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« Slam, peuple et poésie » par Marie Ginet

dimanche 15 janvier 2017, par Roselyne Sibille

En guise d’introduction
Navigant en liberté entre l’univers des slameurs et celui des poètes publiés, j’ai depuis longtemps cessé d’être surprise par le mépris qu’une majorité des seconds portent aux premiers. Cette défiance du milieu poétique repose le plus souvent sur le brouillage médiatique (le slam serait du hip hop d’urbains mal dégrossis tentant d’imiter Grand Corps Malade) et l’incuriosité (à quoi bon se rendre dans les scènes slam pour comprendre et savoir ?) Concourt également à cette défiance, le sentiment de s’être fait voler la vedette et les dividendes par des nouveaux venus (les institutions ne demandant plus que des ateliers d’écriture et spectacles de slam) quand ce n’est pas tout simplement un mépris de classe (bourgeois et titulaires de diplômes universitaires, soi-disant de gauche, se gaussant des prétentions de tout à chacun de prendre la parole dans la sphère publique).

L’article paru en janvier 2010 dans le Monde Diplomatique sous la plume de Jacques Roubaud « Obstination de la poésie » incarne parfaitement cet état d’esprit, l’auteur se contentant purement et simplement de proposer au lecteur en guise d’analyse du mouvement slam un coupé-collé (à la virgule près) d’un des grands sites français exposant les règles du slam. L’art du plagiat, cher aux poètes oulipiens, se révélant ici plutôt malencontreux, il appelait à quelques années de distance une réponse. J’ai vu dans la proposition de Terre à ciel l’opportunité de m’attabler à la rédaction de celle ci.

D’où je parle ?
Cet article n’aura pas la saveur savante de la distanciation, puisque je suis slameuse et ce faisant de parti pris, prise, englobée, partie prenante, d’un mouvement que je vais tenter de décrire.
Pour autant, j’arrive armée de l’expérience de dizaines de scènes fréquentées, mais aussi de discussions passionnées avec de nombreux slameurs et slameuses français, belges, canadiens ou suisses.
J’ai réalisé 40 émissions radiophoniques « Les voix du slam, Portraits de slameurs ».
Enfin, la chance m’a été donnée ce printemps 2016, lors du festival des éditions MaelstrÖm à Bruxelles, de discuter avec Marc Smith (fondateur du slam). J’ai pu lui poser en direct toutes les questions qui me tarabustaient. Bière à la main (pour moi) et coca (pour lui), nous avons prolongé le dialogue pendant près de deux heures et réfléchi ensemble, partagé et confronté nos expériences.

Naissance et propagation du slam

Naissance aux États-Unis
Dans les années 80, à Chicago, Marc Smith, qui travaille dans le bâtiment, s’intéresse à la poésie et assiste à des lectures traditionnelles. « C’était surtout des poètes récitant de la poésie à des poètes, et c’était très ennuyeux et très égocentrique ». [1] Il rêve d’une poésie vivante, incarnée et veut permettre à tous de prendre la parole. Il développe d’abord des spectacles loufoques, puis progressivement une scène ouverte à tous avec un temps limité de 3 minutes, sans accessoires ni instruments (à la base il s’agissait d’éviter de régler les micros pour toutes sortes d’instruments). La participation du public est recherchée de diverses façons, notamment par la mise en place d’un système de notes attribués par 5 jurés pris au hasard dans le public. Le public est invité à contester les notes, applaudir, huer, défendre ses poulains, bref à se manifester autant que possible. Des scènes ouvertes sont également organisées. Mais c’est bien l’esprit de compétition (tout ceci prend racine aux États-Unis) qui crée l’intérêt du public.
Dans les années qui suivent, le slam se propage d’abord à New-York puis à travers tous les Etats-Unis. Des rencontres ont lieu qui promeuvent les meilleurs slameurs, parmi eux Saul Williams.

Essaimage mondial
En 1998, le film éponyme « Slam » de Marc Levin sera diffusé partout dans la monde. Saul Wiliams, à la fois co-auteur du scénario et interprète principal, crève l’écran. Caméra d’or du festival de Cannes, « Slam » concourt largement à la popularité du mouvement. Il contribue également à renforcer l’image d’un art urbain, proche du hip hop, apanage des minorités et fortement politisé. Des vocations s’éveillent, des scènes slam se développent partout dans le monde.

Le slam arrive à Lille, autant dire jusqu’à moi.
La première scène slam lilloise qui deviendra mensuelle se tient en 2001 au Zem théâtre, une petite salle associative au cœur d’un quartier populaire et étudiants. Pendant plusieurs années (jusqu’à l’incendie du lieu).
Ce rendez-vous attire étudiants, habitants du quartier, poètes, curieux, rappeurs, comédiens en herbe, militants, etc. De cette émulation et des cendres du Zem naîtra la Compagnie Générale d’Imaginaire.
C’est là que je dis mon premier texte et que je découvre l’infinie richesse des styles et des voix.
La réalité d’une scène slam.

Côté français, la province est en retard, puisque des scènes, notées ou non, avaient déjà vu le jour dans les années 90 en région parisienne. Fabien, le désormais célèbre Grand Corps Malade, fréquente le Café Culturel à Saint-Denis. La sortie de son premier album en 2006 va donner une visibilité au mouvement dans les médias. Grâce à lui, dans toutes les classes de France, les adolescents peuvent citer le nom d’un slameur.

Avec le nouveau millénaire, les scènes apparaissent partout, pas seulement dans les centres urbains mais aussi dans de petites villes comme Arras ou Granville, et même dans les campagnes de l’Avesnois ou du sud de la France.
Bientôt je découvrirai les scènes de Paris, Lyon, Marseille, Bruxelles, Montréal, Grenoble, Dunkerque, Fourmies, etc.

Le slam c’est quoi ?

Diversité du slam
Dans ces scènes slam, vous pouvez entendre des contes, des poèmes en rimes, des poèmes de forme libre, des tentatives sonores risquées, des chansons sans musique, des pamphlets, de petites nouvelles, des déclarations d’amour ou de colère. Les slameurs ont 12, 18, 25, 30, 40,50 ou 70 ans. Ils sont chômeurs, maçons, étudiants, profs de français, retraités, intermittents, femme au foyer. Ils slament chaque semaine ou une fois par an.

Le slam est un art de la parole et de la performance, il s’adresse toujours au public. C’est le public qui justifie l’écriture et la présence de l’artiste. C’est une manière de spectacle vivant comme le disait Marc Smith : « La forme originale que j’ai créée résultait du mariage entre art de la performance et écriture poétique ». [2]
Le collectif français 129 H le définit comme « un art collectif, oratoire et acoustique, où la parole mise à nue fait face à l’auditoire. »

Le slam est un dispositif : un lieu (café, salle de spectacle, jardin public, etc.), un animateur qui appelle les slameurs, des gens auxquels on donne la parole pendant un temps déterminé (3 à 5 minutes). C’est une prise de parole, avec ou sans notes, avec ou sans musique, avec ou sans micro. A priori les slameurs disent leurs propres textes, mais parfois ils donnent à entendre un texte qui leur importe.
C’est le chaos me direz vous ? On ne comprend pas les règles.
C’est bien cela le slam. Il échappe aux définitions parce qu’il bouge, évolue emprunte des chants, des chemins, des parfums détournés. Il y a autant de définitions du slam que de slameurs. Le slam de demain reste à inventer...

_______________________________(Montage photos de Gérard Adam)

Dix questions sur le slam
1 - Le slam est-il urbain ? Parfois oui parfois non. (voir ci dessus)
2 - Le slam est-il politique ? Dans les propos, cela dépend, certains ne parlent que de fleurs et de baisers. Mais par son dispositif et ses valeurs, alors oui, il est intrinsèquement politique (voir ci dessous les valeurs du slam).
3 - Le slam doit-il être scandé pour être du slam ? Non il peut prendre des formes très variées comme on l’a dit plus haut.
4 - Le slam est-ce de l’improvisation ? Rarement. Il existe quelques slameurs spécialistes de l’improvisation comme Arthur Ribo et quelques uns improvisent à l’occasion (je l’ai moi même tenté à quelques reprises), mais pour tout dire ce n’est pas vraiment là qu’on donne le meilleur de soi même.
5 – Le slam est il toujours noté ? Non ça dépend. Mais la participation du public, que ce soit par le biais des applaudissements, de l’écoute attentive, des rires, des réactions, est toujours recherchée.
6 - Qui peut devenir slameur ? Tout le monde. Il suffit de donner son nom ou un pseudo à l’animateur.
7 – Le slam est-ce parler en musique ? Non, en général il n’y a pas de musique (au tout début c’était même interdit), mais parfois oui des musiciens sont invités à improviser. À Marseille, j’ai eu le plaisir de croiser Fabien Blanchard et son Hang.
8- Le slam est-il récupéré commercialement ? Je crois que non, malgré le succès d’ailleurs mérité de « Grand Corps Malade », les slameurs (comme la poésie) restent peu vendeurs, les scènes continuent de se propager et le capitalisme n’a pas grand chose à leur vendre. Un morceau de papier, un crayon, l’envie de dire et l’affaire est pliée.
9 – Quelles sont les frontières, les affinités, les croisements entre slam, rap, chanson, performance, spoken word ? Si vous voulez creuser le sujet, lisez le dernier livre de Camille Vorger, Slam une poétique. De grand corps malade à Boutchou.
10 – Que peut le slam dans la société, à quoi sert le slam ? Un slam dit un verre offert.

Les valeurs du slam
Être slameur c’est appartenir à un grande tribu, une grande famille la « Slam Family ».
Pour y entrer, il suffit de dire un texte. Le nouveau venu (puceau du slam) est accueilli dans la communauté par des applaudissements.
Être slameur, c’est penser que les mots sont à tous.
Que chacun sera jugé sur pièce, non sur ses titres et ses références.
Être slameur, c’est se souvenir que ceux qui nous gouvernent choisissent leurs mots.
C’est s’adresser aux autres.
Être slameur, c’est penser que les mots sont une force de partage, de combat et de rêverie.

J’aimerais rendre compte d’une scène à laquelle j’ai assisté un jour de mai dans un café de province. Un beau jeune homme à la peau noire, à peine 17 ans, mais largement son mètre quatre-vingt-cinq, casquette visée à l’envers, propose un texte inspiré par l’univers hip hop, une sorte de rap à cappella. Dix minutes plus tard une vieille dame, la soixantaine et le squelette bien tassés, déclame un poème de son cru en rimes et en patois du Nord. Vient la pause. Et là, au comptoir, conversation passionnée entre la veille et le jeune, elle louant le gamin et son sens du rythme, lui posant mille questions, fasciné par le flow si particulier de la slameuse... et les deux d’échanger sourires, curiosité, estime et 06.
Oui le slam est politique lorsqu’il affirme aussi simplement que la culture de l’autre est la culture qui me manque.

Le corps en jeu
Les slameurs ne sont pas là qu’avec leur texte ou leur voix, mais avec leur personne toute entière.
Le texte entendu quelques minutes plus tôt, l’ambiance de la salle, la qualité de la bière, la couleur du ciel, vont venir s’immiscer, se faufiler, se glisser dans ta manière de lire. S’il y a des enfants, tu privilégieras des textes plus joyeux, sans colère ni mots d’adultes. Si le slameur précédent t’agace avec ses allusions machistes, tu pourras lui répondre directement.

Frédéric Nevcherlian explique qu’il y a dans les scènes slam « une présence physique corporelle des gens, chaque personne livre un bout de son corps, un moment de son corps devant les autres », et c’est cela qui le frappe et qu’il trouve beau, ce rapport de physicalité : « un moment de vérité du corps, on prend un bout de vie, une histoire, un visage, des marques sur le visage, un tremblement, un souffle. » [3]

Slam et poésie
Oui il y à du pire et du meilleur, du « à boire » et « à manger » sur les scènes slam. Marc Smith lui même constate les dérives inhérentes à la scène compétitive : certains slameurs « obnubilés par le spectacle oublient l’essentiel à savoir écrire un texte excellent ».
Mais il y aussi des plumes et des voix qui m’étonnent, me bluffent, me sidèrent. Je pourrais citer ceux avec lesquels j’ai partagé mes premières scènes : Julien Delmaire, Amandine Dhéee, Thomas Suel, reconnus par les scènes nationales, les éditeurs, la presse.
J’ignore encore qui demain va ma surprendre et m’emballer.
Je dois concéder avoir baillé à la dérobée lors de certaines lectures de poésie, pas du tout convaincue d’avoir entendu des textes littérairement supérieurs à ce qu’il m’était donné de recevoir dans les scènes slam.
C’est aussi simple que cela : il y a de bons et de mauvais slameurs, comme il y a de bons et de mauvais poètes, des qui imaginent et des qui ressassent, des qui innovent pour le pire et le meilleur, d’autres qui prolongent délicieusement la tradition... de même il y a dans l’œuvre même d’un auteur des textes plus réussis que d’autres ou qui simplement nous touchent.
Cette opposition factice est donc nulle et non avenue. Comme l’est selon moi l’opposition oralité écrit, et à l’intérieur de l’oralité l’opposition performance de performeurs et performance de slameurs, écriture papier à l’ancienne ou écriture numérique. L’essentiel est ailleurs, je plaide pour le franchissement des frontières.

En conclusion
Au fond le slam c’est comme l’amour. Vous pourrez regarder toutes les vidéos du monde, vous pourrez lire tous les manuels et bouquins futés (je vous conseille chaudement ceux de Camille Vorger), ce n’est qu’en pratiquant que vous comprendrez de quoi il retourne.


Pour lire une chronique de Jean Palomba sur le recueil de Marie Ginet Dans le ventre de l’ange et autres cachettes paru aux éditions Henry : http://www.terreaciel.net/ecrire/?e...->http://www.terreaciel.net/L-espere-lurette-chronique-po-ique-par-Jean-Palomba-octobre-2016#.WFAUtH1g01k]

Pour lire un entretien avec Marie Ginet, et des extraits de son recueil Dans le ventre de l’ange et autres cachettes accompagnés de ses photos :
http://www.terreaciel.net/Marie-Gin...


(Page établie avec la complicité de Roselyne Sibille)


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Notes

[1Interview de Marc Smith in Slam. Des origines aux horizons, Camille Vorger (éd.), page 21

[2Idem (Interview de Marc Smith in Slam. Des origines aux horizons, Camille Vorger (éd.), page 21)

[3Interviews radiophonique de Frédéric Nevcherlian par Marie Ginet Les voix du slam. Portrait de slameurs numéro 17. Diffusion EPRA.



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