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Véronique Gentil

dimanche 23 avril 2017, par Cécile Guivarch

Véronique Gentil, née en 1959, est peintre, poète et écrivain. Elle vit et travaille en région poitevine.

Extraits de Les Heures creuses

Dans ma peinture il ne fait jamais jour. Je tente d’approcher, selon l’expression de Walser, une lueur sans provenance. Et dans cette lueur il y a ce qui m’oblige à peindre, les champs que je traverse, les bêtes qui m’entourent, tout ce qui constitue ma vie.
(p.27)

*

Dans le temps vide, d’étroits soleils. Un rêve bleu. J’ai gardé du paysage sa fumée malsaine en bord de fossé, sa nacre aux coteaux. Je ne sais pas ce qu’il faut croire des hommes, leur jalousie m’effraie. Sinon rien. Je t’écris. J’ai rompu des liens comme on s’arrête de rire. Je n’ai pas aimé. Dépendances de l’ombre. Nos nuits suivent parfois des routes animales où seule la peau décide. Dans l’ordre des déplis il y a certains gestes qui conduisent au néant. Une partie infime de moi cherche quelque chose en dehors de ce monde physique, hors de la visibilité et de la cohérence matérielle. Partout je reste hostile à la chair. Partout je reste au seuil, pliée, comme préparée à une chose qui n’arrive pas.
(p.45)

Extraits de Dépendances de l’ombre

Des lieux existent où l’on oublie qu’il a plu, que des orages ont éclaté, qu’il a fait nuit.
Une maison l’été, le lait du lac.
Le pollen fume quand on secoue les buissons.
Ton visage que ne soutient même plus un vestige d’amour se retire dans le têtu de ta solitude.
Au fond du verger le lavoir est couvert d’une mousse mate, inquiétant comme un puits.
Le vert doré des mirabelles éclate sous nos tongues.
Des mouches piétinent très près des bols
(p.15)

*

Le rouge-gorge dans le cimetière. Je suis tout contre la montagne dans l’exiguïté d’une ombre, la neige ne tient pas sur les noms. Il y a des listes, des pots de fleurs avec leur terre contractée, fendue autour d’un axe.
Et rien. Un ciel très bleu, très haut, très net entre mes doigts froids.
J’ai la conviction de l’orpheline et une indifférence pour la pierre.
Tristesse pas même.
J’entends le kreuïk rauque d’une corneille qui appelle par-dessus la poussière que j’imagine et quelque bijou. Il me demeure bien en arrière une convoitise pour les membres défunts comme une forme de démence.
Je me souviens moins.
(p.17)

*

Je n’avance vers rien, je cherche encore une place où je puisse accueillir l’inconfort de ton absence. Ton absence est un mur froid qui résiste aux fissures et aux formes.
Ainsi je te pourchasse comme si je ne devais jamais avoir d’âge.
(p.19)

*

[…] Mais aussi tes yeux chauds et vivants, comme le charme complexe d’une mathématique.
(p.26)

*

[…] Il y a tous ces mots doux après les prières, ces mots futiles,
les bleuets bleus contre le blé
le minuscule oracle des papillons.
[…]
(p.38)

*

(Parfois la tristesse d’un être survit après sa mort. Elle se dépose au fond d’un cœur vivant puis le déchausse lentement.)
(p.40)

Extraits de Coupes claires

Le cœur que la pensée parfois froidement coupe dans ce beau temps c’est comme si l’allée du jardin séparait d’un coup de la joie et qu’au revers d’un coquelicot on sente le sang la fin des choses d’ici-bas de toutes les choses d’ici-bas dont nous sommes – la vie qu’on sert mal même à force surtout à force
(p.11)

*

quand le silence d’un vivant est pire que le silence d’un mort on voudrait (c’est si banal) n’être pas né ou l’être mais alors vêtu d’une simplicité inhumaine et brutale perdre ses dents de cire

tu as fait luire ma faiblesse
mais je n’ai ni fiel ni dure carcasse d’orgueil

mon nom n’est plus appelé
voilà tout
(p.12)

*

Nuit
nuit dans les fruits
tout ce fermé-là
à peindre
(un enjeu dans la maladresse au revers du labeur)
comme des chairs formées
autour d’un secret

mots digérés jamais

semblant d’élan
(p.19)

*

[…]
dehors
toujours des restes d’enfance
qui descendent des fleurs serrées
des terres cuites
on ne sait plus où on s’endort
sur quelle heure heureuse
(pâte de coing
menus bazars de mouches sur la sueur du sucre)
et voilà la peur essorée
dans un noir voyant
et calme velours des hiboux

un poème est en train
(p.20)

Extraits de Fers

je suis rompue et je regarde les feuilles d’or (oui, d’or) d’octobre des peupliers immenses qui tintillent mais c’est comme /si personne ne regardait, comme / si personne ne portait attention, malgré des trouées par où reviennent d’autrefois d’autres peupliers, ils grandissent, ils irriguent la peau, le peu d’existence sous l’or, et forment au soleil de chaudes secondes

comment le définir, ce lointain présent
(p.23)

*

quand on sait qu’on est en train d’écrire une chose importante pour soi, on aimerait aussi qu’un autre s’y attache et s’y sente chez lui

on aimerait

car il nous semble que la seule chose qu’on puisse donner se trouve dans nos poèmes

certains diront c’est peu
d’autres c’est beaucoup
(p.38)

Extraits de Les grands arbres s’effacent

Nous vivons entre les feuilles ou sous
mais quel rouge,
quel rouge elles ont déjà perdu
le toit de tuiles tremble
dans son semblant d’eau
au-dessus est-ce
ta détresse
ou le cri des grues ?
(p.15)

*

Après ta mort, j’ai dû pendant quelques mois emprunter un réseau secondaire, tel un sang qui ne parvient plus à s’écouler dans de vieilles artères et cherche quand même sa voie.
(p.20)

*

The waves
don’t expect anything
of the drowning

Don’t be sad because
nobody is waving

The first thing
you taught me
is not to be in need
of proof

Your death is my house
so what could I fear ?
(p.40 – poème écrit en anglais et traduit par l’auteur)

Les vagues
n’attendent rien
des noyés

Ne sois pas triste si
personne ne fait signe

La première chose
que tu m’as apprise
est de ne pas avoir besoin
de preuve

Ta mort est ma maison
que pourrais-je donc craindre ?
(p.41)

*

Le ciel est sans destin
et plein de ta présence

Même poussière
ta main demeure sur moi

La vie se dépose aussi
dans la poussière
(p.47 – un des poèmes écrits en anglais et traduits par l’auteur)

*

Ton silence est
dans le mien un autre souffle
dont je ne veux
me délier

Derrière la maison
le saule boit
l’obscurité et la peine
des avions passent

Contre le ciel
je suis le blanc
des lignes de laine
qui ne vont nulle part
(p.53 – un des poèmes écrits en anglais et traduits par l’auteur)

*
Comme la mémoire les morts
n’ont pas de lieu où résider

Les morts sont comme le perdu
que sauve un poème

Et ce perdu est ton chant »
(p.65 – un des poèmes écrits en anglais et traduits par l’auteur)

Extraits de Va
(2 polices de caractère correspondent à 2 voix dans ce livre.)

Il y eut un temps. Un lieu. Très durs. À part on peut dire.
Extraordinairement.

Ce temps et ce lieu tordirent le son du jour et le son de la nuit. Ils tordirent les dimensions et ils tordirent les nerfs. Mais nulle paroi ne vint se dresser entre ton cour et le mien, nulle épée entre mon corps et le tien.

la mort commença

_______________________________par le langage

une grande forêt s’attacha à nos pas
(p.13)

*

quand j’écris tu sais bien, je ne traverse pas dans le grand fil de l’eau terriblement pure, terriblement transparente, je traverse dans des masses de corne et de chair
(p.21)

*

je suis perdu
dans ma propre maison
dans mon propre jardin
et je me tourmente
pour un souvenir
qui n’a pas abouti
(p.30)

*

[…]
il me suffit de savoir
qu’après moi le soleil
te garde dans ses jambes
et que tu ailles
(p.42)


Bibliographie :

  • Les heures creuses (Pierre Mainard, 2007)
  • Dépendances de l’ombre (Pierre Mainard, 2008)
  • Coupes claires, avec une peinture de l’auteur (Pierre Mainard, 2009)
  • Tout fait terre, 54 peintures de Véronique Gentil accompagnées d’un poème de Jean Rodier (Pierre Mainard, 2010)
  • Fers, postface de Lionel-Édouard Martin (Le Vampire Actif / Les Échappées, 2011)
  • Les grands arbres s’effacent, avec un frontispice de l’auteur (Pierre Mainard, 2014)
  • Va (Faï fioc, 2016)

Sur internet :

Choix de textes et bibliographie établis par Isabelle Lévesque.


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