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Au fil des jours, Angèle Paoli, par Michaël Bishop

dimanche 1er décembre 2024, par Cécile Guivarch

 
Angèle Paoli, Au fil des jours, Éditions Musimot, 2024, 16 pages, 10 euros.

Quel plaisir de voir paraître aux Éditions Musimot ce petit livre d’une de nos poètes les plus subtiles, si discrètement audacieuse, si diversifiée dans l’inscription de ses expériences vécues. On n’a qu’à passer de Lauzes (2021) à son Instant Noailles (2022) ou Le dernier rêve de Patinir (2022) jusqu’à Voix sous les voix (2024) et Mont Ventoux, vues et variations (2024) pour se convaincre de la riche sensibilité, de l’ouverture de son œil, de son cœur. Et ici Au fil des jours nous propose ce long poème composé de quarante-deux groupements versifiés, toujours courts, parfois un seul vers, sans rimes, sans ponctuation, centré sur une méditation sur l’amour dans les différences d’une mêmeté de sa caresse. Celle-ci axée dans les premières pages sur la mort du bien-aimé, ceci sans rien identifier de sa personnalité ni de l’histoire de sa vie, mais plongeant dans l’intensité de l’intime, de la mémoire que stimule une photo, du regard braqué aussi sur l’autre par une autre poète, ‘admirable’, dont les mots ‘bouleversent’ (5), rappelant tout ce que son propre regard a pu contenir au moment de voir passer dans l’infini, l’indicible, le corps et l’esprit du bien-aimé. Le poème d’Angèle Paoli reconnaît son impuissance à dire toute l’angoisse ressentie sans pouvoir consoler, ‘ne p[ouvant] que / se soumettre / se désister / […] / se plier à la loi / de la vie’ (8), se voyant réduit simplement dans un premier mouvement à réfléchir selon la spontanéité de son inscription à ce ‘seuil [qui] est franchi qui est sans retour’ (8), se sentant pourtant ‘inapte à capter les richesses / du monde céleste sans limite’ (9). Ce n’est que dans un deuxième mouvement que le poème se laisse aller vers l’immédiateté et l’ubiquité des ‘choses du simple’, comme dirait Yves Bonnefoy, cet autre infini qui se dérobe toujours à notre saisie intellectuelle mais s’offre à nos cinq sens, notre présence viscérale et intrinsèquement spirituelle à la terre – autre infini de la mer, des nuages, des ‘mousses [des] fleurs sauvages / cyclamens et muscaris / bruyères et lichens enclos’ (10) – infini autre de l’autre qui, d’ailleurs, ne peut s’empêcher de blasonner celui que l’esprit ne parvient pas à rationaliser, mathématiser face à la disparition du bien-aimé.
C’est ainsi que le poème réussit à transcender son propre silence, à assumer le devoir de répondre selon ses moyens naturels, préférés, instinctuels. Son ‘regard’ et sa voix se braquent sur les mystères de l’incarnation-surgissement tout aussi inconcevable des arbres, des oiseaux, des ‘champignons et algues mélange immémoriel’, ‘verticalité des hauts chênes / horizontalité des euphorbes’ (10). La géométrie, l’orchestration de cet innombrable entretissement s’offrent non pas comme une explication, mais plutôt dans ce que je nommerai le don, celui du là incontournable de l’infinie ‘gestation continue / que rien n’arrête’ (11), l’infinie arborescence de la totalité de ce qui est. Qui s’avère visibilité de l’invisible, d’une étance-avec-parmi, site de respiration partagée, d’union, d’inséparation. Site aussi de l’impossible disparition d’une beauté impénétrable, insondable mais énigmatiquement vivable. C’est ainsi que le poème se transforme, si discrètement si tendrement, en chant, là même où l’angoisse et l’impuissance semblent tout noyer. Chant d’une appréciation de ce qui excède les signes, d’une gratitude pour l’aveuglante totalité de ce qui est, vie et mort et vie, d’un étonnement face au principe du ressurgissement ontique. Et ceci loin des ‘taxons’, des ‘nomenclatures’ (13). Car ce qui l’emporte dans la nomination poïétique n’a rien à voir avec les classements, les catégories, les raisonnements, puisant sa vaste mais si délicatement fertile force dans le sentiment d’une appartenance à un amour, un mystère, en nous, partout, se traduisant par le biais de ‘ta voix vagabond[ant] / où bon lui semble / tremblement d’une feuille // à dé-mesurer le temps’ (14-15). Et c’est ainsi que le pourquoi du poème s’affirme clairement : il est éloge, célébration, acte et lieu de la conjonction d’une finitude et d’un infini s’articulant par le biais de ce qui est à la fois perceptible, pressenti et rêvé et que la précieuse musique de la voix ose caresser, murmurer.

Michaël Bishop


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