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L’espère-lurette, chronique po&ique, par Jean Palomba (juillet 2017)

samedi 15 juillet 2017, par Roselyne Sibille

Je t’écris fenêtres ouvertes - Isabelle Alentour – La Boucherie Littéraire (Collection La feuille et le fusil) - 2017

Entour. Détour. Contour. Ce qui s’écrit fenêtres offertes s’inscrit dans la nuit ouverte à triple tour. Une voix forme des mots d’amour. Une histoire tactile où sont lisibles les plus charnels et les plus ineffables signes amoureux. L’ouverture, c’est d’abord l’étonnement d’une disponibilité retrouvée de l’être puis l’imminence d’un désir fertile en promesses nées d’une rencontre vécue comme une apparition. Celle de l’amant de Vitruve, l’homme aimant qui peut articuler différemment la phrase de celle dont les mots bruissent à fleur de peau dans la nuit. Entour, détour, contour des corps au cœur desquels quelque chose est parlé en gravure intime. Le suspens, l’incarnation, la carnation d’une rencontre amoureuse depuis la fin de l’été vers l’espérance d’un juin aux ailes d’or... Depuis la nuit de la chambre dans une solitude anthracite tendue vers un soleil imprévisible. Apparition, naissance, disparition, renaissance... c’est la respiration de ce texte d’Isabelle Alentour parcouru de son chant vibrant sur quatre temps : Une ; Deux ; Seule ; Nous. A la fin, le manque produit une graphie en négatif du lien passionnel dont les coupures sont ressenties comme l’amputation de l’autre manquant -membre fantôme para-sensible en soi. Altérité, désaltération, soif inextinguible, mirage.

Les « fenêtres ouvertes » du titre traduisent également un parcours à suivre depuis des quinquets effarants... selon une cartographie intime. L’autre est d’abord perçu puis vu au plus tendre puis percé / perçant de pore en pore, enfin : discernable en vision aérienne jusqu’à demeurer inscrit sur la rétine au plus lointain de l’absence. Isabelle Alentour parvient à transmettre la sensation de l’intime où l’autre ouvre en soi le vertige de l’altérité mise en abîme.
Dans une alternance de proses poétiques déponctuées et vers libres, les sensations de plénitude et de manque vibrionnent dans les veines bleues du livre. Sans dolorisme, dans la délicate crudité de l’instant s’inscrivent les verbes, les nominations, les adresses et les gestes qui disent la prégnance de l’autre aussi intensément apparu qu’instantanément touchant puis disparu, comme aspiré par un trou du réel, une fente inattendue... cœur en perce - chambre d’où l’air fuit sans explication.

Je t’écris fenêtres ouvertes, c’est, comprend-on, cette sensation de la porosité en amour, comprenant la fuite en même temps que l’ouverture : ces lèvres de l’amante prompte à former les mots pour dire cet inattendu crevant le désir dans l’alcôve, puis sa soif de correspondances. Son livre parvient alors à s’écrire à force d’effacements. Plus l’absence insiste, moins il y a disparition, tant le manque aiguise le désir. L’aiguisement d’une pointe infime, un stylet subtil fait d’une gomme à écrire. L’amante esseulée écrit à l’autre en allé à la gomme sur l’ardoise nocturne. Invente une écriture nouvelle où l’outil de l’effacement inscrit le signe de la parution d’un dialogue inédit : l’ardoise noire du manque comme réceptacle du désir toujours renaissant.
Je t’écris fenêtres ouvertes, c’est à la fin s’abstraire physiquement pour tenter d’échapper à la pensée du manquant. Abolir la possibilité de la pensée à l’autre, mais dans un élan vital, un impératif érotisé pour n’être que pâte à modeler dans les gestes de l’amant rêvé -ultime tentative d’approche pour mieux lui échapper, devenir matière si malaxée qu’elle file et s’évapore comme sable entre les doigts. Enfin, c’est l’invocation au conditionnel d’un « Nous » synonyme de recommencements parce que murmuré dans l’ouverture de la chambre sur les nuits du dehors et celles du dedans.

« La façon dont les mots se donnent à la nuit », disait Claudine Drai, sculptrice de papiers, des soies et des parfums. C’est ceux-là sans doute qui s’écrivent depuis les fenêtres ouvertes d’Isabelle. Un papier gardant la mémoire des gestes des amants séparés, la trame de leur histoire interrompue qu’Alentour a le pouvoir de recommencer. Ses mots re-dévoilent les sensations presque évanouies afin que l’âme si frôlée profondément de l’aimé n’échappe au souvenir – la vie... Comme si l’air de sa chambre aux fenêtres ouvertes, cet air inspiré d’Isabelle Alentour, était tramé par le manque, le désir qui efflanque, l’élan qui rénove.

Extraits :

Le monde ne sera plus jamais le même
Sans doute en va-t-il ainsi de toutes les mains et de
toutes les peaux et de tous les corps qu’on a frôlés ou
caressés Il arrive un moment où on ne les a ni frôlés
ni caressés En quelque sorte c’est comme si on n’avait
jamais frôlé ou caressé
Le monde n’est déjà plus le même

— -

Bien avant que le jour se lève bien avant que j’ouvre les
yeux j’ai perçu le rythme léger et régulier de ton souffle
dans mon dos Tout doucement je me suis retournée et
je suis restée là à distance d’effleurement sans bouger à
te respirer sans oser le moindre geste sans rien oser Et
sans la moindre envie
de me lever
ou de partir

— -

Non ne te hâte pas je veux tout emparée abouchée je
désir animal à voix basse écorchée comme pour moi
mais à toi je t’aime comme un vivat avec tout ce que j’ai
et ce que je n’ai pas

— -

Mon cœur à travers la croisée qui rejoint les étoiles
là où je te pense
là où nue
je te découvre me manquant

— -

aujourd’hui l’ombre de ton souvenir est un ciel dans le
ciel
chaque jour elle croît
et continue à me recouvrir bien après que le soleil ne
se couche

— -

Des deux je ne sais plus qui je suis
celle qui reste celui qui est parti

Tu es celle qui aime et celle qui
est aimée Elles sont belles nos
(...)


Lisières des saisons - Roselyne Sibille - Les Editions Moires (Collection Clotho) - 2017

Dès l’entrée dans le livre, c’est-à-dire au seuil de sa porte, devant la couverturquoise, lecteur.trice, tu es invité.e à suivre la sibylle. Apparaissent sa silhouette et le mouvement de sa prédiction ; la flèche de sa parole écrite s’inscrit déjà dans le déplacement d’une lettre, celui du Y, déporté du nom vers le prénom de celle qui ouvre son texte au point de vue des bords, ce fil de trame en bordure de la forêt des signes : son texte à lire. Un Y dont la fourche va se multiplier : cinq branches, cinq périodes, cinq saisons.

Cinq temps de la nature et de la nature d’un être, la vie d’une femme.

La lisière qui est cette frange de la réalité et de l’imaginaire que tu vas explorer, lectrice, malgré tous les dangers, va devenir refuge puis viatique. Mais ce titre en allitération – le murmure des insectes dans la brise - rend compte aussi de la lumière et du temps de cette promesse d’explorations. Temps et lumière parcourant ce titre en friselis - douceur des frémissements. Temps et lumière semés aux extrémités d’un 5e lieu qui vont croître, lecteur, dans l’avancée de ta lecture.

Aussi le texte de la Sibille est-il encadré par deux citations de Roberto Juarroz sur le temps, citations qui l’engendrent et le prolongent, citations en offrande pour une solution – ouverture d’une voie à la voix qui médite et poétise comme on herborise. C’est là, à lire : l’expérience de celle qui s’écrit : apprivoiser le temps pour que s’estompe la douleur : celle du cœur et celle du corps.

Tiraillement des liens dans un lieu : la nature. Et la persistance dans le texte d’une faune des interstices et d’une flore bouleversante. Une denrée cosmogonique y nourrit une âpreté méditative. Les mots inter agissent comme des cailloux, de l’air, de la terre ou du feu dans le paysage intime. Le temps et la lumière les caressent ou les percutent et réfléchissent le cours de cette vie écrite. Et derrière l’histoire dévoilée par touches infimes : le cisaillement de l’être d’où sourd la narration qui gronde, feule, sous le flux de la-sa langue poétique.

Car les poèmes des lisières suivent le cours d’une narration interrompue, reprise, diffractée au gré des saisons annoncées :
l’enfance de celle qui écrit et celle des enfants qu’elle met au monde ; l’adolescence et les nouveaux éveils ; l’amour, les ruptures et la mort ; enfin, la femme mûre de sa méditation sur le temps, ingérée comme une décoction qui transcende.

Lisières des saisons est à lire sans doute aussi comme une tentative d’auto-prédiction de Roselyne Sibille, prompte à recoudre les déchirures – un poème ample et seulement lisible dans les Lisières en forme de cartes de l’âme et de ses topographies, carnet de feuilles végétales, minérales, animales pour un poker de saisons... livre de lames à tenir dans vos mains et qui tient comme par enchantement. Un enchantement qui vous prend par le chant. Le chant d’une voix qui hante une époque à venir, celle des lisières.

Rythme nouveau du cœur. Une vie depuis les bords. Trame d’une saison inouïe, celle où pousse une voix qui traverse les violence solaire, douceur lunaire, aléas, accidents, bonheur du jour, vertige des nuits dans ce texte où le temps et la lumière finiront par s’épouser jusqu’à ce que quelqu’un ou quelque chose coupe le courant des mots, le flux électrique de la langue en en fermant le livre.

Mais non..., resteront encore dans le paysage de la tête bien après la clôture ces petits « poèmes en noms » de la sibylle où importe seule la pure beauté des noms du réel. Nomination des éléments de la nature comme on salue de précieuses présences... graminées des prairies qui l’entourent, plantes sauvages à faire les onguents... : savoir de bienfaisantes sorcières.

Cinq vers à déguster en lisières :

« la joie jaillit dans les pieds du soleil »

« Tsip tsip ouiiii »

« Ce n’est qu’à côté de toi que je te ressemble »

« Si je ne bouge pas est-ce que le temps m’oubliera ? »

« Pose ton visage dans une brèche »


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