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Un extrait de Sentinelle, Dominique Dou

lundi 10 octobre 2016, par Cécile Guivarch

Le Lucernaire

La mutation serait : se voir loin -
en mieux par le poème qui n’a pas
d’âge -
qui dit : qui parle à qui dans le journal du soir -
qui pose la question primitive : qui a tué
qui ? -
une bonne mutation
serait : si personne ne voit -
écouter -
mes oreilles entendent tout -
si personne n’a de voix à soi
si vive la langue de tous qui n’est
pas une langue mais babil
si langue d’affrontement
si langue d’aboiement mais stérile
si langue normale
mais faible - terreur du normal -
langue guetteuse mutation
voitaumatique -

alors HELP -
origine symbole Trajectoire
HELP - tous semblables - HELP -
une autre langue HELHELHELP -
Cerveau Esprit Répétition -
HELP ! -

une bonne mutation est :
le droit à l’éclipse au désert
à l’Aventure -
un peuple comme un astre s’efface
dans le grand questionnement des avatars -
s’efface - sous l’ordure de ses belles cités
et de la métamorphose des autres -
on cherchera longtemps qui nous étions -
dans ce siècle 21 - qui nous étions -
car oui - nous aurons été -
nous mutons qui nous étions
s’efface - aussi - devant
mur de paix
mur d’eau
mur de T-Bones - rien ne tient devant -
la tractation anthropologique -
(disent-ils) est un grand œuvre -
DEMEURER près de la terre et du temps
mais la terre est fatiguée -
et le temps meurt en même temps que nous -

alors le corps mute aussi -
rien de plus que le corps - qui ?
le corps sans mal moral -
sans amour que préfiguré -
un grand œuvre à l’œuvre -
mes oreilles l’entendent dans les pieds à plateforme -
le corps qui pense - disent-ils -
j’offre mon dos qui pense NON -
et pourtant je sais que c’est vrai
et pourtant je sais que c’est -
rien du corps ne laisse trace
ma trace ne sera pas
mon corps -
ma trace est AILLEURS -


Lecture de Cécile Guivarch de Sentinelle, poème précédé des Carnets, Dominique Dou, L’or des fous Editeur

Un long poème dans lequel Dominique Dou aborde la question de notre mutation, depuis les origines, sans pouvoir nous défendre. L’écriture est réfléchie et envolée, lyrique, sans détours, l’auteure écrit ce qu’elle a à écrire, comme une mission qu’elle s’est fixée car « rien n’efface la pensée car le poème pense ». Témoin de son temps, consciente d’une fin du monde possible alors que l’homme est seul, chacun pour soi à se boucher les yeux et les oreilles et que le plus facile est de « se laisser porter par ce qui arrive ». Ce poème ne s’est pas écrit en un jour car les notes qui le précèdent ont été écrites entre 2010 et 2015. Ces dernières sont foisonnantes, ponctuées de lectures et de grande qualité sur le travail d’écrire, sur « l’élaboration du poème ». Dominique Dou évoque à plusieurs reprises « ce lien insécable entre philosophie et poésie ». Selon elle, « le poème est un miracle » ou encore écrire « fabrique une mission […] pour laisser une trace ». « Il n’y a rien de commun entre la vision poétique et la vie : le poème n’est pas la vie, c’est une sur-vie. » Les pensées de l’auteure se tressent, des nœuds se forment et pourtant : « Il ne faut pas chercher de clefs dans le poème ». Mais ce qui prédomine, c’est ce monde qui souffre. Dominique Dou évoque la société, la politique, la démocratie, les crises mondiales. Elle écrit ainsi de le société : « je la supporte mal elle fait mal » et se demande comment le monde va évoluer. Ces carnets confirment que ce livre est profond. Les réflexions de Dominique Dou ont trouvé écho en moi. Mutation qui deviendra plus tard Sentinelle est un poème de plus de mille vers. Dans le journal de bord, on se rend compte comment il s’est construit, se travaille, se repose et se reprend. Poème empreint de beaucoup de références littéraires : « ce que je lis imbibe en moi. » Plus on avance dans la lecture des carnets, plus l’envie de lire le poème devient pressante. Mais ces carnets comprennent tellement de pensées fondamentales que le lecteur ne peut en faire l’impasse. Cette mission que s’est donnée Dominique Dou : écrire, creuser, penser, est résumée ainsi par Bernard Shiegler : les penseurs qui pansent sont poétiques . Livre essentiel donc. A mon avis.


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