Une lecture de Annie Dana, « Tremblement des jours », par Christian Cavaillé

 
Passeur éphémère de l’éphémère, le poète à la sensibilité tremblante mais lucide ne laisse rien
passer de ce qu’il y a de pire dans sa vie et dans la vie : attente de l’irrémédiable, épreuves
de l’événement et de l’incertitude, équivoques, reniements, complaisances, rêves vains, désir
de la mort d’autrui, enlisement dans l’innommable, pourrissement et horreur invasive
« dans un monde qui bascule ».

Annie Dana conjugue sobrement tous les rapports au temps dont elle est et dont nous sommes transis.
Le passé de ce qui a eu lieu, de ce qui était et de ce qui fut, lorsque sans le savoir « on était déjà mort ».
Le présent oublieux du passé qui pourtant pèse sur lui, présent d’égarements accablé par l’attente de l’irrémédiable.
Le futur improbable, hormis la certitude d’un instant dernier, un futur qui n’éclaire guère le présent et deviendra lui-même, demain, oublieuse mémoire.
L’éventualité ou la possibilité de ce qu’il faudrait dire et faire : réclamer, déclamer, inventer, venir en aide aux exilés et à tous ceux qui luttent contre la misère.

Annie Dana fait reconnaître sans affirmation péremptoire ni prétention moralisatrice que le nihilisme radical et doctrinaire est poétiquement impossible : art de mourir, le poème est un art de vivre le mourir, de vivre-dire même le mourir. On n’a jamais fini de vivre et de divaguer, il est possible de faire « le deuil du chagrin » (titre d’un précédent recueil) et il n’est pas impossible de faire vivre et durer en chaque goutte d’existence l’entièreté de la vie.

« Serpente comme une anguille / Entre parole et écriture / À l’affût du désordre / En ilots de poèmes / La langue libre. » Écriture d’une liberté serpentine. À son élégance sans surcharges ni affèteries s’accordent les vignettes délicates de Vincent Rougier.

Annie Dana, Tremblement des jours, Rougier V. éd., Ficelle & Plis Urgents 160è, Mars 2025.

Christian Cavaillé