Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Kenny Ozier-Lafontaine

samedi 19 juillet 2014, par Cécile Guivarch

a)

l’oiseau et la lumière se partageaient la même branche
et le poids de l’un était l’ombre comptée en grammes de l’autre,

b)

le vide est une bassine pleine de rien,
une vaste clairière où s’inventer des souvenirs d’enfant
quand les yeux du chat affrontent la lune
au minuit des grâces nocturnes,

c)

on n’obéit pas au silence,
on partage en quatre les prières de l’aube,
on abdique face à l’absurde des loteries du verbe
la langue emprunte les lois
d’une mécanique fragile,

a)

dans leur hâte ils confièrent les nuages aux enfants,
cerisiers, billes et ballerines
se couvrirent de poussières,
comme l’oubli était devenu règle
il suffisait dès lors d’inverser les signes du temps pour atteindre
l’autre extrémité de l’horloge,
et cela sans avoir à passer par
le miroir, par l’image,

b)

on peut apprendre la soif à un ruisseau
sans trahir la source,
il suffit de resserrer, plier, diluer, effacer les marges
et les rives,
avorter les lignes et axes parallèles à l’étoile,
délier les pierres les plus bavardes,
renoncer aux triangles de l’âme,
suivre les premières géométries, celles du silence
et de l’ombre,

c)

du sucre sombre et de la mélasse des tribunes
de son enfance il ne lui restait plus qu’à élucider
l’autre partie,
il ne lui restait plus qu’une moitié d’ombre
à offrir,

NUIT, PREMIER CHAOS

a)

la nuit se détourne rarement de la potence
où sanglote le dernier souffle
de l’enfant,

b)

choisir entre la pieuvre douce et le poulpe de lueurs
pour atteindre un semblant de lune,
faire pivoter avec l’index le socle en mousse des deux lèvres
pour traduire la soif inscrite en minuscule
aux fossettes de la laitière,

c)

lier la source du bleu
à l’évidence même du verbe
rêver, écrire bleu sur bleu
pour tondre les surplus de lumière

TOUTE LA MÉMOIRE

a)

le « je » compte les « moi »,

b)

tondre l’herbe rose
dont se nourrissent les goyaviers
de mon enfance,
et celle orange que sirote le vieux manguier
de ma naissance,
faire brasier des jujubes et caramboles
des surettes fluo,
gommer avec l’index le sang blanchâtre
des pommes cannelle,
là où l’ombre donne l’heure
des pays de sucre et de sèves,
faire un pas de plus
dans l’oubli,

c)

les gouttes de pluie
ont des lèvres de femmes
pour prédire l’avenir
chaque goutte de pluie
est de fait
porteuse d’un silence
tissé dans l’épice même
du savoir,

( la pluie renseigne les morts, renseigne les fleurs)

MON NOM

a)
chien
blanc
tombé de la neige
pour libérer les nuages du ciel
pour épingler les mots aux choses
pour compter le nombre exact d’épines
servant à faire
siffler la chair,

b)
il avait
en main
trois mandarines rose-orange
usées par la salive
acide des pluies de novembre
et au pieds
des ballerines au tissus découpé
dans l’ étoffe mélancolique
d’un songe inachevé,

c)
il avait échangé son vieux cadavre
contre un sablier
aux hanches si fines
qu’on pouvait y voir l’éternité
patienter

LUEURS

a)

où loge la parole
forcer le ciel
à tisser
sans cesse
de nouvelles solitudes,

b)

au dos
des fanfares
des tronçons
des miettes
des blessures
de hérissons
au dos
des hirondelles
des briques
des limaces
et des cerises rose
au dos
des bâtons
de réglisse
qui font la nuit
au dos
des cadavres
des tartines
des viscères
et des lièvres
d’aluminium
au dos
des mots effondrés :

  • le tranchant-

c)

elle m’oublie la pierre assise ,
où le bleu tissait
une auberge pour l’aube,
aux cantines curaçao
moins qu’un souvenir
déposé sur
les lèvres du printemps,

a)

cerise sertie de contradictions
mendiant sucre et couleurs
au rouge à lèvre de l’aube
mendiant l’ombre et la racine
dans la sciure brune et fiévreuse
où se repose le chagrin,

b)

il faut bien avouer que de la confrontation
de l’ustensile et de l’étoile,
de la cruche d’où nous était versé
chaque jour
des litres de peurs fraîches
suçoté du sein cosmique,
ne pouvait aboutir qu’à
une diminution des distances
et à une nouvelle répartition des sentiers
à une nouvelle manière de donner le pas,

c)

il faudrait peindre toutes les racines
d’une couleur bien différente
du ciel,
ou alors ne plus peindre
ni le ciel
ni les oiseaux
ni le reste,


Mini entretien avec Clara Regy

D’où vient l’écriture pour toi ?

D’un besoin de fixer.
D’un besoin d’accueillir chaque jour, quelque chose d’utile, afin de m’assurer qu’aujourd’hui n’aura pas été vécu en vain, qu’il y aura au moins eu cette fenêtre, cette ouverture sur cet ailleurs mystérieux. J’ai commencé à écrire à une époque où j’étais complètement en échec, où mon esprit
était lui aussi en échec. Ce besoin vient d’une période où je m’étais persuadé avec force que j’étais devenu fou. Tout au début j’écrivais seulement pour m’éclairer et m’accrocher.
Ça a été mon point de départ.

Comment travailles-tu tes écrits ?

J’aime l’idée que la phrase, l’image ... soient déjà écrits, que le poème pré-existe dans sa forme
parfaite quelque part dans une sorte de profondeur, et qu’alors mon travail consiste simplement à
y accéder et à retranscrire de la façon la plus fidèle.
C’est un travail d’attention qu’il faudrait permanente, et de lucidité.
Les images surgissent dans ces moments d’ a-tension, (pendant la marche, pendant l’état de rêve,
ou de rêverie lucide, ou encore durant ces instants d’intenses introspections et d’attentes qui sont
souvent les moins productifs).
Il s’agit donc d’attraper au vol ces objets furtifs, de les saisir par la ruse, et comme il est rare de
pouvoir les saisir totalement, le travail d’écriture commence quand il faut dès lors les compléter,
en essayant d’imaginer quelle aurait été leur forme originelle, en tentant de la dénaturer le moins
possible. Ce travail, je le fais chaque jour entre la nuit et l’aube, jusqu’à ce que l’ensemble tienne.

Quelle part occupe la poésie pour toi au quotidien ?

J’écris tout les jours depuis que j’ai commencé à écrire, par discipline, par excès, par nécessité,
par superstition, par anxiété, par peur, par peur du vide, par peur de ne plus y arriver si je m’arrêtais ...
Je tiens en parallèle des carnets où j’inscris mes rêves. J’aime l’idée que les deux sont de part et
d’autre d’une frontière, les deux faces d’un même visage, participant à un même ouvrage ...
Un peu à la façon du Tonal et du Nagual, dans l’un il s’agit de dire, dans l’autre d’agir.
Il s’agit dans les deux cas d’exploration.

Quelle est ou quelle serait ta bibliothèque idéale ?

Un sac à dos, avec au moins un livre de Castaneda, un d’Artaud, sûrement « Ecrire en pays dominé » de Chamoiseau, l’exemplaire piqué à mon grand père de l’œuvre intégrale de Césaire, « Kaddish » de
Ginsberg, « le Faust » de Pessoa, « Pétronille » de Claude Ponty, un livre de Du Bouchet et un autre
de Bonnefoy s’il me reste de la place … En quantités égales des choses lues et à lire (des œuvres de Ponge, Prévert, Porchia, par exemple …)

Quels sont les trois mots que tu associerais le plus volontiers à celui de « poésie » ?

territoires / phantasia / arcanes
( les trois mots sont liés à l’acte de dévoiler )


Kenny Ozier-Lafontaine (Paul Poule )

En exil passionné, étranger, rêveur professionnel, dessine, écrit, également réalisateur de courts métrages, photographe des jours de pluie, explorateur des mondes inexplorables, chercheur d’étoiles et réparateur de poussières (tous types, poussières d’étoiles, poussières d’ombres, etc.)
… et bientôt cosmonaute.

Kenny Ozier-Lafontaine fait ses études de cinéma et arts audiovisuels à l’INRACI à Bruxelles.
Il est l’auteur de plusieurs courts métrages réalisés à Cuba, au Brésil, en France et en Belgique.
Il est passionné de poésie et a édité un premier recueil (Bookleg) intitulé « Fils de la nuit » préfacé par le réalisateur et poète Fernando Arrabal aux éditions Maelstrom en 2012.
Il est membre de la troupe poétique Nomade et participe en tant que poète et photographe à la Chien Fer Association (promotion d’artistes plasticiens en Martinique).
Membre également du Collège de Pataphysique nommé : Corrispondente Enfiteuto Suo Enfiteoso

Né pour la première fois en Septembre 1988.


Courts métrages (en tant que réalisateur)

  • Mal rêvée (2008)
  • Un pour tous (2009)
  • Poupées gigognes (2010)
  • L’envol de l’anachorète (2011)
  • Tempérance (2012)

Documentaires

  • Crepusculo (2010) Cuba - Escuela Internacional de Cinema y de Television, La Havane
  • Favelas de Rio (2011) Brésil - Cinema Nosso, Rio de Janeiro

Recueils de poésie et revues

  • Fils de la nuit (2011) Bookleg - Editions Maelstrom, 37p (Auteur)
  • Bords de mondes (2012) Recueil de textes et photographies – Editions Maelstrom (Participant)
  • Revue Batarde : n°1 La Démocratie (2012) ; n°2 Le Bonheur (2013) - Indekeuken Collectif
  • Bruxelles, Editeur
  • Revue Microbe (2014) : n° 84
  • Parution en septembre 2014 d’un poème et d’un dessin dans l’ouvrage « Apertura dell’ Apritoio » du Collège de Pataphysique d’Italie

Expositions

« Qu’ont-ils fait de ma chanson » : texte sur une chanson d’Edith Piaf « Mon manège à moi » présenté dans le cadre du Musée du Rock (France)
« L’ombre du miroir » : poème rédigé pour Jessica Karuhanga (Canada)

Performances et lectures

Interprétation de Lion du Magicien d’Oz (2013)- Adaptation Joachim Bon (INSAS)
Performance avec Luc-André Rey et Sandrine Emery (2013) Lecture de textes de Philippe Jacquemin et Lawrence Ferlinghetti - Festival Maelstrom Healing Past

Projets en cours

Exposition de dessins réalisés avec des enfants à la Librairie Book Art Book Shop de Londres
(Tania Lorandi) - Livre d’Artiste édité chez Edizoni Pulciloelefant
Recueil « Billes » : ( en cours )
Livre d’Artiste avec André Jolivet - Little Big Book Artist « Le monde des îles »
Revue « Journal de mes paysages » n°1


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