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Poèmes de Céline Escouteloup

samedi 2 avril 2016, par Cécile Guivarch

J’ai besoin d’eau

Les cœurs aussi secs que des pommes de pin
Les visages de verre, si fragiles qu’ils explosent
Les larmes rondes et durcies du poème
Les cordes de violoncelle dans la gorge, râpeuses
Les pièces intérieures, rugueuses, qu’on ne visite jamais
Les tatamis, rêches, sous les pieds
J’ai besoin d’eau.
Nous avons tous besoin d’eau.
Arrose-moi.
Arrose-nous, à la racine.
J’ai les longs claviers brûlés jusqu’aux pointes
Tu dis qu’ils sentent bon, avec leur odeur de soleil
Je trouve qu’ils sonnent faux
L’amour a défait devant moi ses vieux cheveux
Et j’ai eu peur.
Nuage, et nuage, et puis ciel
Inspirer, inspirer et puis mourir
Nue sous la lumière éparpillée des pleurs
Je te dis : dormons en étoile
En une étoile étroite et repliée
Lovons-nous, encore une fois, dans notre nid de cendres.

Kushami

La grande nappe de l’univers
Et toutes ces étoiles, toutes ces miettes,
Et si on débarrassait simplement la table et les couverts, une fois le repas fini ?
Reviendraient-elles plus nombreuses ?

J’ai une grande buée dans la gorge
C’est toi qui l’y as mise
Elle s’entend vraiment
Même après avoir éternué

(éternuement : kushami)

Je n’irais pas pleurer la déverser dans les toilettes
Parce qu’elle est de toute légèreté
Elle ne fait que voiler, avec beaucoup de tendresse, toute ma journée

J’ai un petit bout de soleil coincé dans le ventre.
Ça brûle juste comme il faut.
Je toussote.
Ça le remet en place.

Le soleil est debout

J’attends derrière l’écran brillant du jour
La fenêtre ouverte à l’espagnolette
Le chapeau melon rouge accroché en haut du dos
La vie ramassée petit carnet
Sur le sable une ribambelle de verres vides

Poète
Voyageur à la verticale
Nous
Une fois, on s’est endormis debout l’un contre l’autre
C’était dehors dans la nuit

Pour retrouver ta main j’en tiens une autre
Comment faire ?
Le soleil est debout
Que dire encore ?

Courir encore ?
Entre ouvertures et précipices ?

Flaque
Terre
Flaque
Terre

Une enfant fait se rejoindre ses doigts. Le pouce avec le pouce. L’index avec l’index. Le majeur le majeur. L’annulaire l’annulaire. Le petit doigt le petit doigt. Il en manque un. Et s’émerveille de la correspondance.

Quand tu arrives, si tu arrives, fais-moi un cygne en papier
J’irais dans les blés jusqu’au cou sauter très haut pour l’embrasser
Le déplier (blanc)
Lui écrire mon secret (majestueux) sous l’aile
Le recomposer (blanc)
Repropulser (rouge)

Venir de l’Autre

Venir de l’Autre
Habiter l’Autre
Aller : vers l’Autre

Se rendre compte que l’Autre, c’est ici.

Dans les rues mouillées de soleil et les sourires trempés, dans les regards froids et sucrés, dans les chaussures qui ont pris l’eau, les reflets.

Je viens de l’ailleurs, comme une plante en pot aux racines à l’air.

Je suis à côté, derrière, je passe au-delà, et en-deçà, et je saute parfois, pieds joints, en plein dedans. C’est là que tu me retrouves.

Il y a ce monde caché que l’on tait, que je passe mon temps à convoquer. Restaurer. Faire remonter de l’effondrement du soleil.

Mais il faut que toi aussi, tu viennes un peu de l’Autre.

Sinon il n’y a rien à faire.

J’attends les prodiges, je suis une spécialiste.

Viens t’assoir avec moi devant le gouffre divin.

Dessous de ciel

Il y a des nuages brisés qui volent dans le ciel.
Il y a des nuages déchirés qui bordent les yeux.
Mes poumons se contractent dans la blancheur.

Dessous de ciel : sous le ciel des filles, une odeur de mer. Une lumière verte, inutile comme un pressentiment, éclaire inlassablement mon cœur d’un immense ennui : elle dit que la mer sera là tout au long de la nuit.

Alors je pose sur mon dos rond un petit visage maquillé de vautour et, les plumes en l’air, je me demande à quel animal tu ressembles, toi, en ce moment.

Le bras tendu à s’en rompre, les dents serrées
Le rouge à lèvre qui coule sur les rêves
N’être plus qu’un petit kimono carmin qui passe
Et qui hésite encore, furtivement, sous la pluie

Rire et toit

Attendre
N’être plus qu’un bout de tuile
Mais il n’y a, dans la paume de la nuit
Que le tintement de la pluie sur le toit

Entendre, au creux nocturne, frapper doucement à la porte
Déduire du style, instantanément, l’identité du visiteur
Attendre, assez longtemps, avant d’ouvrir.

Le tintement, de la pluie, sur le toit.

Ne pas ouvrir.
Rire
Pleurer, avec le tintement, de la pluie, sur le toit.
Rire.
(Rire trois fois.)
(Rire encore. Rire, ne pas finir de rire, ne plus rire.)


Céline Escouteloup a publié deux recueils de poésie à ce jour : Le soleil dans la bouche, qui vient de paraître aux éditions Unicité, ainsi que Le ventre vide, aux éditions Kirographaires, en 2012. Elle publie également dans de nombreuses revues telles que Verso, Les Cahiers du Sens, Décharge, Libelle, Flammes Vives, Contre Jour, Poésie/Première et Les Écrits du Nord. Ses projets actuels se dirigent de plus en plus vers des collaborations, dans lesquelles ses mots dialoguent avec les autres arts.


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