Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Colette Leinman

mercredi 30 décembre 2015, par Cécile Guivarch

Il dit :
il n’est pas de chaque coucher de soleil un même coucher de soleil.

pareil avec tes yeux,
et leur magie à dissoudre
avec l’envie de les voir tes yeux à chaque printemps.

il n’est pas chaque coucher de soleil de même coucher de soleil

__

Elle dit :
Je t’aime, une façon de nager, de perdre la respiration,
de se noyer
en toi

__

Je nagerai de toutes mes forces
sans objectif clair, nagerai en amont
sur les deux côtés de la rivière
jusqu’au bord de l’éternité

vers toi je nagerai

__

l’air était dans la bouche et la brûlure
dans les profondeurs du corps.
demain je le ferai.
bonsoir cœur

__

Je le ferai de très loin,
dans un endroit évadé
où je serai belle
ou rebelle,
loin du regard qui n’est pas toi.
Je bascule

__

dans tes gémissements profonds,
voix cachées dans ton souffle,
Je deviendrai aussi claire que ton regard

__

Je ne suis pas l’amour qui soulage
mais c’est vérité très certaine
quand les objets nous regardent
Nous ne sommes pas toujours visibles

__

Moi aussi te regarde
nue sous mes paupières,
nue sous ta peau,
nue dans ma vie

__

depuis bien longtemps
Nous avons un vieux chien
quand nous sommes entrés
Il a ourlé ses larmes sur nos visages

__

Elle dit :
Je marche plus lentement que mes pas
pour découvrir d’autres lieux

__

J’ai fréquenté des visages,
adopté le temps passé à l’ennui et la douleur
tendus jusqu’au noir,
et toi est le visage du dedans

__

Personne ne regarde la sueur comme la pluie,
gros plans dépareillés de nuits d’amour

__

la rencontre assouplie de nos corps,
énergie durable d’un monde crispé,
arrondit sa circularité
s’accumule sur les draps
et notre lait sur le sol

__

Elle dit :
vouée à toi pour toujours

__

impressionnée par les gens qui
orange et fraise de plaisir avant,
après, se pressent de jaune et bleu chaud,
comme lui

__

Ils ont dit :
Vous trouverez la maison au sommet de la montagne
quand nous sommes arrivés
nous n’avons pas trouvé la maison,
nous avons regardé en arrière
et trouvé la montagne

__

juste au milieu de l’espace
Je n’avais que toi
pour sentir en communion le silence
et parfois même
entendre l’ombre de mes bruits intérieurs

__

mille et trois fois parfumée
comme toi
la montagne qui déroule ses pentes
est une source de textes sans fin

__

ci-dessous, ci-dessus
Je suis mot pour mot, chasse battue de ton odeur
sous le lobe de l’oreille

__

pas transparent mais brillant de quelque chose d’oublié
transformé en vie,
laissez-moi monter au ciel voir la pluie tomber

__

et peut-être encore ici éclairer le close-up,
le cou un peu vers l’intérieur, sans présentation
pousse mon corps.
Tu as ouvert ta robe, desserré tes membres,
et glissé comme dans l’eau

__

J’ai grandi pour être rivière en abondance,
soulever un navire que je veux tous les jours sur mon lit
réveiller d’autres eaux aux pieds des rocs
devenir une mer à en chavirer
Je serai océan

__

laissez-moi.
Je vous embrasse avant le départ.
privé du souffle
laissez-moi respirer votre sexe
et me porter fou blessé, livré
au bout de tes dents

__

Elle dit :
dans l’expérience des montagnes,
les rivières qui coulent vers le bas de la terre
changent la forme des nuages.
dans la formation de l’espace vide,
les hidden hills contiennent une imagination infinie

__

à l’envers de l’histoire
encore une fois se glissent
les crinières
des archipels

__

Je ne connais pas le comment
ni le chemin
mais pas grave,
près de toi on me trouvera

__

caresser dans le sens des couleurs
pour maintenir en vie
jour et nuit
la peau des identités

__

dans le paysage de ton image,
les gens demandent
si tu es œuvre d’art

__

plus tard nous avons quitté le chien
en regardant l’arbre s’enraciner
autour de ses traces

__

sables et pierres se chargent d’arrêter ta course.
les serrures se chargent des punitions

__

Tu aurais voulu jeter une brique de jade,
aurais voulu sur moi jeter
une pierre lapidaire,
une pierre de verre
sur mon existence,
du long de ta jalousie
de partout te creuse de l’intérieur
de plus en profondeur

__

Il dit :
pour combien fort
tu m’aimes ?
parfois cela peut durer plusieurs jours,
parfois une vie entière
parfois pas du tout

__

Il dit aussi que
si tu pars la lune ne pourra plus soutenir le ciel
et s’écrasera sur nous

__

mettons des milliers d’années lumière entre nous
avant même de se séparer
quand l’impossible de rester près de l’autre

__

alors le photographe
a demandé de joindre nos visages
en guise de souvenir

__

Elle dit :
la toile tranquille au tissage dense
autour de l’encre du pinceau pue.
Tes mensonges aussi

__

la glace fond
sans penser à l’inconstance des courants.
dans mes poumons
Mes noyades seules
peuvent l’oubli de ton nom

__

masquer le calcul du temps

__

Ils disent de moi
Je suis partie d’où habite
Ton corps coulé au mien
ou l’inverse

__

avec toi, les mots s’enfuient dans des horizons
très divers
comme les villes qui changent de nom
ont beaucoup voyagé

__

comme des gens désactivés
Je marche égarée
avec des souvenirs de sexe
aux centres d’érections sensibles
effleurés du bout de ma langue

__

Elle dit :
Je regarde le paysage indéfini des torrents
lieu des ressorts aux lèvres ouvertes du paysage.
Tes sentiments ne sont pas comme ça
mais d’un corps frileux

__

le silence du Nord dépasse les 170 parallèles
ma petite vie, longue road-movie sur la route
que je pousse devant moi
au milieu d’un vent froid qui souffle
où la lumière est
le plus souvent autrement
qu’embarrassée

__

un jour
une sensation de brûlure
se fera
dans les profondeurs de la terre
où vivent les immortels

__

Il a dit :
Je suis ce qui de l’eau prend le tout de moi.

__

c’est là que je comprenais ce que j’ai vécu
effrayée par la peur des autres qui appuient fort sur ma poitrine,
occupent une place de trop
à tout moment du jour et de la nuit,
ne permettant pas le moindre risque

__

c’est le froid du cap du silence

__

Elle dit :
laissez-moi rester là-bas, au milieu d’un blanc au nord
où rien ne me dérangerait
ne suis-je pas la propriétaire
du sourire immortel qui peint les rêves

__

Il s’est nourri là aux impasses de ma vie

__

dans ce temps-là
son corps aux tremblements de ma terre
s’est déformé, au figuré aussi,
de-ci, de-là

__

Nos histoires de vie se sont perdues
virtuelles ou réelles
ouvertes à l’air

__

J’ai vu pleurer à cause d’une seule personne
Je ne sais plus si elle était à côté
ou bien loin déjà de l’autre côté

__

Nous sommes morts un nombre incalculable de fois
pourtant revenons toujours à la même table
pour parler d’autres langues
pour essayer de nous aimer à nouveau

__

en pointe de miel

__

Tu passes plus de temps à surmonter
de halte en relais les peurs passées

__

intimité intermittente
ne pars pas.
perçons le temps
entrons dedans
s’y cacher tous les deux

__

Je sais, mais dans mon coin
il me faut entendre des rêves de bonheur
et tricoter sur un autre écran
l’espoir de nos enfants

__

approcher le rêve,
le prendre en embuscade
le renverser
le mettre sur le dos et recommencer par étapes
balbutiantes

__

les mains regardent de travers
couvent une brûlure légère
pour savoir
Je suis parti ou je reviens ?

__

une question doit être épaisse,
interne
avec 24 heures sur 24 dans la tête
sans raccourcis,
en la tenant bien

__

contre la saison des larmes
les doigts au-dessus de la tête
une main sur la tête
la tête sous les mains
vers l’avant des gouttes
Il pleure

__

dessiner un couple
avec leur bras autour
de leur tendresse
les laisser
se laisser faire

__

moitié-nue vers le bas,
porte entrouverte
poids léger
vent caressé
me tourne vers l’inconnu et crie,
c’est toi

__

difficile d’y croire
peut-être
mais qu’importe
c’est si simple,
ferme les yeux
fermons les yeux

__

Elle dit :
Je regarde
et cela nécessite plus de temps à sentir,
à éprouver
l’encre
aux milliers de couleurs

__

Elle dit :
un paysage ne peut être peint avec un noir d’encre.

ajoute :
colorie le foyer de la vie
avec l’obsession de la lumière et de l’ombre,
copie le paysage,
autoportrait de l’âme

__

Elle dit :
habiter la texture des images riches
pour montrer l’esprit des choses
aux compositions harmonieuses des tentations personnelles

__

Ce n’est pas n’importe quel voyage raconté
où va la pointe du crayon
qui devient ravin, meule, sein, arbre, orteil,
brume de brouillard que sécrète la terre

__

avec le même roulage vécu hier
se poursuivent d’étranges étés

__

plus tard nous avons promené le chien
loin devant nous

__

rencontrée ailleurs
dans une année au cœur battu fort.
Te voici à la verticale
entre les arbres peignés de près

__

neige venue goutte à goutte
que j’ai senti un hiver petit.
peu de neige cette année

__

et à t’aimer,
Je jette d’incroyables malédictions sur tes amants futurs
et m’installe comme un fou de parler

__

Je vais brûler quelque part
avec comme brève distraction
la photo du monde à effacer
away de mon regard

__

mais aucun miracle ne surviendra
pour retrouver le chemin de la maison

__

Moi maintenant vieux chien éraflé
au renfoncement d’une rue
Je brûlerai très lentement quelque part
devenir aveugle pour oublier

__

Alphabets du corps, Colette Leinman , 2015


Entretien avec Roselyne Sibille

D’où vient l’écriture pour toi ?

En relisant mon entretien avec Sabine Huynh lors de ma précédente publication, j’ai compris qu’il ne pouvait y avoir une seule réponse à cette question, comme à n’importe quelle autre d’ailleurs.
J’avais alors raconté un souvenir d’enfance – la transformation de l’encre noire en signes mystérieux posés sur le papier aussitôt transformés en sons . Aujourd’hui j’ajouterai quelques mots : geste, image, mystère, désir, partage, magie...

Comment travailles-tu tes écrits ?

Je disais « l’écriture commence par le tarabuste », mais elle ne peut être séparée de « la situation » qui la déclenche ou qu’elle crée.

Quelle part occupe la poésie pour toi au quotidien ?

Ligne de fracture, ligne de survie.

Que t’apporte l’écriture ?

Me sentir en flagrant délit de bonheur.

Quel auteur est fondateur pour toi ?

Michaux qui écrit l’angoisse de l’expérience humaine et les secrets oubliés des mondes, et dessine la plasticité de l’informulable. Tentative d’un dialogue au rythme de l’errance, mais où ma démarche se veut dans un espace de jouissance.

Quelle est ou quelle serait ta bibliothèque idéale ?

Une bibliothèque ouverte à l’imprévu.


Née à Mont Saint Aignan, Colette Leinman est arrivée en Israël à l’âge de dix-huit ans. Elle a étudié dans une Ecole d’art et poursuivi son parcours universitaire jusqu’à la thèse de troisième cycle.

Colette Leinman a publié des recueils de poèmes et a participé à des publications poétiques dans de nombreuses revues.
Elle expose régulièrement en Israël et en Europe et ses œuvres font parties de collections muséales et privées.


Bibliographie :

2015. Bas de soie, petits bas cousus, chaussettes, éd. La Porte, France.
2012. Le Cycle des N’Hommades, Paris, Le Scribe-L’Harmattan
« Cinquième version de mon horizon  » dans pas d’ici, pas d’ailleurs. Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines, éditions Voix d’encre

Site personnel : colette-leinman.com

Poèmes inédits dans Terre à ciel.

« Un saut dans le vide », poème, dans Terre à ciel.

« Montgolfière », poème, The Ilanot Review.

Expositions personnelles :

2015.« Mondes invisibles », Galerie Haorgim, Holon, Israël.
2014. « Pris dans le réseau,... ou Café Botz », Beit Hecht, Haifa, Israël.
Publications académiques :
2015. Les catalogues d’expositions surréalistes à Paris entre 1924-1939, Rodopi-Brill, Amsterdam - New York, coll. « Faux titres ».
2014. « La place du Symbolique en art, New-York et Paris après la seconde guerre mondiale », in Etats du Symbolique, Editions in Press, Paris , pp. 659-677.


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