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Lectures de Véronique Elfakir

lundi 4 décembre 2023, par Cécile Guivarch

Steve Wilfrid Mounguengui– L’énigme des ruines – La Kainfristanaise – 2021

Comme le poète chinois en son ermitage, Steve Wilfrid Mouguengui, a séjourné quelques temps dans une cabane en Ariège, laissant ainsi lentement ressurgir une lenteur contemplative propice à l’écriture. Comme il nous l’explique en préambule, le texte est né de sa sidération devant les ruines pierreuses qui façonnent ce paysage ariégeois. En cette vie frugale se redécouvre l’essence même des chose : « une envie de lumière,/comme une envie de pain », une aube enchantée par des odeurs de thym, de romarin, la menthe, le citron, une sieste sur l’herbe, le murmure d’un ruisseau… Parfois surgit un poème et « au milieu de la page » se pose « un fleuve qui coule jusqu’aux rives du ciel et tisse un pont entre tristesse et joie ». Peu à peu ces ruines balayées par le vent deviennent la métaphore du pays perdu de l’enfance et son vieux village interdit, où rôdaient des fantômes à l’ombre des manguiers.
Quand chaque seconde devient « une éternité », une offrande à l’ombre et la lumière, les ruines deviennent alors « poussière d’éternité »« le sel des jours s’évapore à la lisière du songe ».

La beauté devient ainsi « le nom secret du monde » et le sacré ne se révèle nulle part ailleurs que « dans les êtres et les choses », en cette existence épurée de tout vain besoin, la nature se parcourt « comme un livre ». La cabane devient alors un « cloitre de brume » où le « silence est un orage » : « Des pans de brume traversent comme des navires/les poèmes que j’écris/La fenêtre découpe le paysage et le feu brûle dans/un murmure/Assis à ma table/Je démêle les années/les jours/les heures et/l’éternité. » Symbole du passage et de l’écroulement du temps, ces amas de cailloux deviennent la métaphore pierreuse de la course du temps où l’essentiel « devient mirage ». La marche scande également le recueil, traçant parfois un pont entre deux continents, entre le passé et le présent car « rester sans ailleurs c’est déjà mourir. » Les poèmes naissent alors « du vertige des saisons » et donnent « une rivière à nos blessures ». La vie devient un voyage où il ne s’agirait que de chercher « les racines de la lumière », de s’interroger sur le sens de l’existence quand il ne suffit que d’un chemin « pour retrouver les parages de l’enfance ». Ce lumineux recueil se termine sur cette interrogation : « crois-tu que l’écriture puisse être une patrie. » Nul doute que l’écriture ici devient un vaste pays où voyager, rêver aimer, se souvenir, méditer, marcher. Un territoire toujours à conquérir de pierres et de vent à l’image de nos pas et de nos vies incertaines.

Extrait

J’écume la lumière pour n’en garder que la fleur
L’ombre
La nuit la marée des jours se retire
Au milieu du silence il n’y a plus que moi
L’énigme de la vie est phare dans le lointain
Faut-il toujours gravir la montagne de l’âme ?
J’essaie encore de comprendre pourquoi le silence
Crie comme une cigale

J’écume l’ombre pour n’en garder que la fleur
La lumière
J’ai apprivoisé l’aube avec une tisane de thym de
Menthe et de romarin
Quand la nuit se retire les chiens de l’autre rivage
Se taisent
Les hurlements s’évaporent dans les horizons de
Cendre

J’écume le ciel
Et les orages pour n’en garder que la fleur
Toi
Toi seule me donnes la main sur la route où je
Dévale dans ce rêve qui me déserte.

Nour Cadour –Larmes de lune – L’Appeau’Strophe – 2022

Dans ce recueil, Nour Cadour tresse le rêve et l’imaginaire pour faire rempart à la barbarie. Surgissent alors des odeurs de jasmin et de safran quand « le figuier chante ses fleurs/sous le gong d’un printemps lisse ». Tout semble prendre origine dans un départ « sous l’orage déchiré par les bombes », « là où le cri du grenadier résonne avec le néant », « là où l’existence s’efface/sous le frémissement de la chair meurtrie. » Il s’agit alors pour ne pas sombrer de s’accrocher à quelques lignes, à quelques lettres : « Et les doigts transformés en rose de Damas/Je sculpterai des mots qui désamorceront l’avidité des conquêtes. »

A l’horreur s’oppose alors la sensualité, « ces pistaches émiettés sur les lèvres, cardamome poudrée sur les joues corolle, la saveur du pain chaud ». Tous ces souvenirs ressuscitent un passé chavirant que l’on devine d’enfance. Par la métamorphose du verbe salvateur, il s’agit alors de « récupérer dans la paume des larmes de lune coulant sur les genoux des rosiers » pour que refleurisse la rose de Damas saccagée. La parole devient ainsi « archipel de soie » et refuge. Comme une ritournelle les images et sensations ressurgissent sous les décombres. Ainsi la blessure du grand départ « jamais refermée », « l’amour du ciel d’Orient », l’exil au goût amer où subsiste toujours la mémoire de la terre « pour râper son plafond de soie dorée/le tissu pleurant rose ». Pour arrimer quelques fragments d’espoir et de renaissance, il reste le chemin scintillant des mots dont ce texte déchirant quelques fragments de beauté sauvés de l’oubli et la perte.

Extraits

Marche utopiste

Nous voguons vers une terre
Où le figuier chante ses fleurs
Sous le gong d’un printemps lisse.
Nous voguons vers une terre
Où les vers sont mis dans des rimes de bois.
A l’ombre d’une brise de mer.
Nous voguons vers une terre
Où la soie s’étend pour recouvrir les trottoirs
Où des lunes de jasmin et de safran
Chanteront avec le prélude de l’égarement d’un arbre
Où des tendres poèmes épongent
Nos yeux d’espoir avec la symphonie d’un soleil.

Que la voix de ce pays monte à mes genoux
Comme un vent lassé
De la brutalité des hommes,

Que le drapeau de ce pays flotte à l’épaule d’un soir d’été
Le long de l’azur
De nos corps emmitouflés.

Sois songe pour habiter un département
Rire pour s’égarer dans l’une de ses rues.
Nous voguons vers une terre où,
Nos rêves bleutés
S’égouttent peu à peu
Comme les étoiles du plafond du ciel.

Recette de renaissance

Tresser le vent
Dans une brise d’été,
Pétrir la nuit
Sous les doigts de la lune,
Peigner l’aurore
Dans les reflets de la mer,
Étirer l’amour
Sous les champs de rose,
Retrousser la lumière
Dans les terres ensanglantées,
Draper les cœurs
Sous l’écorce des étoiles,
Lécher les couleurs du miel
Pour en faire des fleuves,
Lancer les nuages
Pour faire détoner la sève,
Attraper un printemps brisé
Débris de pays comme plaie
Pour faire exploser
La beauté de la vie.

Lara Dopff – Ainsi parlait Larathoustra – édition Phloème – 2022

Pour Lara Dopff, le poète est un être errant, un wanderer, arpentant la terre pour mieux s’en enivrer, s’y perdre parfois pour mieux se retrouver, s’enivrer de sa beauté dans l’urgence de vivre. A ce rythme cadencé du pas, répond la pulsation vibratile du style, comme un cœur ou un tambour battant. Chaque poème semble ainsi s’ancrer à la fois puissamment dans le corps tout en cherchant à fusionner avec la nature qui nous entoure, à sortir hors de soi pour retrouver une sorte d’unité primordiale ou originaire.

De ces deux aspirations naît une tonalité ou une tension particulière où s’entremêle le concret de la route et de la découverte avec des interrogations portant sur notre être au monde, le rôle de la poésie. Rien de désincarné cependant dans ce recueil où la sensualité se déploie en un très beau texte ardent où il ne s’agit plus que « d’être suffisance à son corps, en vivre. » Peut-être alors convient-il de développer une sorte d’étonnement permanent, dans l’acuité d’un regard toujours renouvelé, propre au poétique et également à la philosophie ainsi que nous le rappelle le titre, non sans humour….

Lara, est elle-même de ces êtres qui arpentent la terre, « vivant dehors sous un ciel libre » et traçant chaque jour les éléments qui l’entoure dans un carnet. Pour la voyageuse qui change sans cesse de pays et de langue, de mets, de vêtements, de religion, l’écriture est d’abord et avant tout physique. Cette pérégrination la conduit cependant à éprouver l’âme même du monde qui traverse et transperce chaque être de tout temps et à travers toutes les civilisations en une sorte d’universalité.

Elle trouve son incarnation toutefois en chacun d’entre nous comme si c’était une première fois toujours renouvelée, à travers chacun de nos regards singuliers, les sens aux aguets, pour mieux s’enivrer de l’existence. A travers ces expériences, il s’agit de se nourrir intérieurement dans une sorte de joie devenue intemporelle, pour que « la poésie surgisse de la vie même et que son matériau soit le monde. » Elle permet ainsi de fixer ou réfracter ces éclats de lumière ou ces éclaircies qui surgissent parfois à la faveur de la nuit où les frontières semblent disparaître, pour à la lisière, laisser place au chant : « dans les bosquets anciens, / à l’apparition des nuits, / à l’instant où le lecteur ne peut poursuivre et relève la tête, / nous entrons dans la lisière des chants. (…) Ouvrir paupière / et percuter le monde. » Il s’agit alors de revenir à la saveur de l’instant pour n’être plus que pulsion et percussion de l’univers, retrouver « le vif, les senteurs » comme pour mieux s’ouvrir et atteindre l’essentiel, le cœur même des choses dépouillées de toute parure : « frappe le fer /martèle / ne laisse que le nu, /l’à vif, les pétales ouverts/ demeurer. »

Loin de tout dogme, de certaines brisures parfois de l’enfance, surgisse alors parfois ces moments « d’éveil » dont la parole poétique se fait le prisme : « Vivre poétiquement, c’est l’éveil, l’instant hors (…) c’est tendre à l’immense, à l’hors de soi-même. / C’est graver, par les mots chaque instant viscéral du monde/ Vivre poétiquement, c’est naître une seconde fois. /-hors- / c’est apprendre l’un et la terre. / pouvoir rendre la pénétrante du monde/ C’est être au monde, directement au monde, /nulle enveloppe. » Ainsi son écriture redouble cette intensité de vivre qu’elle ne cesse de porter avec incandescence en une sorte d’incantation reproduisant la transe ou la danse permanente du pas qu’elle ne cesse de célébrer à chaque poème.

Extraits

"Etant de ces êtres qui arpentent la terre, vivant au-dehors sous un ciel libre et traçant chaque jour les éléments qui m’entourent dans mes carnets, changeant sans cesse de langue, de mets, de religions, de vêtements, de faciès, - entrant en les songes des différentes civilisations, je suis devenue pythie, oracle, bouche d’or, architecte, sculpture du monde. (...) Vivre, être animé, jouir de la vie, durer, subsister, se nourrir de - autant de déclinaisons de sens qui ont tendance à s’éteindre. Je penserais la vie ici en termes de nourritures intérieures et de joies sans temps, hors/au-delà du temps. (...) Le vivre-poétique ne s’applique au genre de la poésie seule, il s’applique à ceux qui sont capables de créer, de sécréter à partir de la matière brute, du matériau même du monde - soit leur vie. Mes carnets m’accompagnent en tout lieu, en chaque errance, de nuit comme de jour, à chaque instant, je puise, il m’est nécessaire de transcrire, de pouvoir tracer ces éclats qui sans cesse naissent en moi. Cette nécessité a rendu naturelle l’écriture en mouvement, dans la marche, dans le noir, dans un train russe ou indien, face aux éléments, veillant sur le feu dans un ciel libre, ou au milieu des nuits humaines... Écrire, poser déposer, sécréter dans ce petit pays qu’est la page est devenu pour moi l’instant de la naissance du sens. »

« redeviens
l’instant,
l’éphémère
- La pulsion, percussion
puis disparition.
Rappelle-toi
vent incessant
ta danse folle.
l’oublie
du sonore sur tes
tempes.
ton monde sonore,
l’écho de tes fosses.
trace le hurle du monde,
délaisse la composition,
l’ouvrage
-re-nais fragmentée,
Eclat, éclair.
violence fulgurante.
Renonce aux bâtisseurs,
reviens,
dénude-toi,
ôte les mues,
reviens,
éphémère,
belle de nuit,
saccade,
reviens »

Nicolas Perge – Lise Deharme, cygne noir – JC Lattès, 2023

Cette biographie de Nicolas Perge rend hommage à une égérie surréaliste, Lise Deharme, dont André Breton notamment fut passionnément épris tout au long de sa vie sans jamais pouvoir la conquérir.

Singulière, mystérieuse, excessive souvent, Lise est une poétesse et romancière qui fréquentera les artistes les plus avant-gardiste de son temps. Ses écrits sont un étonnant mélange d’écriture automatique, de merveilleux s’apparentant au conte mais d’une façon toujours décalée ou caustique, d’occultisme, d’ironie ou de mélancolie. Certains textes s’apparentent à des sortes de comptines en des images où l’absurde côtoie certains traits d’esprits ou des pensées plus profondes…

Lise Hirtz est issue d’une riche famille parisienne, le docteur Hirtz est le médecin des célébrités. Dès l’enfance, elle manifeste son originalité, au désespoir de sa très conventionnelle et bourgeoise mère, qui ne lui manifesta guère d’affection… Lise ira même jusqu’à tenter d’effacer le visage de cette dernière sur une photographie tant sa relation à sa mère fut véritablement empreinte d’animosité…Chaque jour, enfant, elle n’a qu’une hâte, retrouver une flaque de boue au parc, elle s’agenouille dans la terre et y plonge ses mains. Elle va même jusqu’à vouloir manger cette glaise… ou alors elle se nourrit de livres même les plus scabreux en dévorant la bibliothèque de son père.

Plus tard elle rejettera ce milieu bourgeois qu’elle détestait pour « entremêler le beau et le bizarre » dans sa vie comme dans ses écrits : « Elle aime la mort, l’amour, la boue, le diable, le sexe, le surprenant et l’inconvenant. C’est la seule façon d’échapper à la réalité. Jeune fille, elle garde secrètement des recueils d’histoires érotiques. (…) Ses textes ont l’apparence d’un conte de fées, ourlés d’une réelle perversité. (…) Le monde deharmien est un univers moralement instable, où pulse une énergie sauvage lustrée de parfums. »

Toute sa vie durant elle fut habitée par des expériences étranges : prémonitions, fantômes même comme ce mystérieux homme en noir qu’elle croise parfois tout au long de son existence. Elle croit essentiellement à ce qu’elle nomme l’Invisible c’est-à-dire une façon « de percevoir différemment ce qui nous entoure. Sur les feuilles des arbres, dans le chant d’un oiseau, un reflet, surgit le merveilleux. Lorsque le surnaturel et le réel se frôlent, que leurs dimensions s’unissent, voici ce que la poétesse appelle l’Invisible. Une porte qui s’ouvre sur autre chose de très grand. Peut-être que ce goût pour le parallèle, la magie fut une façon pour Lise de combler un vide. Peut-être que ce vide fut creusé par l’animosité de sa mère envers elle. Par l’absences d’amis véritables, de compagnie. Un dégoût de soi, une désillusion. »

Séductrice, elle déchaîne les passions et sait manier l’indifférence et la froideur pour mieux l’attiser. C’est pour elle presque une sorte d’addiction : « Quand on est plus aimé, on devient laid » Ainsi se refusera-t-elle toujours à céder à André Breton qui ne cessa jamais de lui écrire de longues lettres enflammées et de lui dédier ce poème : « Tu es grave dans ta grâce absolue d’être plus légère/Que ma tempête. Je vais ramasser le gant. /Le gant que me jette le ciel et m’enfermer à tout/jamais/Dans la prison de mes lèvres (…) Va mon étrangère ma perte de paradis. »
Après un premier mariage mondain avec un premier mari qui finira par afficher son homosexualité et ses liaisons et un divorce, elle s’éprend de Paul Deharme, un publiciste de talent et homme de radio, amateur d’art également. Il meurt cependant précocement à trente-six ans, absence qu’elle ne parviendra jamais à combler. Ce fut son seul et véritable amour car il semble qu’elle fut incapable de s’occuper de ses enfants qui toute sa vie durant lui reprochèrent sa froideur. Mais comment donner ce dont on a été soi-même privé ? Son dernier mari, qui l’idolâtrait, fit également les frais de sa cruauté parfois et ses caprices et se vit ainsi traité en valet en adoration devant elle. A la mort de sa mère, déportée pendant la guerre, une phrase souvent prononcée par celle-ci lui reviendra simplement à l’esprit : « La lourde paix des choses accomplies »

Mondaine et argentée, elle tient salon en de somptueuses soirées. Toutefois elle chérit les animaux plus que les hommes et les plantes, virtuose en son jardin et passe sans cesse de la colère à la gaité. A la fin de sa vie, elle finira, ruinée et seule, par se séparer de tous les biens et œuvres d’art dont elle aimait s’entourer. Elle ne renoncera toutefois au caviar et au champagne, dernier luxe pour se souvenirs de ces fêtes somptueuses qu’elle donnait et de ces amis ou amants désormais disparus. Ne lui reste que quelques poèmes dédicaces de Desnos et Eluard en guise de dernier hommage : « Pour Lise. Au bord des plages rabattues. /Paupières sur les vagues nues/ Au cœur des plaines du ciel pâle. /(…) La nature tout entière /Vient s’affronter à ce visage/ Qui rêve les yeux grands ouverts /Et qui connait tout sans rien voir. »

Extraits

« Le malheur est quelque chose de si affreux et de si relatif à la fois. Pose ton doigt sur ce serpent… Mais pourquoi puisque près de lui, il y a une rose et dans cette rose une maison d’or remplie de tous les plus merveilleux serviteurs du monde. »

« Alors mon nom passera.

Tu m’as donné mon Dieu
de grandes joies et de grandes douleurs
savoir à présent lesquelles étaient meilleures.
Je ne voulais pas vivre vieux.
Avec des gens tu m’avais mis
et je disais oh ! je m’ennuie...

et maintenant
j’ai deux fois ces quinze ans
que j’aimais tant.
Vais-je me réveiller de ce rêve si doux
que je fais parmi vous ? »

DODO

Douleur pour nous
Douleur sur deux notes noires.
Il pleut bergère...
Boire
le soir.
Lire pour s’endormir
la nuit
l’ennui.
Matin
chagrin.
Midi
soucis.
Une ronde
Une noire.
Ma belle je suis noir.
« Je suis le ténébreux le veuf l’inconsolé
le prince d’Aquitaine.
Glabre et vert vêtu d’un pourpoint
de velours noir.

Je vais au milieu des pauvres libérés
du dimanche et du samedi
si peu ivres de liberté que
les femmes raccommodent
pour s’amuser
les filets de leur fenêtre
sur un banc
sous un ciel absolument bleu.
Je suis le ténébreux
le veuf
l’inconsolé
ramassant des pommes de pin
en vieux bois noir
regardant tomber les petits enfants roses
sur des ventres encore insensibles
écoutant une nourrice imbécile
dire à un ange aux yeux transparents
à peine sorti du ciel :
« Menteur ! »

Si seule si seule
aux portes du bois
près de l’octroi
dans le renouveau merveilleux
du printemps
près des vieilles dames qui tricotent des gants.

Un jeune homme beau comme Mercure
en chandail pauvre et brun s’attache
aux chevilles deux toutes petites roues
et s’élance comme ailé
sur la route de pins
d’un bois de Boulogne transformé.
Allons prince ridicule attardé
rentre dans ta tour de béton armé
rentre ton crayon dans ta manche
comme une fausse carte
et voici le tramway qui passe.
Ne te suicide pas par distraction ! »

« LE PEINTRE

Je peins cette dame toute noire
même les idées.
Pourquoi ?
C’est le soir
et je n’ai pas dîné. »

« L’ÉCRIVAIN

Je n’ai plus d’idées.
La Muse. — Alors va te coucher

demain c’est la foire
j’irai t’en acheter.

Il vaudrait mieux BOIRE. »

Lise Deharme. « Cahier de curieuse personne. » Apple Books.

Véronique Elfakir


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