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Hep ! Lectures fraîches ! (avril 2015)

dimanche 5 avril 2015, par Cécile Guivarch

La Patagonie, Perrine Le Querrec, éditions Les carnets du dessert de lune

« Un mot qui ne donne pas au dehors / un mot entouré de murs / bouclé par des portes surveillées / n’est certes pas un mot ». Les mots, Perrine Le Querrec ne les emprisonne pas, elle les étend sur son territoire, sa langue, aussi vaste qu’une Patagonie. Ce livre est le résultat de son blog L’Entresort, tenu depuis 2009, une sorte de carnet de voyage aussi bien intérieur qu’extérieur. La poète regarde autour d’elle, les gens, les lieux, les voisins, ceux qu’elle croise et ce regard alentour l’amène dans son propre espace, son lieu de réflexion. Ce que Perrine écrit, ce n’est « pas une histoire mais une langue ». Et chaque texte a la sienne, tantôt heurtée, tantôt taillée, tantôt déferlante. Enumération, forme brève, des poèmes qui stoppent net. Ce qui retient surtout le lecteur, c’est une réflexion sur l’écriture, les mots qui s’articulent autour de la langue. Jusqu’où va notre capacité d’écrire, jusqu’où porte la langue ? Perrine Le Querrec œuvre comme dans un laboratoire.

« Chaque mot est une découverte », « les recherches interrogent », « il n’y a rien de plaisant à me lire », la langue « laisse trace, devient trace ».

En arrière plan, plane le monde, les guerres, les violences, les petits gens, les fous, que Perrine affectionne particulièrement (Le Plancher, Jeanne L’Etang). Il y a aussi la petite fille qui attend noël, commande des peluches et se souvient les gestes de sa mère autour du linge, les draps. Une réflexion sur la précarité en soi, le silence que nous contenons, « des mots coincés là, dans la gorge » et que l’écriture permet de « repousser de tout son corps », lorsque les murs n’empêchent pas les mots de sortir de la bouche. On rejoint alors quelque chose de plus intime. Perrine Le Querrec ne cherche pas à faire joli, elle cherche à appuyer sur le détonateur.

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Jean Rustin, la vie échouée, Michel Bourçon, la tête à l’envers

Je comprends que Michel Bourçon n’a pas pu rester muet après avoir découvert les peintures de Jean Rustin (1928-2013). Pour citer ce dernier : « Je peins ce que tout le monde refuse de voir ». Ses peintures : portraits de petites gens mis à nus, sexe en main ou jambes écartées, yeux hagards, habités de solitude. Leur nudité n’est pas belle, au contraire, elle révèle la misère humaine. Le lieu où ces personnes ont été peintes ressemble fortement à un hôpital, un hospice, un lieu où ils vivent entre quatre murs, avec pour seul mobilier un lit et une chaise. Regarder ces peintures provoque un choc, et Michel Bourçon nous prévient, nous devrons l’encaisser. « Nous assistons au viol de nos yeux ». « Nous devons nous débrouiller avec ce que nous avons vu ». Le poète prolonge ce viol en posant le ton, les mots justes, en décrivant ces peintures telles qu’il les voit et telles que nous les voyons. Il écrit en harmonie avec les tableaux évoqués sans artifices… « Il y a présence de visages et de corps, sans soucis de dissimuler ou d’embellir la vérité ». Derrière l’écriture, Michel Bourçon se questionne : Comment soutenir cela ? Comment revenir à soi après avoir vu de tels portraits ? « On ne peut s’habituer à soutenir des yeux cette vie échouée qui n’est plus rien, n’attend rien et nous regarde, sans voir. On ne peut entrer dans cette peinture, sans la peur de ne pouvoir en sortir. »
Mais devons-nous pour autant nous interdire de soutenir la solitude de ces personnes ?
« Leur poids pèse en nous, à les regarder longuement. Il n’y a plus de jugement possible, car nous voyons apparaître dans ces toiles, une vraie morale qui ignore celle communément admise. »
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Renouées, Amandine Marembert et Luce Guilbaud, Les éditions du Petit Pois

Renouées, commence par Le cœur antérieur, recueil de poèmes de Luce Guilbaud publié en 1998 par Le dé bleu, publié suite à une longue maladie. Puis, l’histoire se poursuit avec la lecture que fait Amandine Marembert de ce texte. Le cœur antérieur la touche si profondément qu’elle le lit plume en main, elle se sent proche de cette écriture, des pensées de son aînée, de sa manière d’affronter la vie. Chaque poème produit en elle des échos. Naît une série de textes qui la relient à ceux de Luce Guilbaud. Plus qu’une rencontre, des affinités, une amitié forte. Marie Huot en parle bien dans la préface qu’elle a écrit pour Renouées. C’est l’idée de féminité qui importe ici, la solidarité des femmes entre elles, liées par les coups durs de la vie et les petits bonheurs. Renouée, c’est le nom d’une plante. C’est aussi celui d’un chapitre du Cœur antérieur. C’est aussi les souvenirs d’enfance d’Amandine Marembert qui s’amusait, enfant, à s’en faire une robe de mariée. Les éditions du Petit Pois rassemblent dans le même livre les poèmes échos d’Amandine Marembert et une réédition du cœur antérieur de Luce Guilbaud, le tout accompagné de monotypes de Luce Guilbaud créés pour l’occasion. De deux recueils, il en reste un seul, et l’écriture de ces deux femmes est reliée. En exergue, un extrait de Cédric Le Penven résume bien ce sentiment ressenti par Amandine « Une voix parle en ma voix […] / permettez que ma voix / emprunte un peu votre voix ». Puis cela continue, à la manière d’une lettre-poème, avec des textes évoquant leur rencontre, les partages, les confidences.
« On rencontre une sœur », « tu trouves les mots qui recousent », « tes yeux taillent / les branches des arbres / pour que j’aperçoive / la mer », « tes paroles / d’eau salée / me soignent ». Autant de mots témoignent du pouvoir de l’amitié entre femmes, le pouvoir guérisseur de leurs confidences. Amandine dans ses échos cite Luce, Le cœur antérieur, leurs correspondances, leurs paroles, leurs regards, la chaleur de l’une et de l’autre. Elle questionne aussi parfois.
Puis on (re) découvre Le cœur antérieur de Luce Guilbaud avec une édition revue et corrigée. Rives, ronces et renouées rythment ce recueil. Une femme est sur la rive, elle est malade. Elle écrit avec une grande délicatesse. Il y a du soleil alors que l’écriture vient de l’ombre et de la souffrance. Des mots nous glacent, d’autres nous questionnent par rapport au corps, à la vie, à soi. Il y a de la vitalité dans ces poèmes, l’amour, les bruits de la maison, le jardin… Le chemin parcouru, planté d’arbres et de fleurs. La maladie qui apprend à renouer avec la vie.
« Pour cette mer en moi qui s’ouvre », « ces jours de paroles lente / où le corps fleurit sa nuit », « est-ce l’eau pour me recouvrir ou la terre ? », « tu remontes la douleur qui traverse », « un mot un autre pour calmer la douleur », « je tourne les lourdes pages de ma nuit. »
« Etre femme, n’être qu’une femme, naître femme », l’identité et la solidarité féminines pour Luce Guilbaud comme pour Amandine Marembert sont très fortes. Ce recueil m’a beaucoup touchée, je crois bien que c’est le premier recueil que je lis sur ce thème.
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D’être plus que nu, Collectif du Bocage, textes photographies dessins danses, jacques andré éditeur

Emotion à lire, à feuilleter ce livre, à s’arrêter sur les photographies, les dessins. Collectif. Quatre personnes autour de ce projet, deux ans de travail. Emotion car les photos sont tout simplement belles. Photos avec une forte présence du corps. La danseuse se met à nu devant l’œil d’un photographe, d’une artiste peintre et d’un écrivain. Les dessins, le geste de la main poursuit ceux de la danse. Puis le texte, de Mary Gréa, où elle y partage le vécu de cette expérience collective, commune, hors du commun, pour « recevoir et traduire / l’émotion ». Elle continue de dévoiler la danseuse, qui propose au photographe, à l’artiste, à l’écrivain de « porter son regard » vers elle. Chacun à sa manière, vit la même expérience mais différemment, avec son propre outil en main, comme des « étincelles de doigts ». Mary Gréa capte non seulement la danseuse, son corps qui se meut, mais également l’ambiance générale de l’atelier.
« Il capte chaque instant », « il lui rend son visage », « j’ai du passer des peurs / quitter les regards / et apprendre / mon relief », « et je reviens près de lui, mon dessin », « des mains couvertes de peinture ».
Il y a au-delà du vécu dans cet atelier, une solide réflexion sur les liens, une théorie des cordes. « Ce qui nous lie, ce qui nous réconcilie, c’est l’unification de quatre interactions élémentaires. Briques fondamentales de l’univers en ces cordelettes vibrantes sous tension. »
Mary Gréa écrit avec ce regard extérieur mais elle parvient à écrire également comme à l’intérieur de chacun, à se mettre à la place des trois autres artistes avant de retourner à sa place. Elle photographie, elle danse, elle croque mais avec des mots.
« J’ai compris qu’il se passait quelque chose ailleurs / hors de mon champ »
« C’est en étant au plus proche / que je me suis vue / saisir un mot ».
« Dans la pièce, un bourdonnement / à peine audible mais pérenne / s’échappe d’un bout de papier égaré au sol ».

Un livre à découvrir…. Terre à Ciel, en a d’ailleurs déjà donné un aperçu, c’est ici.

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Le sillon des jours, Isabelle Lagny, Le Temps des Cerises

On pourrait croire au début du recueil, à une simple poésie sur le thème de l’amour. Mais Isabelle Lagny n’en reste pas là. Elle emprunte d’autres sentiers : l’exil, la mémoire, notre place dans le monde qui va mal et dans l’histoire. L’amour, celui qui tient sur le fil du désir, est évoqué à travers les paysages et l’exil « ses mains couraient sur des sentiers nouveaux / rigoles, reliefs, oasis ». Isabelle Lagny lui donne de la force en le comparant à « ces natures mortes / prêtes à revivre ». Il est aussi comme un petit animal qu’il faut apprivoiser, qui s’avance, s’éloigne et revient. Comme une amie ou une mère, elle accompagne celui qu’elle aime sur ses terres d’origines où il a vécu la terreur et la guerre. Elle pose ainsi la question de l’amour en exil « que faire avec un homme / qui rêve d’un ciel orange ». Au-delà de l’amour, Isabelle Lagny pose de profondes questions sur la trahison et la violence des hommes, la fraternité, le devenir des hommes. « Mon dieu / où va notre pays », « je viens d’un pays qui se décompose / jour après jour » même si parfois il y a « un petit phare au milieu de la mer ». Elle se tourne également vers la figure maternelle, le temps qui passe et la vieillesse qui efface. Puis revient vers l’amour, tricoté et détricoté et les liens qui unissent et nous entraînent sur le sillon des jours. Livre d’espoir, dans notre monde où il est nécessaire d’aimer, et « de sauver ce qui lui reste d’humain ». Isabelle Lagny se tourne vers l’avenir. Comment dire « je t’aime » pour préserver notre monde si fragile.

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Comme un chapitre d’Histoire, France Burghelle Rey, La Porte, 2014

France Burghelle Rey évoque les guerres, l’histoire de notre Histoire que nous vivons sans discontinuer. On pourrait penser, en lisant les premières lignes, qu’elle évoque la première ou la deuxième guerre mondiale, mais on s’aperçoit vite que c’est de toutes les guerres dont il est question. Celles d’hier et d’aujourd’hui. Comme le dit Salah Al Hamdani, poète irakien exilé depuis plus de trente ans en France, et que France Burghelle Rey cite en exergue : Le poète est le gardien de la lumière. Comme un chapitre d’Histoire est avant tout un chant pour un « alphabet de paix ». « Nous ne voulons plus de sang » et « je chante même si rauque est ma voix comme le cœur est usé ». Livre de mémoire, livre d’espoir pour demain, pour un monde sans guerre, sans « cris et chants de révolte ». France Burghelle Rey nous offre-là un beau texte, bref, comme aime les éditer Yves Perrine, on le referme à regret. Il s’agit d’un chant pour ne pas oublier que l’Histoire a répandu du sang et que celui-ci continue de se répandre. Un hommage aux soldats, à nos aïeuls, à ceux qui continuent de mourir. Un recueil qui se veut en union avec tous les pays et les hommes blessés. Ce texte est engagé et nous engage sur le chemin de la paix, plus que jamais.

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Bleu naufrage - élégie de Lampedusa, Denis Heudré, La Sirène étoilée

Le 13 octobre 2013, un bateau de migrants fait naufrage à Lampedusa. Cet accident on en parle dans les journaux, la télévision, la radio. Puis on enterre les morts avec cette histoire. Mais Denis Heudré, n’a pas pu oublier ces hommes, ces femmes, ces enfants qui étaient venus chercher un coin de paradis. Il écrit depuis ce jour à un enfant, dont il a aperçu le cercueil blanc : « je t’appellerai Quinze / c’est peut-être ton âge / c’est le numéro sur ton cercueil. » « La mer d’ici n’a que faire de toi, déjà oublié / moi je t’ai donné un nom ». La poésie de Denis Heudré est simple mais efficace, emplie d’émotion. « Les cercueils blancs / touches de piano pour une triste musique ». Exil, racisme, politique sont abordés aussi de façon délicate et directe. Ce livre est empli d’humanité alors que « le monde a mal à l’homme ». Les événements sont retracés jusqu’au 3 octobre 2014, un peu comme un journal, et un an après, l’incompréhension est toujours vive : pourquoi cette indifférence de la part des politiques par rapport à ceux qui sont morts ? « L’horreur ne peut se résumer à un cri ». Livre pour la liberté, la dignité… et pourtant Denis Heudré écrit « j’ai honte de transformer la mort / la tienne surtout / en poème ». En effet, pouvons-nous en tant qu’occidentaux écrire sur ces morts qui ne sont pas les nôtres ? Denis Heudré répond : « indignez-vous ».

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Face à / morts d’être, Nicolas Grégoire, Centriguges

« Ecrire à partir du génocide ? Ou plutôt écrire avec le génocide ? J’ai l’impression qu’on est toujours trop à côté. C’est toujours qu’avec ma terrible part d’étranger que le Rwanda apparait dans mes textes ». En effet, comment écrire sur une histoire qui n’est pas la sienne ? Nicolas Grégoire a passé plusieurs années au Rwanda et a ressenti le besoin d’écrire sur le génocide. Certains poèmes sont écrits avec retenue, les mots sont hachés. Le lecteur comprend la difficulté d’écrire sur ce thème, de poser des mots sur ces événements qui ne devraient pas avoir un visage d’homme. « avec ça on ne parle pas / hors de soi ». Comment oublier ou nier ce qui s’est passé au Rwanda quand on le traverse, en étranger. L’écriture de Nicolas Grégoire « laisse() aller l’horreur dans / nos silences ». On ressent une sorte de pudeur, une culpabilité d’écrire sur ce qui s’est passé là, et qui ne lui appartient pas. Au fil du livre, on sent que ce sentiment s’est renforcé mais la langue se délie. On est en plein dans l’horreur, avec des « corps coupés », des enfants et des gens morts « d’être ». Puis, la langue se délie encore, mais « j’ai du mal à l’écrire ». La réflexion de l’auteur à propos de ces écrits continue de faire son chemin. Cette nécessité d’écrire face à l’horreur et de se souvenir. Ecrire pour évacuer, pour ne pas laisser le silence envahir la parole. « Comment écrire avec  ? », « Quelle place on peut tenir », « pour ne pas taire encore, mais dire ». « La culpabilité d’être malgré soi / parmi ceux qui se taisent / ou n’ont pas voulu savoir ». Il s’agit pour Nicolas Grégoire de lutter contre la honte, mais subsiste dans ses écrits « la peur de sonner faux ». Et pourtant, ce livre est d’une grande sincérité, probablement parce que l’auteur prend la distance et la pudeur nécessaires pour évoquer l’horreur.

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La sirène à la poubelle, Sabine Huynh, éditions E-Fractions

Sabine Huynh apporte des éléments de réponse au rôle du poète, de la poésie, notamment engagée, face aux événements de l’histoire que nous traversons. Elle a amorcé la rédaction de ce texte dabord sur Facebook et Twitter avant de poursuivre sur son blog, à la façon d’un journal. Le texte couvre la période allant de juillet à début novembre 2014. Ecrire sur le conflit en Israël, en étant de l’intérieur. Trouver les mots justes pour simplement dire que nous sommes tous des hommes, que le seul souhait des hommes c’est la paix. Une écriture riche de diverses réflexions, autour des conflits, de l’histoire, de la poésie, etc. Elle nous permet aussi de connaître encore un peu plus Sabine Huynh qui n’hésite pas à dévoiler ses pensées de la façon la plus sincère qu’il soit. Ce qui fait la force des textes de Sabine Huynh, n’est-ce pas justement cette grande sincérité, cette honnêteté, autant que sa générosité et son engagement auprès de la poésie ? Vivre la vie à Tel Aviv en ces jours de guerre à travers les mots de Sabine. Vivre, en tremblant, cette page d’histoire et mieux la comprendre à travers les yeux d’une amie, sa vision qui n’est pas celle vendue par les médias, « de l’ordre du produit manufacturé », comme les amis de Sabine l’ont écrit, je les cite ici à travers quelques phrases. C’est exactement cela. « Le langage poétique vous entraine et vous dépose là-bas, vous fait sentir, toucher, pleurer. » « Le poète s’adresse à vous et à vous seul, alors que la presse s’adresse aux masses ». « Il nous faut un ami qui soit là-bas, sur place, au cœur de la tourmente, un ami qui puisse partager ce qu’il ressent avec nous ». Sabine Huynh devenue poète envoyée-spéciale. Ce récit, au fil des jours, nous bouleverse, même si nous ne sommes pas « là-bas », on entendrait presque retentir les sirènes et les roquettes qui s’abattent dans les jardins.

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Comme je viens de citer plusieurs livres de poésie engagée, je n’oublierai pas de vous parler également de la dernière anthologie parue aux éditions Bruno Doucey : L’insurrection poétique, Manifeste pour vivre ici . Anthologie qui rassemble un grand nombre de poètes, cent-dix pour être juste, d’aujourd’hui ou d’hier, d’ici et d’ailleurs. Vingt-deux sections composent cette anthologie. Parmi-elles : Au croc la phynance, Avant j’avais un métier, Cap Espérance, Contre la bête immonde, Contre les fous de Dieu, Dénoncer l’Apartheid, Homos je vous aime, La haine je la jette, Mal à la terre. Sans oublier : Liberté, j’écris ton nom et Sexisme, injustice !. Incontournable.

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Avec vous ce jour-là, lettre au poète Allen Ginsberg, Sabine Huynh, Recours au poème éditeurs

Sabine Huynh cette fois nous entraîne sur les sillons d’Allen Ginsberg. « Essai-lettre-confession-commentaire » : le parcours du poète est retracé avec passion. On ressent la forte proximité qui la relie à l’écrivain Ginsberg, dont la rencontre a été un événement pivot dans la propre histoire de poète de Sabine Huynh. Cette proximité tient de coïncidences (comme des dates d’anniversaire), de la réflexion commune aux deux auteurs sur le monde (comme la question du Vietnam), des souffrances maternelles. Sabine décortique certains poèmes d’Allen Ginsberg, montre comment l’un nourrit l’autre. Elle donne beaucoup de références (Tsvetaïeva, Whitman, Dostoïevski, Bonnefoy, Cohen, Atwood, Ko Un) et c’est pour notre plus grand plaisir. Elle aborde les questions du conflit israélo-palestinien, de l’identité juive. On en apprend sur Ginsberg mais également sur le parcours de Sabine, sur l’écriture, la poétique, la recherche sur la langue. « J’ai trouvé en vous un compagnon de route invisible, un ami imaginaire, plus secret qu’imaginaire en fait. »
Une très belle lettre où l’auteur exprime toute sa gratitude. « Merci d’avoir délié nos langues. Merci d’avoir soutenu le droit fondamental de s’exprimer et d’écrire sans inhibition. » « Votre voix est une présence vive, un cœur qui bat au sein de mon existence. » A lire, de toute évidence.

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Chaque jour est une page, Roselyne Sibille, La Porte

Roselyne Sibille marche et voit le monde en marchant. Ici, elle va par des sentiers dans une île des Cyclades, sous nuages et lumière, accompagnée du chant du coq pour rythmer ses jours. En cheminant avec elle, on imagine villages, architecture, végétations, mer et autres îles proches. Les mots vont au rythme de ses pas, tranquilles. Car dans ces textes, le lecteur ressent la marcheuse avec une paix intérieure. Ce sont des poèmes brefs, de quelques vers tout au plus. L’écriture est imagée, les choses de notre monde sont parfois personnifiées : « Les moulins sans leurs ailes / s’éboulent en ruines / ou haussent les épaules ». Et quand Roselyne Sibille écrit « je me baigne dans un des berceaux du monde », on comprend que voyager c’est aussi ressentir ce genre d’émotion.

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Exils de mon exil, Sanda Voïca, Passage d’encres

Sanda Voïca est roumaine, installée en France depuis déjà plusieurs années. En Roumanie, elle a déjà beaucoup publié. En France, elle écrit en français et nous l’avons déjà lue en revue ou sur internet, comme sur le site de Terre à Ciel où nous l’avions accueillie à notre table. Mais Exils de mon exil est son premier recueil édité en France. Le titre est de lui-même un poème et reflète à lui seul la poésie de Sanda Voïca. Ce livre est celui de l’exil, des exils. En quittant un pays, on s’exile plusieurs fois. L’exil débute par soi : « nègre de moi-même ». L’écriture permet, de la même manière, ce retour sur soi, comme un besoin à assouvir pour être au plus près de soi. L’exil comme « du vide et du plein ». S’exiler de nouveau pour rentrer à l’intérieur. Et pourquoi parler d’exil quand nous partageons tous la même terre, le même ciel. « A qui le ciel ? / A qui la terre ? ». Ce court recueil de poèmes porte de profondes réflexions sur l’exil, et des phrases à méditer : « Etre là où mon cœur bat », « mon corps en liberté et ma tête ailleurs », « De quel air sommes-nous faits ». Sanda Voïca n’hésite pas à faire bouger la langue, à nous donner des images improbables « mes genoux sourient ». C’est une écriture qui nous touche. Une écriture de l’intime. Une voix que nous n’oublions pas et que nous avons envie de suivre pour voir jusqu’où percera cette réflexion autour de l’exil, car je n’en doute pas, Sanda Voïca écrira encore sur l’exil.

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Alice aux mille bras, Mateja Bizjak Petit, Rafael de Surtis / Ecrits des Forges

Mateja Bizjak Petit est slovène. Elle a écrit ce recueil de poèmes dans sa langue natale et les a traduits avec l’aide de Valérie Rouzeau et Pierre Soletti. Des poèmes à la langue bougée, en apparence simples mais qui posent des questions essentielles sur le passage du temps. En lisant ce livre, j’ai pensé à des jeux d’enfants, à une sorte de cache-cache avec le temps. L’auteure « tire sur les ficelles » de ses poèmes et en revient à ses sensations d’enfance, enfance qui à mesure s’avance vers « des heures fondues ». « A quatre pattes / je gratte ma langue » mais vient toujours l’heure où l’on « quitte le ruisseau »… Mateja Bizjak Petit a un don pour jouer avec la langue, s’inventer des images. Il y a une certaine fraîcheur, une vitalité qui se dégagent de ce recueil. Le temps s’écoule comme le sable, le printemps se feuillette, nous sommes des étincelles éphémères et lisons le ciel. On s’interroge aussi sur la mise en page, trois vers de chaque poème en gras… Je me suis dis que ces vers en gras étaient aussi des poèmes. Le dernier texte ne contient plus que ces trois vers. Par où se sont écoulés les autres mots ?

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8 ans, Julie Remacle, l’Arbre à paroles, collection iF

8 ans, la voix qui nous parle dans ce livre a la fraîcheur de cet âge-là. L’auteur, avec le ton de l’enfance, raconte son pays, la Belgique et de sa place dans le monde ou l’Europe, « On ne parle pas le belge mais la langue du pays d’à côté », parle de politique, religion, « Dieu a été inventé par les hommes de caverne », aussi bien que de progrès technologiques, de centrale nucléaire, des problèmes démographiques, du chômage, de la crise économique, « On commence à se rendre compte qu’ici aussi / on peut mourir de faim / et que peut-être un jour / la guerre reviendra ». Sans oublier de parler des gens, des faits divers, du mal-être sur terre, du racisme, du sexisme, des pauvres et des riches et des personnes qui vieillissent. Tout cela, depuis le regard d’un enfant qui comprend qu’être adulte ce n’est pas si amusant et que les adultes passent leur temps à mentir aux enfants. Le tout avec un esprit assez critique, sans prendre de gants. Comme on dit : la vérité sort de la bouche des enfants. On se laisse bien conquérir par ce livre qui est empli d’humanité.

Mais parler de ce livre, c’est aussi évoquer la collection dans laquelle il a été édité : la collection iF dirigée par Antoine Wauters. Collection particulière, à la croisée des genres : ni poèmes, ni romans, ni théâtre, ni prose. Des textes inclassables, mais de grande qualité. Ritta Baddoura vient de recevoir le prix Max Jacob pour le livre Parler étrangement. Un superbe livre sur la langue, la langue natale, maternelle confrontée aux langues étrangères. Des textes en prose où la langue joue avec la langue, se défait, se refait, se crée. Je recommande vivement ce livre.

Vous pouvez m’entendre parler de la collection iFdans l’émission La route inconnue,radio Grand Ciel du 17 mars 2015.

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p(H)ommes de terre, René Lovy et Thomas Vinau, la boucherie littéraire

Ce livre est le fruit de la rencontre entre un artiste, René Lovy, et un poète, Thomas Vinau. On y découvre le travail de sculpture de René Lovy, rassemblé en photographies. Ce sont des pommes de terre sculptées, elles ont pris des visages d’hommes : grimaçants, ridés, bouches ouvertes ou yeux sans orbite. Thomas Vinau y appose sa touche personnelle avec de petits textes de quelques vers chacun. A chaque photo, à chaque p(H)omme de terre, son poème. La poésie est très proche de la terre, des racines, de l’humanité, de l’existence. Livre petit format à mettre dans sa poche, à montrer aux amis, à faire découvrir, tant pour le travail du sculpteur que pour celui de Thomas Vinau. « D’abord ile faut se taire / se terre / suffisamment ».

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Et pour finir en musique, un extrait de l’album Feuilles et nuages . « A travers les Yeux de Berthe, une nouvelle approche de la poésie de Philippe Jaccottet surgit au son du doux piano de Sandrine Marchetti et du chant de Loïs Le Van » , « Quand la déclamation se fait chanson, quand la poésie rencontre le jazz… »

En savoir plus sur le site Les yeux de Berthe.

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Lectures de Cécile Guivarch


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