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Marilyne Bertoncini

mercredi 14 janvier 2015, par Cécile Guivarch

Extrait de Fantômes d’E(urydice)

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La Main d’Ombre

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Pour accéder à l’ombre
il faut
passer derrière les paupières
du sommeil
ou le long des racines du platane

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Des feuilles de l’arbre
je te parle
_____ Leur sève coule de mes doigts
je jette SES mots sur l’écran
E.lle traverse mes rêves

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Sa voix d’ombre
leurs voix
la sienne et sa part d’ombre
l’écho
ombre de sa voix

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Ta main d’ombre saisit la mûre
et son ombre
____ Ta bouche d’ombre
ne goûte
que l’ombre de la mûre

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J’écris pour la durée
la durée de l’absence
___ Volets clos
je nourris ma part d’ombre
vorace.


Mini entretien avec Clara Regy

Peut-on dire qu’il y eut véritablement un « commencement » pour l’écriture ?

Y a-t-il un moment initial où l’on se met à écrire – où l’on « entre en écriture » ? Dans mon cas, je dois remonter à mon premier contact avec un poème - dans la partie lecture du manuel de CP – un texte, que j’ai longtemps cru de Paul Fort, sur le vent, qui m’avait fait une telle impression que je l’avais décliné avec toutes les saisons et tous les éléments... En fait, il s’agissait des premières strophes de « Décembre » d’Emile Verhaeren – dont j’ai dévoré un peu plus tard Les Flambeaux, les Débacles, Les Villes Tentaculaires... (ainsi que les poèmes d’Albert Samain), dans une édition à couverture jaune, dans le grenier de ma grand-mère où se fanait la bibliothèque de jeune fille de ma tante... J’ai toujours écrit – aligné des signes parfois même – j’aimais couvrir la page d’écritures, de chiffres – peut-être entre t-on ainsi en littérature ?

Quels auteurs marchent à côté de toi ?

Après Verhaeren et Samain, j’ai rencontré – comme tout le monde sans doute – Rimbaud, Baudelaire, les poètes « maudits » dont le destin me faisait peur (si je devenais un poète maudit moi aussi ? m’aurait fallu cesser d’écrire pour vivre ?) puis La rencontre déterminante – Quand les Sirènes se taisent de Maxence Van der Meerch – un auteur aujourd’hui oublié, mais que je recopiais par longs extraits tout en me disant que, quitte à être un jour écrivain ou poète, il faudrait s’engager comme lui dans la réalité, écrire comme lui. Et en même temps, plongée dans Alcools d’Apollinaire – je m’en suis enivrée – je connaissais par cœur « La Chanson du Mal Aimé », j’avais obtenu le disque de Mouloudji qui le disait si bien... - Alcools qui ne me quitte jamais, auquel je reviens toujours – que je me récite encore - ma béquille morale - et esthétique, ou plutôt, le filtre/philtre à travers lequel je regarde le monde. Bien sûr, il y en a d’autres – Eugenio Montale, Pasolini, Jabes, Celan, Eichendorf, Neruda... ce sont les livres que j’emporterais partout avec moi (j’en ai plusieurs exemplaires, entre Nice et Parme !) sans oublier dictionnaires et « livres d’images » dans lesquels je voyage beaucoup - je compile des albums en glanant aussi sur le net). Enfin, le poète vivant, contemporain, qui m’a le plus épaulée, m’encourageant à donner le jour à mes propres textes est – sont – deux femmes extraordinaires : Chantal Dupuy-Dunier et Jan Owen, que j’ai traduite.

Cette poésie peut-elle se dire « ritualisée » ?

J’ai toujours écrit – presque – me suis parfois découragée quand mon travail – que j’adorais – dévorait le temps que j’aurais voulu consacrer à des écrits personnels – l’impression désormais d’être libérée, d’avoir fermé la longue parenthèse professionnelle pour retrouver mon univers, lui donner vie, le faire naître. Je ne suis pas certaine de comprendre le sens de « ritualisé » – il y a des textes qui ne pouvaient naître que des conditions précises dans lesquels ils se sont imposés (c’est le cas des longs poèmes du Labyrinthe des Nuits qui paraîtra en mars chez Recours au Poème Editeur : je les ai écrits au long de plusieurs étés en Italie – enfermée dans la pénombre qui me protégeait de la canicule, comme une longue respiration, un voyage lent) – d’autres se composent en marchant, des bribes viennent, que je chantonne pour ne pas les perdre, ou que je note dès que possible – ces textes se composent comme des manteaux d’Arlequin, presque « tout seuls » – puis je les reprends, les retravaille... De plus en plus, j’écris directement sur l’ordinateur – j’aime la facilité avec laquelle je modifie la place, la forme... l’écran virtuel est comme un vivier de possibles, comme la photo que je pratique en parallèle à l’écriture (l’un et l’autre se nourrissent et hantent mon imaginaire – ce sont deux points de vue complémentaires sur le monde). La traduction, aussi, m’est essentielle : le voyage d’une langue à l’autre de mes textes, (dans mon cas, le passage par l’italien et l’anglais) comme un passage par l’ombre dont on remonte quelque improbable pépite (je réécris beaucoup à travers ces passages, qui tamisent les textes).

Quels mots associer avec poésie...

« Magie » (je crois fermement au « dérèglement des sens » rimbaldien), « Musique » (un coup de Verlaine et « son impair, plus soluble dans l’air ») et « engagement » – volonté de manier à la façon de Pasolini, me dis-je maintenant, le réel et son symbolique – à dévoiler, mettre à nu, révéler le caché, le miraculeux, sous le réel ripoliné de notre époque. D’où sans doute ta question sur la mythologie – et son importance dans ma vie. Je chemine entre des figures mythiques, effectivement – et les couples de Minotaure/Ariane et Eurydice/Orphée occupent beaucoup d’espace dans ma vie actuelle, m’aidant à creuser le sens de mon rôle de traductrice, le sens que je lui donne dans ma vie spirituelle. Je souffre de la disparition des mythes parce que je suis convaincue qu’ils permettent de comprendre ce qui nous échappe, de recomposer la charpente du monde – je les traque, les travaille, les croise... Qu’on écrive ou pas, la poésie est un état d’esprit et, selon moi, la perception mythologique adaptée à notre époque sans dieux. Le devoir du poète, c’est de proposer des mots pour la rendre visible.


Maryline Bertoncini, née dans les Flandres (sur une frontière), partage sa vie entre Nice et Parme, après avoir enseigné la littérature, le théâtre et la poésie. Titulaire d’un doctorat et spécialiste de Jean Giono, elle est l’auteur de nombreuses critiques littéraires et d’articles sur la pratique pédagogique. Elle se consacre désormais à sa passion pour l’art et le langage en traduisant de l’anglais et de l’italien (toujours un passage de frontière) et en collaborant notamment avec des artistes plasticiens. Ses traductions et ses poèmes sont publiés dans différentes revues françaises et internationales, dont La Traductière, Capital des Mots, Recours au Poème, Il Giornale di Parma, Cordite, The Wolf... et sur son blog où dialoguent ses textes et photos en cours d’élaboration.

Son premier recueil de poèmes, Labyrinthe des Nuits, sera publié en mars 2015 par Recours au Poème Editeurs, qui publie également ses recueils de traductions.

Lien vers Minotaura, son blog

  • 2013 – La Nuit de Lilas, in Recours au Poème
  • 2013 – Daemon Failure, Livre d’Artiste, édition limitée, avec les gravures de Dominique Crognier
  • 2014 – Night of Lilac - in Cordite
  • Septembre 2014 – La Dernière Œuvre de Phidias (extrait) in Le Capital des Mots
  • Octobre 2014 – Tony’s Blues, de Barry Wallenstein, Recours au Poème Editeurs (traduction)
  • Novembre 2014 – Aeonde, in Recours au Poème

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