se perd. La connivence établie par les dédicaces à Pierre Dhainaut et Jean-Marc Sourdillon est placée sous le signe de textes où l’âpreté est contenue par les dispenses végétales et vivantes, appelées à la rescousse comme le druide qui connaît le mystère du soin par les plantes.
Dans « Idus Martias », les Ides de Mars, les saisons semblent se mêler et le temps se perdre. Les giboulées, le vent désorientent le narrateur et pourraient rendre l’impossible possible. En ce probable 15 mars, anniversaire du jour qui vit César périr de la main de ses amis et de son fils, l’appellation de « Ventôse », mois républicain révolutionnaire, qui sera suivi de Germinal, mois de l’espoir. Encore faut-il en être sûr :
« Enfin tous les êtres désespérèrent du jour et offrirent leurs dépouilles inertes au poignard de sable du sommeil ».
Le passé simple qui clôt les verbes sur l’accomplissement d’une action confère aux Fulminations un caractère oraculaire, la nuit en est le signe noir et l’aube sa promesse. Les métaphores, nombreuses, voisinent les descriptions simples ; de cet écart naissent les Fulminations, proches d’un univers interprété, plongé dans une mémoire vivifiante avide de symboles, et une vision proche de la réalité donnée, enracinée grâce aux éléments végétaux, constamment présents. Le lecteur chemine sur ces deux terrains a priori opposés qui caractérisent l’écriture des Fulminations.

Isabelle Lévesque


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