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Rafales de Béatrice Machet par Cécile Oumhani

vendredi 6 décembre 2024, par Cécile Guivarch

 

Rafales, Béatrice Machet, éditions Lanskine, 92 pages, avril 2024, 15 euros

Un être humain fait face au vent, aux éléments. Le ton est haché, comme par le froid de l’hiver
qui anéantit et pulvérise. Rafales, le nouveau recueil de Béatrice Machet est tour à tour poème,
journal de voyage et histoire des peuples indiens d’Amérique. Rafales est synonyme de brièveté,
de puissance, mais aussi de quelque chose de final et de violent. La poète les lance une par une, d’un genre à l’autre, quelque part dans l’immense blancheur de l’hiver nord-américain. Elle les fait partir aussi d’un lieu à l’autre : Sur ce qui semble des kilomètres : tantôt / toundra ou savane. Épis laineux. Des joncs. Qui sommes-nous ? Où sommes-nous, au long cours d’une traversée qui peut à tout instant glisser dans le néant ? Béatrice Machet poursuit une traversée des paysages, mais aussi des langues qui se croisent sur ses pages, de l’anglais au français, du français aux langues des peuples autochtones de l’Amérique. Elle les franchit, les remonte, en quête de sens et de racines. Waub. Long souffle. Ou répété de façons / saccadées. Waub est le blanc. / Waupaca une ville blanche. / Waupecan creek : sable blanc au fond / des eaux. Comme lorsqu’ensevelit la neige, il faut dégager les mots des couches successives qui recouvrent leur histoire. Comme on le fait de la blancheur qui enveloppe un paysage, afin de découvrir ce qu’il est et qui nous sommes. Ces « écailles de rêves » qui deviennent finalement « savoir » sont-elles ce que la poète appelle « vision » ? Béatrice Machet cherche à déchiffrer le récit du monde à même la peau de la terre, gercée par le froid et par le vent. Et ici dans le Nord de l’Amérique, au creux des langues et dans les crevasses des paysages, elle exhume un ethnocide, dont les traces n’ont pas cessé de tourmenter la terre. Elle nous appelle à prêter attention à ce que dit le vent, lui que les Indiens nous enjoignent d’écouter. Les sensations que note la poète avec la glace, le souffle du blizzard, le passage de la saison, deviennent exploration, quête d’une mémoire tapie au cœur des choses. Le pas est ensemencement, écrit-elle. Et parfois il conduit à l’éblouissement, comme lorsqu’elle croise l’oiseau rouge : On le nomme cardinal / Du rouge sur le blanc nettoyé devenu brillant / Rouge c’est la vie. / C’est la distance qui sépare la lame / luminescente d’un soleil (si bas si bas) et le virage deviné au bout du sentier. Le recueil de Béatrice Machet est porté par une extrême attention au monde, jusque dans la chair de ses reflets, aussi inattendus que fugaces.

Cécile Oumhani


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