Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Julien Boutreux

mardi 5 juillet 2016, par Cécile Guivarch

atopique

tout est à fleur de conscience
juste sous la peau
il suffit de faire le vide
de laisser venir
de ne plus penser
d’écouter
tout est là
dans l’éternité du dedans
où rien ne bouge
sauf en cas de séisme
où tout s’entasse
sens insondable
sans limite
sans cartographie possible

revenant

le hasard dans la rue
peut vous tomber dessus
comme une vieille connaissance
qui vous saluerait depuis
l’autre côté de l’enfance
alors vous salueriez en retour
avec civilité
cherchant la façon
dont vous pourriez prendre congé
et continuer

disparue

encore une fois je dis ton nom
toujours pareil
cette même chose qui vient
qui afflue
qui affleure
apparaît dans ma bouche avec un goût de cendres
ton nom
il circule entre mes dents
s’articule avec ma langue
se projette contre mes lèvres
mais non
ton nom de morte ne se prononce pas
je dis bien ce quelque chose
quoi
ton nom
parce que ton nom est comme le mien
c’est le mien
avec une majuscule qui s’écrie
mais non
je l’ai sur le bout de la langue
et il me trotte dans la tête
parole
sauf que ton nom ne dit plus rien

passe

on est là
allongé dans un rêve
à respirer cet air
qui ne veut pas de nos poumons
on supporte une vie durant la pesanteur
de mots chargés de sens
on écoute si possible
l’écho de pas étrangers
venus du sous-sol
venus du grenier
toujours plus légers que les nôtres
ils empêchent de dormir
ils retiennent de mourir

tapi dans le jour qui disparaît
on essaie de se perpétuer à l’identique
de s’accrocher aux instants
de déceler un signe de sa propre existence
dans l’ombre d’un autre à peine entraperçue
ou dans le miroir d’une feuille blanche

mais la nuit s’insinue partout comme de l’eau
on sait pertinemment que rien ne restera de soi
qu’ombres et reflets
traces plus vivantes que nous

vision

ce puits de ciel
où tombent les yeux du rêve
ce vertige impossible
sur quoi s’ouvre la nuit
ce peu de ciel
étranger en moi
est-ce encore moi
je ne sais plus
que dévisager le vide
pupilles étranglées
à en perdre la vue

cycle

à l’oreille attentive
de celui qui
de celle
écoutant les bords de soi, les bouts du monde
ses écoulements tangibles
cherche à suivre l’ombre souterraine qui sera source
circulant sous la pierre des nuits durant
jusqu’au jour où
débordera
selon l’écho
la lumière
la rumeur
l’aval
le rivage

s’y engloutira

glissements

Creusant dans le ventre du verbe
la tombe d’air d’oiseaux

Le sommeil d’une lune se terre
dans le regard des autres

Pourquoi me dire de vivre
quand l’épuisement me vide

Je vois à leurs voyelles
que les oiseaux vivent l’heure

Leur ciel de dunes se serre
dans le retard des aubes

Pourquoi te dire je vis
quand l’évidence suffit

reste

aujourd’hui encore je me demande
ce que tu pouvais tenir dans ta main blanche
de feuilles et d’os de terre humide
dans ton poing fermé serré comme des dents
contre ta paume de chair de muscles de nerfs de sang
ta main d’ombre que tenait-elle dis-le moi
tandis que je cherchais partout ce peu de sable
que par inadvertance j’avais laissé s’écouler de ma bouche

erreur d’aiguillage

j’ai pris le train
j’ai pas compris où j’allais
par la fenêtre des paysages entraient
des villes défilaient
les gens à côté de moi
me parlaient mais j’écoutais pas
j’ai pas compris ce qu’on allait faire
ce qu’on allait voir
alors j’ai plus voulu faire le voyage
je suis descendu dès que j’ai pu
je crois même que j’ai sauté du train en marche

avant la couleur

assise
au soleil

un chat blanc
endormi sur tes genoux

tu lisais
un roman noir


Entretien avec Clara Regy

D’où te vient l’écriture ?

Je n’en sais rien. Elle sort d’une faille sans doute.

Peut-on dire qu’elle ait eu un « commencement » ?

Cette faille justement, je suppose. Sauf qu’où et quand, je l’ignore.
On n’est toujours avec la poésie qu’au commencement d’un chemin mal balisé ; et le périple se fait sans carte.

As-tu des rituels ?

Inutile : la poésie est en elle-même le rituel.

Des moments « particuliers » d’écriture ?

C’est comme ça vient. Quand j’ai une idée, quelque chose à dire. Souvent, parfois, rarement.

Y a-t-il des auteurs qui éclairent ton « parcours poétique » ?

Ceux qui marchent à mes côtés, je ne les vois pas tous. Comme tout le monde, je n’ai conscience que d’une petite partie d’entre eux, ou bien je me trompe sur leur identité. On ne sait pas qui parle par notre bouche.

Si tu devais définir la poésie en 3 mots quels seraient-ils ? ( et en 3 phrases ? )...

Une parole. Pour le troisième mot, j’hésite. Ce pourrait être inouïe. Une parole inouïe, ce qui peut sans doute caractériser une approche novatrice et contemporaine de la chose.
Selon un autre angle de vue, je pourrais dire une parole incantatoire, volontiers initiatique. Parce qu’il m’apparaît de plus en plus que la poésie a à voir avec la magie, la sorcellerie, l’hypnose, le mythe – elle est la formule magique, la prière, l’exorcisme, le serment, la prophétie. Elle invoque des démons, et elle les conjure. Elle est le Verbe, créateur ou destructeur, c’est-à-dire l’opposé du langage ordinaire, vernaculaire et véhiculaire – sorte de parole déchue, galvaudée. Rien à voir avec le logos. Ni récit, ni discours. Encore moins langue. Je n’ai pas forcément su faire cela jusqu’à présent dans ma poésie ; déjà, parce que je ne l’avais pas compris (dans le meilleur des cas, je tournais autour) ; ensuite, parce que ce n’est sans doute pas à la portée du premier venu. Tout le monde ne devient pas alchimiste.
La poésie manipule les symboles dont elle est une outrance, un trop plein ou un trop cru ; et ce, paradoxalement, pour dévoiler, ou atteindre, ou entrevoir le réel – par essence hors d’atteinte. Elle cherche une justesse, qu’elle rate forcément à chaque fois ; elle est ce trajet vers l’hors de portée. Elle n’est pas signification, elle est sens au-delà du sens, et plus que ça, sorte de langue de la langue, de signe du signe, ou plutôt, donc, de parole de la parole. Elle est performative dans son essence : je vois le poète comme un tétraplégique qui aurait conservé l’usage de la parole ; dont la force des membres, muscles et nerfs, passerait désormais dans la parole.
Ça fait un peu plus de trois phrases, j’en suis désolé ; disons que cela contrebalance le laconisme de mes réponses précédentes…


Julien Boutreux est né pour la première fois en 1976 et se plaît à vivre en Touraine viticole. Poèmes et nouvelles parus depuis 2014 dans diverses revues web et papier, parmi lesquelles Traction-Brabant, Ce qui reste, L’Ampoule, Paysages écrits, 17 secondes, Lapsus, Squeeze, Dissonances, La Passe, Poésie/ première, Ouste , Nouveaux délits, Banzaï
Son premier recueil : L’oiseau de pierre, éditions La Porte, 2016

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http://www.le-capital-des-mots.fr/2016/02/le-capital-des-mots-julien-boutreux.html

http://www.le-capital-des-mots.fr/2014/10/le-capital-des-mots-julien-boutreux.html

http://traction-brabant.blogspot.fr/2014/12/de-julien-boutreux-extrait-de-t-b-60.html


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