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La vie comme elle va (1)

mercredi 30 avril 2014, par Cécile Guivarch

La vie comme elle va, Marina Tsvetaïeva aurait dit : « Comment ça va la vie ? ». Mais aujourd’hui, vingt femmes poètes écrivent la vie avec leur voix, à leur façon.

COMME ELLE ME VA

Tu as toujours cru à la vaisselle, lessive,
aux enfants, au mari,
à la fête de famille,
au potager poussé jusque dans le salon,
à la distance qui rapproche,
au « petit café » bu ensemble qui sépare.

Mais il y a toujours eu le vers
flèche de lumière
te guettant à chaque pas.

Alors tu écris, couturière de mots,
pour vêtir ses brûlures.

Sanda Voïca

MON MONDE

Le monde comme il va pousse derrière creuse devant
Le monde ses bras ses bouche ses yeux
Le monde comme il va comment ?
Dans mes bras le monde
Dans ma bouche le monde
Dans mes yeux le monde
Ma bouche mange mes bras cachent mes yeux ça va
La vie par ma bouche mes yeux mes bras
J’embrasse vois avale ma vie salive
Par-dessus ses hauts murs au cœur aussi
Comment le monde dans mes bras il va comme dans mes yeux
Je le prends à pleine bouche bras yeux
Dans quelle vie je monde ?

Perrine Le Querrec

je compte avec mes yeux
les bras des éoliennes
dans les champs
du retour
et les maisons aussi

je te parle

le ciel en bleu de travail
interdit le cafard
je m’applique à sourire
mes petits crocs
d’humain
ne sont pas bien assis
c’est de ta faute je crois

les maisons se ressemblent
comme sœurs et cousines
j’aime les volets criards
comme des bouches d’enfants
les pas si belles
les toits bizarres
et les fleurs mêlées
aux légumes en couleur

j’ai sur la peau encore
quelques baisers collés
mais ne le dirai pas

l’enfant est une femme
et parfois ses cheveux
fleurissent sur ses joues
et cachent son regard

je vieillis les dentellières
tissent chaque jour
des traces sur mon corps
qui ressemble au tien

j’ai des amis vivants
et nous buvons du vin
nous buvons trop c’est sûr
mais comme il faut être fort
pour entrer dans le jour
chaque et chaque matin

le chat n’est plus le même
j’ai du mal à l’aimer
mais je sens que ça vient
je fume toujours un peu
des tabacs étrangers
et fais des jeux de mots
qui te laissaient
de marbre

et voilà que j’arrive
l’avenue comme hier
toute droite
déjà

tu vois la vie
ça va
surtout
ne t’inquiète pas
pour moi

Clara Regy

PROVISOIRE LA VIE

Provisoire la vie
éclats du manque

tu me demandes
comment elle va
elle va son chemin
vers ce qui sépare

les enfants courent après leur vie
cercles indépendants de toi
ils se rejoignent parfois

tu caresses le chat douceur
tu sarcles bines arraches
tu t’en prends à l’angélique
elle infiltre ses racines
ramifications tenaces
là où tu attends des fleurs

tu marches heureuse
tu cueilles au hasard des talus
les menus bonheurs du jour
nombrils-de-Vénus
fragiles narcisses
premières violettes

tu veilles sur les morts
fleurs d’asphodèles
leurs doigts serrés sur le printemps
il ne demande qu’à éclore

tu leur parles de ton vivant d’ici
des vivants et des morts
sur la même terre

tu bûcheronnes parmi les feuilles
odeurs sauvages
les sangliers traversent
la mère et ses petits t’attendrissent
tu faisais de même jadis
jadis est loin
loin derrière toi
une vie autre s’efface
est-ce encore la tienne
rumeur sourde de la mémoire

tu attends
lenteur des jours
les rires des enfants
petites filles sautillantes
elles pépient sous la treille
tu gambades avec elles
tant que persiste un peu de jeunesse
— tu es vieille mammona
tu vas bientôt mourir —
peut-être pas encore
je reste encore un peu
je veille sur l’ancêtre
tu sais la très vieille maman qui doucement s’en va

elle s’éloigne vers le cercle
vers l’autre côté de l’horizon.

Angèle Paoli

Sur le mur ___ des traits des boutures
hachées ______des coupures du sang
des effrois ____ton retour ___comme
une crainte _____ de si loin tu reviens
sans plus rien ________qui retient sur
mon cœur ___ __ une fatigue déposée
des gestes ____ à finir à recommencer
à refaire à réparer

Chagrins du froid ____pousses ___de
glace ____ yeux meurtris faim inutile
puisque bataille __ perdue __mais se
battre encore ________on dit qu’il le
faut ___ les jardins finiront par fleurir
encore __________je ne lâcherai pas
mes robes ___ velours

Diane Régimbald

LE TEMPS D’INFUSION

Dans une ville dézinguée
Des hommes amoindris
N’osent plus toucher leurs joues
Du fil de leur rasoir
Avant de sortir voir le monde
Pour payer leur écot
Des femmes à peine plus vieilles
Poussent et jettent leurs bicyclettes
Le long des fossés d’où
Elles tirent des orties de la
Menthe et du pissenlit
Dans le limon des jours crus
Tombent les heures de visite
C’est la recette instantanée
Des soupes et des pisse-mémé
Tout le monde tache ses dessous
En égrenant ses misères
Fait croire qu’il a connu la guerre
Chante en chœur et à la tierce
Une berceuse où se mêlent
Des vols noirs et des cerises
Et chacun est content
Quand le soleil sèche les os
D’avoir parlé si haut
Dans son sang et ses humeurs
Contre le jour la nuit s’adosse
Fermant leurs yeux d’une ombrée
Elle tend la main vers Azraël
Qui se penche et embrasse
Dans une envolée de mouches
Ces corps vêtus de flanelle
Avant de supprimer leur angoisse
En les baisant à pleine bouche.

Anna de Sandre

Nommer
la trace que tu laisses
ce dépôt du cœur
et irradiant
une chaleur
sur mes joues
les mains paumes
brûlantes
tu m’as rendu visite
tu as rendu vivaces
mes amitiés d’écolière
quand il était si simple
de partager.

Valérie Canat de Chizy

à la mémoire du poète iranien Hashem Shaabani
pendu le 26 janvier 2014

Je ne sais pourquoi la vie est la vie
mais je te vois déplaçant le ciel

front tendu jusqu’au diamant

je te vois du côté des carcasses
des équilibres
répétant : suis-je libre ?

oui ?
non ?

et la vie qui est la vie
perd son nom

Martine Audet

DEMENAGEMENTS

Elle n’a pas perdu les eaux, enceinte sur le bateau, je suis née en Espagne plutôt qu’en Argentine. De Barcelone à Madrid, ils ont perdu des sous, un commerce, un café et quelques dettes de jeu. De Madrid à Buenos Aires, ils ont perdu le reste, les bijoux, les billets et la petite monnaie. De Buenos Aires à Mexico, elle a perdu mon père, les photos, les objets et tous les souvenirs. De Mexico à Neuilly, j’ai perdu mon enfance, mes amis, mon école, ma maîtresse, mes poupées, leur maison, mes nounours, mes Lego, mon idiome, mes jouets et toutes mes habitudes. De Neuilly à Melun, j’ai perdu mon temps, à aimer des enfants que je ne verrais plus. De Melun à Lyon, j’ai perdu la campagne, les prairies, les ruisseaux, l’aventure, les bouquets de primevères, les coquelicots sauvages, la Vogue en septembre, le lac où l’on patine, les chats que l’on poursuit, les ruelles voisines, les enfants dans la boue, les piles de magazines, les bonbons dérobés, les amours enfantines. De Lyon 9e à Lyon 3e, j’ai perdu mon appareil dentaire et mon adolescence, mes deux chats, ma mère et ses petits plats, l’argent de poche, les lessives et les grasses matinées. De Lyon 3e à Lyon 7e, j’ai perdu un cocker, un sofa, quelques bières, un petit rat. De Lyon 7e à Lyon 5e, j’ai perdu une pile d’assiettes, un bol et quelques tasses, un chaton, un autre canapé, un ami argentin, un matelas, un sommier et six boules de naphtaline. De Lyon 5e à Lyon 1er, j’ai perdu une mezzanine en bois, un ficus desséché, une paire de collants rouges et une boîte d’aspirine, une pointure, trois kilos, un centième à l’œil droit et deux tailles de pantalon. De Lyon 1er à Lyon 2e, j’ai perdu un chauffage, un matelas et même deux tatamis, une sacoche, des bouquins et deux cents grammes de riz. De Lyon 2e à Lyon 4e, j’ai perdu un canapé Louis XV, des pans de toile de Jouy, un miroir renaissance, un DVD de Sissi, des rideaux rose-fille, des coussins assortis, un lustre de princesse, quelques grains de folie. À Lyon 4e, j’ai perdu l’envie de déménager.

Samantha Barendson

chaque matin soulevé par la lumière
mon petit vêtement de jour et d’oiseau
j’ai le pas, le temps humain
de dos il fait si froid

et toujours les tombes quotidiennes
entrent ou sortent

en dessous ça sent le rêvé, l’acharné

j’entends un drôle de demain
qui avance, rejoint nos bouches et leur hiver
vieillir, pleine d’aïeules fascinées

une aile, la vie comme elle va
déposée, bégayante
végétation et vase
et immense pourquoi

je reste intensément debout
geste, geste jusque dans le regard

Denise Desautels

Femmes jamais lasses
mais éméchées
de tant de mèches tressées
de destins croisés
de pailles mâchées et remâchées
de lin roui et reroui dans les fouilles de vos mémoires
dépositaires des fuseaux
de navettes pour passer entre les trames
ou naves à rames ou à voiles
pour passer de vie à trépas
rames et ramettes de papier
oublies des oiseleurs
ouï-dires des jardins publics
où errent des fantômes de dames pipi
de vieilles chaisières
de reines de France
de marchands de ballons au bout des fils de coton
et fils sublimes de soies chinoises pour de jeunes gangsters masqués de bleu
ou fils d’industrieuses araignées pendues aux branches d’un cerisier japonais
capteur de perles
à Central Park,
tissez la patience aux branches nues du marronnier
tissez le retour des hirondelles
sur les fils conducteurs des secrets
et de l’électricité
tissez la joie pure de solitude
avec les herbes givrées des tapisseries argentées
tissez la dentelle avec les doigts
sur un coussin, sur vos genoux
ou tissez les arabesques du plaisir
à la chandelle
au bout d’un sein
entre les cuisses de l’aimé
tissez sans jamais renoncer à l’ouvrage
dans l’alcôve, de nuit,
au petit jour
à la table d’écriture
l’alène fichée dans le chignon
le peigne précieux en écaille sous la mantille
le regard cerné de khôl à l’abri d’un éventail
au seuil de la ville derrière le moucharabieh
ou devant le rideau de perles de bois
sur le trottoir
tissez sans perdre haleine
et sans trous trous
filez, filez toujours
et filez doux
par amour.

Cécile Odartchenko

Son cœur est à côté
dans la nuit séparé
___séparée la main aussi
___pour ouvrir l’invisible
entre nous l’intouchable
et le temps qui recouvre nos gestes
de petits plis de froissements
je mâche des herbes d’euphorie
pour traverser les renoncules jaunes
______ sur les bancs du village neuf bien peigné s’assoient les ombres de ceux qui croient au bonheur et aux bonnes affaires du mois bruits de tondeuse de taille-haie le printemps se mécanise et s’ordonne
_________je renouvelle ton visage
_________dans le matin préparé
_________avec le don du petit déjeuner
et je lave ma main meurtrie
dans un peu de ciel frais.

Luce Guilbaud

Comment va ta vie mon père

Comment va ta vie mon père absentissime qui as jeté tes vies par-dessus les nôtres
il est vrai qu’elle a balancé tes chemises dehors que tu es parti sans valise
as dormi sans sommeil dans ta voiture sans essence sans amis sans télé
sur ton nuage de fumée de cigarette ton bleu de travail froissé taché non bien sûr
ce n’est pas toi le passé tu fais pousser des tomates géantes joues à la pétanque
dans le Sud toi qui as fait une guerre dont tu n’as jamais parlé guerre
impossible qui t’a tourné en père d’amnésie de fuites de films de Bruce Lee
où tu nous emmenais chaque noël par la main personne ne le savait sous l’arbre rien
d’autre que cet oiseau mort étranglé par le chien affamé avec qui on se disputait
les noyaux de cerises quand je pense à lui mes yeux se baissent en sa mémoire
j’arrête de manger

Comment ça va mon père absentissime qui m’appelle jamais qui m’appelle ma fille
qui jamais ne se souvient jamais qui dit toujours qu’il n’oublie rien
en montrant sa tempe noire puis grise puis blanche de trous le jour où je t’ai trouvé
allongé par terre croyant en ta mort j’ai tremblé le jour où j’ai failli me défenestrer
croyant en la mienne j’ai hurlé les arêtes du rebord s’enfonçant dans mon entrejambe
mon père d’infortune le parfum de ton eau de Cologne donnait l’heure
de sortir de danser de rire et on te voyait partir sans savoir si tu allais
revenir entre ici et là s’étalait cet ailleurs angoissant de conduite sous influence

Comment ça mon père absentissime a-t-il pu se produire alors que tu pleurais
en me regardant jouer du piano en mettant du baume jaune sur les ecchymoses
violacées en disant je t’aime ma fille rien n’a changé tu sais je suis toujours aussi
seule aujourd’hui le ciel de cendre me rappelle l’odeur de ton blouson de cuir
la poussière sur les pochettes de disques la banane d’Elvis le micro d’Otis Redding
les yeux de Diana Ross dont le père s’est aussi perdu dans une guerre

Comment mon père absentissime plonger dans tes yeux détournés sans questions
sans pitié sans me demander comment tu faisais pour que ta main ne tremble pas
en nous servant l’huile des boîtes de sardine à saucer avec notre morceau de pain
faillit-on en tant que père si ses enfants ont faim si ses enfants ont froid
si ses enfants ont mal sous ses coups de colère de frustration au moins tu me l’as dit
que tu m’aimais je vis avec ces mots-là qui menacent constamment de tomber
dans l’oubli que tu entretiens

Sabine Huynh

L’on dit que ce sang
c’est la pourpre de la chair en devenir
je réponds qu’il n’en est rien
je m’écoule chaque mois longuement
sans chair et sans devenir
le corps percé d’un fleuve
charriant le secret millénaire
des eves

Closes ces lèvres basses
sur le champ carmin d’une bataille
sans cadavre
lutte sanglante dans un vase
qu’on cache sous ses jupes

Ils disent impurs – ne le disent plus –
le pensent : rien à combattre
c’est là l’immense liberté des hommes
donner, ne rien porter
et méconnaître les déchets
de la mécanique du désir

Florence Noël

DESORDRE

Se peut-il que les mains se fanent
par les béances ___ le désordre
de toute chose ?

Se peut-il que les rêves se froissent
que les craquelures naissent
de jours trop épais ?

Elle savait les silences
buissons broussailleux
à peine traversés de vie

elle disait la parole
à peine possible
sinon ailleurs ___ dans un autre espace
mais pas ici.

Elle taisait l’inconcevable
retours distraits menaces du temps

elle savait l’urticant dont on parle peu
mais qui pèse sur l’intime.

Se peut-il que les mains se fanent
par la brusque insignifiance
de toute chose ?

Agnès Schnell

BOURGES : JOURNAL d’ICI, rue Blériot

Sur le chemin des courses, je remarque les dates de naissance et de mort de tous les aviateurs dont on a donné les noms aux rues et avenues du quartier que j’habite.
Bourges, quartier de l’aéroport. Beaucoup de jeunes morts, Guilbeau, Mermoz, Guynemer, Nungesser et Coli.
Je me souviens que c’est dimanche. Des hommes jeunes font les courses en regardant une liste.
Au retour, rue Guilbeau, une vieille dame m’interpelle. Elle n’a plus de crayons ni de papier. Est-ce que je sais si les assistantes sociales en ont et surtout en donnent ?
Parce que, dit-elle, elle n’est pas de ce quartier.

Il n’y a pas de rue Hélène Boucher dans le quartier.

Au dessus de nos têtes, sur un balcon, une femme parle une langue inconnue assez fort pour qu’on l’entende de la rue. Elle est seule. N’a pas d’écouteur. Ses deux mains sont agrippées à la rambarde.
Sur le trottoir, une jeune femme en jogging est arrêtée et écoute.
C’est bizarre.
Un peu, me répond-elle.
Plus loin je remarque deux choses : les oiseaux se sont mis à chanter. Des fleurs s’ouvrent sur les arbres taillés sec.
Le voisin qui promène ses chiens porte lui aussi un sac de courses.

Est-ce mon travail ici, composer un chant pour un enfant à venir ?
Ecrire l’enfant avenir.
Dans un livre, il est dit de Marguerite de Navarre qu’elle quitta rapidement l’enfance, « âge stérile et indiscret ».
Beaucoup de livres ici.
Beaucoup d’enfants aussi.
Dans des écoles, je rencontre des enfants avenir, Teresa, Lyes, Thomas, Emma, Blanche, Safia, Ousmane, Elio. Une classe. 24 enfants. Avec moi. Ils me parlent de la guerre de 14 et des munitionnettes.
Qui travaillaient ici, à Bourges, femmes qui remplaçaient les hommes.
La vie comme elle allait alors.

Il y a beaucoup d’inconnus à Bourges et dans les cimetières.
Chinois mais aussi marocains, algériens, tunisiens.

J’ai tout rangé. Le journal est sur la table.
J’oublie encore un fait : aujourd’hui dimanche 16 février j’ai aperçu le premier jardinier accroupi vers la terre, à l’affouiller en vue d’une germination précoce.
La vie comme elle va.
Je continue.

Sylvie Durbec

ON VA

ça va la vie on va
on sait pas trop où
mais on va
ça va
en équilibre
en fragile
rien de certain
pas après pas
vient le chemin
et puis il y a ces mains
en balancier
les plus légères
tiennent bras ouverts
tout l’inconnu
à accueillir
ces petits corps
à voir grandir

ça va la vie on va
même si ravins chutes précipices
sur le fil continuer d’avancer
s’arrêter c’est
tomber
se retourner c’est
tomber
pas le choix
avancer
même si mal
même si fatigue
encore toujours
des petits à nourrir
des sourires à ouvrir

ça va la vie on va
on avance
regardant bien devant
on avance et on sent
des mains
suffirait d’un vent un vertige
un pas de côté
pour tomber
ne seraient ces mains
les invisibles les solides
les bien réelles
celles qu’on croyait disparues
les toutes petites les inconnues
celles qu’ont pas l’air
mais qui tiennent fort
aident à aller
légère
léger

ça va la vie on va
même au plus profond du désert de soi
ces mains
qui nous enveloppent nous tapent dans le dos
nous tiennent chaud
même surtout quand on voit rien
mains

pour nous tenir
droits
jamais seuls
ensemble nous
on va

Mélanie Leblanc

[5]

sans rien dire suivi le hêtre sur la route il était toujours bleu ses racines son tronc ses
branches sa grotte obscure transpercée de lumière
Sans rien dire sans rien attendre
La liberté n’a pas de prix

[6]

quand l’ombre était rose, c’était moi qui tenait la main du soir...

[7]

D’abord étonnée, le corps tendu et le regard comme une enfant là dans le déchirement des brumes

  • dommage que les yeux baissés
    l’on n’ait pas vu l’ange bleu là où la nuit voulait naître
    précieux temps où l’arbre était une tâche obscure

[8]

Là – restée longtemps dans le crépuscule de l’arbre sa face triangulaire
A regarder la mer – lentement – à reconstruire des châteaux dans le sable
sur la vitre le ruissellement bleu lumineux et l’ombre de l’arbre ce hêtre
je voulais être...

[9]

Parfois un épanchement silencieux – un triangle rose au sol – le vol furtif des oiseaux dans les branches et – à présent nu l’arbre – quelques notes blanches en sursis – elles glissent lentement
comme le tremolo du saxo

[13]

Délestez-vous sans détestation
la vie ressemble à cette branche penchée au-dessus d’un torrent
il n’y a que des arbres au-delà des rives de l’âme

[24]

Hésité longtemps entre deux – personne nulle part – deux sur le chemin, à chercher la vérité – deux à oublier l’oubli dans l’oeil noir de la nuit qui voit tout – au-delà, dans la bouche de la mer aux lèvres salées, en son blanc chaos – la révolte et les chaînes
Trouvé la clé : une note bleue

[46]

Et derrière les pierres que la mer recueille, au lit défait des sirènes – il est l’heure – avant que l’ombre gagne d’écouter les dernières notes salées

Marie-Josée Desvignes, extraits de Blues notes pour un hêtre

Ces jours-ci je raccommode, tout est déchiré. Tout ce fil qui s’enroule, rapièce et nous relie. Les enfants, les hommes n’en finissent pas d’user leurs pantalons, leurs bras de chemise. Je suis assise sur le tabouret et à la lumière, je reprise, les chaussettes aussi.
Et nous les femmes qu’en faisons-nous de nos jupons ? On les empile, les recouvre d’un tablier. Les jours passent dessus, la terre, la confiture, les larmes des enfants, le sang des poulets.
Je raccommode tout est déchiré et je pense à toi et à ce que tu fais.
[...]

Comment va ta vie ? Le linge à étendre, le garde-manger à remplir ?
Demain matin, chez nous, chacun ira du sien, les pommes à ramasser. Viendra l’heure de faire le cidre et peut-être un jour de fête, un temps de répit et puis courir pour rattraper le quotidien.

[...]

Anne

Cécile Guivarch, extraits de Mon amie de là-bas,
en cours d’écriture avec Roselyne Sibille (Correspondances imaginaires entre deux femmes de la région nantaise et les Alpilles dans les années 1925)

Mon amie de là-bas,

[...]
Pour t’écrire, je me suis assise sous mon arbre. T’ai-je dit que je suis amie avec un arbre ? Devant notre maison il y a un platane, un grand, un généreux d’ombre. Mais mon arbre à moi, mon préféré, c’est le frêne, sur le côté. Il accueille une quantité de petits oiseaux ; je les entends s’ébrouer entre les feuilles, et pépier. Il me murmure les secrets du vent, quand la pluie va venir et qu’il faut vite aller chercher le linge sec sur le fil. Il est tout près de la fenêtre de notre chambre. Parfois, la nuit, il se met à parler, alors je sais que le temps est en train de changer. Je lui souris chaque matin en ouvrant les volets. Je te raconte là des choses que je ne dis à personne et sans doute que si tu étais en face de moi je n’oserais pas non plus ! Tant mieux qu’on s’écrive, ça nous ouvre d’autres phrases !

[...]

PS : Ici, on ne dit pas : « laver la place », mais « passer la pièce ». Nous faisons les mêmes gestes dans des mots différents. J’aime bien « laver la place » ! Quand je passerai la pièce je penserai à toi qui lave la place.

[...]

C’est drôle, nous parlons comme si nous étions toutes les deux assises sur les chaises basses devant la porte, à la fin d’une journée de travail, quand on peut poser un moment les mains sur le tablier et se détendre les reins, le moment où on se fait des confidences. C’est bon de t’avoir pour cela. De l’écrire, c’est plus profond. Il y a des choses qu’on ne peut dire à ses voisines, et ma sœur habite loin, en Ardèche. Quand elle vient, il y a tous les enfants ; ils crient et jouent partout : on a trop de travail pour se raconter des choses intimes. Je crois aussi qu’elle n’aimerait pas trop ça.

Naïs

[...]

Roselyne Sibille, extraits de Mon amie de là-bas,
en cours d’écriture avec Cécile Guivarch (Correspondances imaginaires entre deux femmes de la région nantaise et les Alpilles dans les années 1925)


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