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Itinéraires non-balisés N°7 - Georges Cathalo

mercredi 27 octobre 2021, par Cécile Guivarch

Max Alhau : Les mots en blanc (L’Herbe qui tremble éd., 2020), 140 pages, 14 euros – 6 place de Normandy 64140 Billère ou contact@lherbequitremble.fr

Max Alhau, fidèle à ses éditeurs, publie ce 4° livre sous cette enseigne avec toujours la même exigence formelle : une belle réalisation technique ainsi qu’un accompagnement graphique de très haut niveau artistique. En effet, les somptueuses photographies d’Elena Peinado Nevado ajoutent à cet ensemble une tonalité apaisante. Les trois parties de ce recueil forment un tout cohérent « pour que s’inscrivent les mots / et se dissipent les nuages ». Avec l’âge et la brutalité des temps actuels, les interrogations essentielles se font plus pressantes : « qu’aura-t-on laissé derrière soi / sinon quelques regrets / vite dissipés par les vents » ? Les doutes se glissent « entre le vide et le vertige ». Les yeux tentent de dissiper les mirages afin de fixer des traces : « l’ombre et la lumière : un même mot les désignera ». Max Alhau se donne le courage de se relever, de ne pas céder au découragement car il sait qu’il « suffirait d’une parole pour nous sauver du naufrage ». Une dernière interrogation vient boucler ce beau livre : « peut-on écrire avec des mots d’espoir ? ». Après lecture de cet ouvrage, on n’hésitera pas à répondre positivement.

Fabienne Swiatly : Jusqu’où la ville (Le Clos Jouve éd., 2021), 64 pages, 19 euros – 4 rue Perrod – 69000 Lyon ou leclosjouveedition@gmail.com

Rien de mieux que cette sobre plaquette de poèmes en prose pour qui souhaite découvrir la ville de Lyon autrement que par les publicités de l’office du tourisme. L’avant-propos de 4 pages apporte un éclairage particulier qui va permettre à chacune et à chacun de partager des moments urbains tels qu’on peut les rencontrer également dans d’autres grandes villes de France. Pourtant, grâce au talent de Fabienne Swiatly, on découvre ce qui fait la singularité de la capitale des Gaules avec le quartier rebelle de La Croix-Rousse, la colline de Fourvières ou le Parc de la Tête d’Or. Où que se pose le regard et quel que soit ce qui est évoqué, on ne cesse de suivre les humains qui tentent de survivre dans la cité. Malgré tout et même si « le mot virus s’entête depuis quelques semaines » et que les rassemblements sont interdits « sans une attestation pour sortir de chez soi », la vie continue. Ici comme ailleurs, passantes et passants « têtes penchées sur l’écran du portable » poursuivent une route mystérieuse. Les poèmes de Fabienne Swiatly ont le pouvoir de traduire une atmosphère et un climat à « la joie d’une ville qui s’assoit dehors dans l’éphémère plaisir de vivre ensemble ».

Georges Drano : La Barrière de pluie (La rumeur libre éd., 2021), 104 pages, 16 euros – Vareilles, 42540 Sainte-Colombe-sur-Gand ou larumeurlibre@gmail.com

Dédié à sa fidèle Nikou, ce livre de Georges Drano propose des récits qui sont aussi des proses poétiques. Il y évoque des souvenirs qu’ils ont vécu en commun lors de leurs expéditions humanitaires au Burkina Faso de 1999 à 2007. Chaque texte se lit de façon indépendante. On y retrouve le courage et la générosité du poète prêt à tout pour apporter du bonheur et du bien-être à la population locale dans le cadre d’une aide au développement éducatif. La découverte renouvelée d’un monde pauvre et si différent du nôtre est pimentée par des imprévus lors d’improbables virées avec des véhicules hors d’âge. Mais c’est surtout les rencontres qui sont déterminantes. On y croise ainsi « Adama la maître du CP et ses cent élèves », puis « Oumarou le chef du village peulh » et « Petit Sibili le tapeur de sable » et toute une population « qui préfère ses vaches aux banquiers ». Par leur présence rassurante, les Drano sont les militants discrets d’une juste cause et les témoins actifs d’un monde malade qu’ils parviennent à apaiser.

Jean-Pierre Lesieur : La dernière ballade du vieux poète (Gros Textes et Comme en poésie coéds., 2021), 70 pages, 10 euros – Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes ou gros.textes@laposte.net

La lecture intégrale de ce recueil nous donne l’occasion d’effectuer une mise au point personnelle sur nous-mêmes et sur la vieillesse. On ne peut que partager humblement les situations que Jean-Pierre Lesieur aborde avec ironie et pudeur. Il ne se reconnaît guère de talent particulier, ce qui déjà plus que discutable quand on connaît le personnage. Il avance calmement ses pièces sur l’échiquier d’une existence bien remplie, existence dévouée en grande partie à découvrir les autres, en ayant « publié des poètes en revue pendant plusieurs décennies ». S’il parle de lui-même, il s’agit d’un portrait en perspective où l’autodérision occupe une large place (Anniversaire, Le vieux gai,…). Dans une tonalité différente, on lira des poèmes qui frappent la mémoire (Anciens voyages, Le courant d’air,…). Sur un tout autre registre, signe évident de bonne santé, il égratigne les prétentieux, les suffisants et les opportunistes (Les cons, Vieillir,…). Ainsi va la vie de Jean-Pierre Lesieur : « chaque jour l’étonnait / d’être toujours de ce monde ». Quant à nous, poètes et lecteurs qui avons eu la chance de le croiser, souhaitons qu’il continue à s’étonner et qu’il poursuive ses projets avec le même sourire au coin des lèvres.

Jacques Ibanès : Dans ma maison vous viendrez (L’An Demain éd., 2021), 96 pages, 12 euros – 5 Quai d’Alger – 34200 Sète ou contact@landemain.com

Placé sous l’égide de Jacques Prévert, l’invitation contenue dans le titre de ce recueil est à l’image de l’auteur, altruiste et généreux. On y découvre d’abord le pourquoi de cette installation rustique au pied de la Montagne Noire en pays occitan. On y lit des épisodes divers et variés vécus entre les murs de cette demeure baptisée L’Iris de Suse en référence au dernier livre écrit par Jean Giono. Ces brèves proses poétiques évoquent des moments particuliers où les souvenirs débordent le présent. On y découvre l’horloge « arrêtée à cinq heures pile depuis au moins trois années », une cave bien remplie et les 38 bibliothèques du lieu. On s’arrête encore sur les émouvantes évocations des amis disparus. On y partage la passion pour la nature sauvage ainsi que pour les animaux : chats et chiens, mystérieuse couleuvre, renard apprivoisé,… Dans le sillage d’écriture d’un G.L. Godeau, d’un J.C. Martin ou d’un F. de Cornière, Jacques Ibanès maîtrise l’art de composer des poèmes dont il est impossible de détacher des extraits sans les dénaturer. Il se dégage de ce bel ensemble une sérénité en accord avec l’atmosphère japonisante tant prisée par l’auteur.

Emmanuel Merle et Thierry Renard : La nuit passante (La rumeur libre éd., 2021), 210 pages, 14 euros – Vareilles, 42540 Sainte-Colombe-sur-Gand ou editions@larumeurlibre.fr

L’éclairante préface de Claude Burgelin permet d’aborder la lecture de ce livre dans une mise en perspective de « ce journal de deux vies pas vraiment parallèles » où « la parole s’oblige à rester sobre ». Aucun de ces deux poètes complices ne cherche à prendre le dessus. D’ailleurs, les deux ensembles de poèmes sont présentés en suivant et non dans une alternance selon le rythme des jours et des humeurs. Les deux poètes mettent en commun leur farouche volonté de faire bouger les lignes avec de nombreuses injonctions déclinées avec des verbes à l’infinitif. Le questionnement lui-même est mis à contribution : « Comment sort-on de l’hiver mental ? » pour Thierry Renard et « Comment fait-on pour être à la fois ici et là ? » pour Emmanuel Merle. À la doublette toxique, nostalgie et mélancolie, les deux compères opposent la leur, enthousiasme et révolte. Quant à la formulation, l’un présente de courts poèmes de cinq vers non-rimés alors que l’autre propose des suites de cinq distiques rythmés. Les références littéraires émergent ici ou là sous la forme de clins d’œil furtifs sans impacter la lecture de ce bel ensemble de poèmes.

Georges Cathalo


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