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Trois fois rebelle de Maria-Mercè Marçal

samedi 28 septembre 2013, par Cécile Guivarch

Maria-Mercè Marçal poète Catalane, morte prématurément en 1998 est traduite et publiée pour la première fois en français par les éditions Bruno Doucey. Le titre du recueil Trois fois rebelle, extrait du poème Devise qui ouvre l’ensemble, donne d’entrée de jeu le ton :

Je rends grâce au hasard de ces trois dons :
être née femme, de basse classe, de nation opprimée.

Et de ce trouble azur d’être trois fois rebelle.

L’écriture est alors affirmation de cette triple identité revendiquée comme une richesse.
MMM se situe dans la filiation poétique des grandes voix qu’elle a traduites en catalan, celles d’Akhmatova et de Tsvetaieva mais aussi de Sylvia Plath citée en exergue du poème cette part de moi qui adorait un fasciste.

MMM s’inscrit également dans la filiation naturelle des femmes, mères et filles, filles et mères qui tissent et détissent de leurs mains toujours occupées le fil des vies.

Elle pique peau
morte, tissu
air, chair vive :
elle coud la mémoire
la repriseuse aveugle.


le poème serait alors la quête d’une matrie abolie, la figure du père érigée en menace Père-épervier qui me scrute des cieux… je suis pétrifiée par ta volonté.

Le recueil regroupe cinq ensembles, dont le dernier et sans doute le plus fort, écrit en 2000 s’intitule Raison du corps. Le poème s’y fait plus ciselé plus âpre aussi. Car l’écriture de MMM passe par le corps, le corps présent, présence essentielle, véhicule du poème. Les mots traversent le corps aimant, souffrant, désirant, déchiré pour qu’accouche le poème. Le poème extrait du corps y prend parfois la forme de la cicatrice : Glissière / de chair / mal refermée /
pourtant / inamovible.

Le corps, lieu des expériences essentielles, celle de l’amour : Je t’aime avec mon corps / exilé et muet, celle de la maternité : cette guerre qui me rattache à toi / en un pacte de sang intarissable, celle de la maladie et de l’approche de la mort dans ce bouleversant poème posthume qui clôt le recueil :

Je couvais l’œuf de la mort blanche
sous l’aisselle, au ras du sein
et aveuglément j’allaitais
l’ombre de l’aile de la nuit.
Ne pleure pas pour moi au point du jour ma mère.
Ne pleure pas pour moi, pleure avec moi.

….

L’écriture de MMM trace les lignes d’un engagement fort, celui d’une femme rebelle qui interroge à travers le poème le sens de nos souffrances et celui de notre mort :

Mourir : peut-être seulement
perdre forme et contours
se défaire, être aspirée du dedans
de l’utérus vivant,
matrice de dieu
Mère : dénaître.


Christine Bloyet


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