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Télesco-pages de Valérie Rouzeau et Rivages intimes de Thierry Radière

mercredi 14 janvier 2015, par Cécile Guivarch

Télesco-pages, Valérie Rouzeau

(Editions Invenit / Musée des Confluences, 2014)

Boum. Quel bruit fait une pluie de météorites se fracassant sur la Terre ?
A quoi ça ressemble ? Et c’est quoi une météorite précisément ?
Et qu’est-ce que ça donne un télescopage entre science et poésie ?
Eh bien Télesco-pages justement (avec un tiret pour souligner le jeu de mots), de Valérie Rouzeau.
Le livre est né d’une commande du Musée des Confluences de Lyon, véritable cabinet de curiosités avec ses deux millions d’objets « de toutes matières (os, peau, coquillage, toile...), de toutes provenances (des cinq continents comme des confins de l’espace) ». Quatre auteurs, Philippe Forest, Emmanuelle Pagano, Jean-Bernard Pouy et donc, Valérie Rouzeau, ont été invités à choisir un objet pour en faire un récit. La poète a choisi un fragment de la météorite Allende qui explosa en morceaux le 8 février 1969 dans l’Etat de Chihuahua, au Mexique. Témoin des débuts du système solaire, cette météorite aura permis d’en comprendre sa formation.
(la poussière d’étoile) « Elle renferme une multitude tout un monde à facettes / de diamants microscopiques / chacun est unique absolument / comme un dé à jouer un flocon de neige / le meilleur ami d’une fille ».
D’une commande, la poète parvient à s’emparer de son objet devenu sujet, et propose une rêverie et des variations autour de ce fragment.
« Et chacun va faire son amour où il pleut / La route est belle de la terre jusqu’au Ciel »
Elle croise la grande Histoire et les petites histoires.
« Et dans l’Etat de Chihuahua la corruption / Cessa au moins douze bonnes énormes minutes dit-on / Les autochtones craignant un divin châtiment ».
Très documentée, Valérie Rouzeau glisse des informations savantes, à sa manière, avec malice : « A l’ère du mésozoïque dans l’eau du jurassique et puis du crétacé / Bélemnites ammonites rudistes respiraient / Avec les mêmes éponges et coraux qu’aujourd’hui / Avec les mêmes oursins les lys et les étoiles ».
On retrouve la petite musique de la poète, les comptines, les jeux sonores, son incroyable rythme, et cette capacité à mélanger cultures savante et populaire. Elle n’hésite pas à faire se côtoyer le vocabulaire scientifique avec les jurons du Capitaine Haddock (certes tirés de L’Etoile mystérieuse et posés en alexandrins), ses tantes dactylos à la fin des sixties, les voitures de Columbo ou Fantômas. Ou imaginant Frida Kahlo, si elle avait vécu jusqu’en 1969, ce qu’elle aurait peint du ciel tombé sur la tête.
Et de s’interroger sur notre place de profane face à la science. « Cette science bordel on n’y a pas accès », « Nous on entend cantique lorsqu’on nous dit quantique ». Elle parvient avec ses 22 fragments à nous faire découvrir ce qu’est cette météorite, ce qu’elle représente de vertigineux dans notre Histoire.
Elle réunit le ciel et la terre. « La route est longue du ciel jusqu’à la Terre / De la merveille à l’Académie des Sciences ». On embarque volontiers pour ce voyage cosmique.


Rivages intimes

texte de Thierry Radière, photos de Marc Decros
(Jacques Flament Editions, coll. Images et Mots, 2014)

Thierry Radière publie coup sur coup deux livres chez Jacques Flament : Rivages intimes, en collaboration avec le photographe Marc Decros, et Si je reviens sans cesse (chroniqué dans cette même édition de Terre à ciel par Sabine Huynh).
C’est une part très intime que nous livre là Thierry Radière, avec beaucoup de pudeur et de délicatesse. C’est tout simplement une déclaration d’amour, peut-être même deux déclarations d’amour : l’une à la femme qui partage sa vie, et l’autre, à l’écriture (qui partage aussi sa vie).
Rivages intimes est composé de 41 proses poétiques, et d’autant de photographies mises en regard de chacun des textes. Photographies en noir et blanc, suggestives, énigmatiques, parfois figuratives, parfois abstraites. Toutes sont des déclinaisons de bords de mer.
Comme le titre l’indique, il est question de rivages, que l’on peut interpréter de différentes manières. Le rivage où se tient l’auteur, observant le monde, et la femme qui l’aime. Le rivage où se tiendrait cette femme, hésitant à se jeter à l’eau : à savoir écrire. Le rivage où tous les deux seraient, en léger retrait du monde, l’observant, s’en protégeant par les livres, l’écriture, la Nature.
Mais ils ne sont jamais en dehors du monde. Ce sont tous deux des êtres blessés, amoureux des mots. Des mots qui sauvent : « en écrivant, on se sent moins piétiné » ou« Faire de nos vies un roman, un pavé de plusieurs milliers de pages et nous y sentir tels des lecteurs émerveillés ».
Lui, écrit, chaque matin. S’éveille au monde par l’écriture. « Ecrire tous les jours au petit matin est une manière secrète pour moi de rester en contact avec toi ».
Il voit en elle un écrivain. Elle est en devenir. Elle porte mille histoires.« Tous ces livres que tu écris oralement ». Mais n’ose pas franchir le pas. « Je sais bien que ton problème, c’est d’arriver à être toi-même ». Patient, il attend, l’encourage. « Il faut que tu écrives toi aussi un livre sur tout ce que tu me dis depuis tant d’années (..). Ainsi au cycle des saisons tu seras moins sensible. Je t’assure qu’il ne nous reste plus que ça, nous autres minuscules, invisibles et sans pouvoir ». Le pouvoir est dans les mots.
Et l’auteur se nourrit des histoires que sa femme lui livre, il se régénère auprès d’elle, de ses mots. Il s’écrit, « homme-éponge ». « Je vais embarquer sans te le dire pour une journée dont tu seras le moteur ».
Puis, pendant un hiver, elle écrit, « ce que j’avais deviné en toi depuis le début se produisait en plein hiver dans notre maison ».
Et les voilà tous deux portés. Et nous avec. On assiste à la naissance d’un écrivain sous l’œil et la plume d’un autre écrivain.
« Ecrire (..) c’est se rapprocher d’autrui dans une autre dimension que celle où vivre ne suffit pas » conclut Thierry Radière. C’est sur ce rivage-là que se tient l’auteur pour tenir debout.

Sophie G. Lucas


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1 Message

  • Rivages intimes de Thierry Radière Le 17 janvier 2015 à 14:16, par Sabine Huynh

    Dans Rivages intimes — une lettre à Tu (l’aimée) — Thierry Radière se penche sur ce qui est nécessaire et vital en ce monde : l’océan, la lumière, la révolte, la femme, l’amour, l’écriture, la lecture, la création, la poésie, la philosophie, le dialogue. Marc Decros signe de magnifiques photographies en noir et blanc de parcours, de traces et d’envols.
    Mon petit commentaire est bien plat comparé au contenu de ce beau livre, mais, comme Sophie G. Lucas, je tenais à livrer mon ressenti et à vous encourager à le lire. Une phrase que j’ai aimée, parmi d’autres : « Nous anticipons à notre manière les instants de bonheur, et cela nous permet de survivre » (p. 16). Merci aux éditions Jacques Flament.

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