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L’espère-lurette, chronique po&ique, par Jean Palomba (octobre 2016)

lundi 10 octobre 2016, par Roselyne Sibille

Dans le ventre de l’ange et autres cachettes / Marie Ginet (Editions Henry ; La Main aux poètes, 2016)

Ouvrir le livre de Marie Ginet, écrire sur sa venue, son arrivée, là, sous les yeux, c’est commencer par une naissance. Ce billet comme un faire-part. Inviter à fêter une nativité exponentielle. Genèse, Ginet, c’est ici Marie, mais aussi – ai-je lu – Ginet signifiant « belle et bien née ». Le voici donc, son nouveau-né, qui a pour nom Dans le ventre de l’ange et autres cachettes. Or, Ginet Marie montée sur scène, lorsqu’elle clame, murmure, performe et slame, s’est surnommée Ange Gabriel.e
Tiens, tiens... (j’ai dit « tiens, tiens », j’ai dit « tiens... »). Ange Gabriel, annonciateur des naissances, sacrés destins. Lui qui, incidemment, prête son nom à la péniche où le livre a pour partie été conçu. Car ce ventre, celui de l’ange, c’est la cachette suprême, celle en forme de cale dans le bateau traversant la Belgique, de Namur vers Béthune via Charleroi.
Alors, pour 8€, c’est écrit au verso : « Par le hublot passe le monde / Des graffitis d’amour et de solitude / sur les piles du pont / un ballon d’enfant bleu qui flotte / à l’arrière des usines ». Oui, le monde !... par les hublots, ces yeux de l’ange où filent depuis ce lieu d’intimité (un ventre !) les modulations d’une voix qui dit le fleuve, ses rives et tout ce qui s’y trame de vies et de morts entrelacées.
Si vivre, « c’est passer d’un espace à un autre », vivre dans ce livre, c’est passer d’une cachette l’autre sans se cogner, au secret dans un habit d’invisibilité, les yeux ouverts pour cheminer, d’un lieu faire un lien pour dire le vu et l’entendu au fil d’un collier de poèmes, comme autant de cachettes qui voyagent.
La première cachette qui file à 11 km/heure, avec l’air qu’elle déplace, fait remonter à la mémoire des vers anciens et d’autres stances plus nouvelles : du Bateau ivre de l’Arthur au rythme impair et vaporeux de Verlaine, au Zone d’Apollinaire, aussi l’Escaut descendu par Venaille et tous ces Noms perdus, des sources aux pertes de la Meuse de Beurard-Valdoye... mais encore, compris, happés dans une fluidité, surviennent les contrastes profus de collages hérités des clochards célestes et, sans crier gare, chavirées au gré des courants sales, même la Charogne baudelairienne, voire les morgues d’Allan Poe. Oui, des sonorités fluides comme le fleuve, de courtes phrases percussives, des alexandrins dissimulés, des « gla gla gla » et des « tut tut », de bucoliques tableaux crevés... par des cimetières industriels, des souvenirs ouvriers de l’ancienne émigration familiale et la tragique présence / absence des migrants d’aujourd’hui, aussi « foufelle » et « manicracs »... tout cela défile dans les yeux du ventre de l’Ange.
Mais... alors qu’un retour spéculaire vers l’incipit permet une ultime collusion enchanteresse : « Les fleuves : une rêverie sous la langue » (p.7) => « On peut s’embrasser sur la bouche » (p.41)... page 41 justement, c’est là que se coupe le ruban du fleuve et qu’apparaissent d’autres cachettes, nouveaux poèmes, petits cailloux sur le parchemin de la copiste voyageuse. Une mosaïque de lieux, trame d’un texte au creux duquel souvent (re)paraît l’amoureux. Car au secret des cachettes naissent et renaissent les émotions, les plaisirs et la mélancolie... ces Chambres des caresses ou la contre-complainte de la voleuse d’éternité. Autant d’instants localisés au fil du texte porté autour du cœur, ce même fil qui tient ouvertes les paupières, ces stores que l’Ange pourrait baisser.
Dans le ventre de l’ange et autres cachettes, tout l’art d’habiter, de percevoir un quotidien recréé, multiplié dans l’espace et le temps. Découvertes, redécouvertes, imaginations, souvenirs, nomination des territoires, de paysages, visages et voix : partie d’une liturgie des heures toute personnelle, célébrant la vie depuis celle de Marie Ginet, Gabriel.e.

Jean Palomba


Pour voir des photos, lire des extraits de ce livre et un entretien avec Marie Ginet :
http://www.terreaciel.net/Marie-Gin...

Pour lire un article de Marie Ginet Slam, peuple et poésie : http://www.terreaciel.net/Slam-peup...


(Page établie grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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