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Marie Huot

mercredi 30 septembre 2015, par Cécile Guivarch

Marie Huot est née au bord de la mer, en 1965.
Dans sa poésie il y a souvent des jardins qui tombent dans la mer et toute une ménagerie intime qui permet de chercher identité, de composer son propre puzzle.
Elle explore le secret, ce qui murmure en nous très bas. Et comment cela se mêle au bruit du dehors, aux voix fortes.
Les contes et les chansons traversent souvent ses poèmes. A pas de loup.
Avec ses mots Marie Huot se construit une maison. Elle y jardine, coud, lessive, y élève des enfants, regarde des animaux.
Elle envisage l’écriture comme une mémoire. Elle pense que ses livres sont des boîtes pour les voix perdues, des refuges contre l’oubli.
La poésie de Marie nous offre des énigmes : savez-vous par exemple ce qu’est une demoiselle coiffée, ce que signifie dormir en lièvre, quels noms de fleurs se logent parfois dans des endroits insoupçonnés du corps des oiseaux ?

Amandine Marembert

Extrait de Récits librement inspirés de ma vie d’oiseau, éditions le temps qu’il fait, 2009

Je suis la femme-saumon

Ce que je dois accomplir est écrit
Sur un endroit de mon corps
Que les gitanes ne savent pas lire

D’une triste histoire je suis la femme-saumon

Trois siècle changée en poisson
Avant de retrouver ma belle allure
Mes seins mes jambes
Grandir et déborder la fontaine
On finit par noyer père et mère
C’est tout un royaume qui coule

Ecoute-moi beau pêcheur
Si tu me veux encore
Alouvie par tant d’années de halètement
Nous nous rencontrerons
Là où les eaux se mélangent
Le plus sûrement à la Saint-Glinglin
(il n’y a pas si petit saint qui veuille sa chandelle)

Regarde bien
L’inexplicable stupeur
Avec laquelle je remonterai la fontaine
Sera le premier signe de ma métamorphose
Dans mes yeux tu liras combien j’aurai hâte
D’être
Et toutes mes forces vives sauteront de joie
Sur la berge où tu seras

Extrait de Portrait de ma grand-mère en demoiselle coiffée, éditions le bruit des autres, 2009

Brume

Si vous croisez
Un homme égaré dans sa brume
Ne l’accostez pas
De vos bras formidables
Ni ne sifflez trop fort
Comme un garçon livreur.

Il se peut
Que durablement
Il erre sous son chapeau
Et les petits feux
Du bord des routes
N’attireront que lucioles.

Il passera dans vos rêves
La nuit :
Long train noir contre le ciel jaune
(jamais vous ne saurez où il se rend).

Parlez-lui
Dans le secret et
Tout en pensée
Dessinez sur sa joue
Votre jolie bouche.

Un homme égaré
Dans sa brume
Généralement ça veut dire
« caillou hibou bijou…genou »

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Rivière

Je pleure dans un conte
Allongée face au ciel
Et de mes yeux
Coule une rivière
Blanche
Poissonneuse
Profonde.

Je pleure un visage
Une bouche
Qui m’échappent.
Une bouche qui n’a pas
Tout dit
Une bouche qui n’a
Rien dit.

Tout ce qui
Nous empoigne en silence
Je le pleure
(maladresses de mon amour et obscurité).

Je pleure dans un conte
Je suis une petite bête
Reprenant son apparence
De femme
Pour que de mes yeux
Coule une rivière
Pour que quelqu’un
Pêche au bord
De mon très grand chagrin.

Extraits de Une histoire avec la bouche, éditions Al Manar, 2012

L’amour est toujours une histoire avec la bouche
une histoire d’arbres
et de forêt.
Un resserrement autour de la clairière.
Une frémissante crainte à traverser.
Un bruissement ténu à l’orée
à l’ourlet à l’oreille de l’inconnu.

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L’amour a une petite écorce
que l’on gratte du bout de l’ongle
pour trouver ah que c’est doux
le dessous
le lisse odorant de sève
de saveur sucre et sel.

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Cette histoire de loup
et de dévoration dans la forêt
c’est aussi une histoire avec la bouche.

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L’amour est une catastrophe très naturelle
qui secoue les branches sans ménagement.
Parfois la tempête est si violente
qu’elle jette à terre les fruits les fragiles
les petites choses précoces
que trop vite on invente entre nous.

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L’amour pousse de petits feulements
il craint de s’égarer sur le chemin des aiguillettes
et que la forêt entièrement le recouvre.
L’amour est parfois un animal perdu
qui court dans le brouillard

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L’amour a une petite languette
qu’il faut tirer pour l’ouvrir délicatement
sinon il peut déborder
verser sur nous
nous couvrir de taches inguérissables.

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Quand tu soulèves mes branches
pour y poser tes oiseaux
j’aime le petit bruit feutré
de ton geste pris dans la brume
le vent doux sous tes ailes.

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Quand l’amour se promène dans les bois
il n’a qu’un petit chaperon
et rien dessous.
Il est vite nu
si le loup y était.

Extrait de Mon enfant de sept lieues, éditions Circa 1924

Mon enfant a un sourire énigmatique.
Je lui demande où il a caché sa voix de petit garçon.
Il sourit mais ne dit mot.
J’ouvre tiroirs et placards
soulève le tapis
je regarde aussi dans l’eau des fleurs
des poissons.
Ne veux-tu pas parler ?
Ne veux-tu pas de ta voix grave me dire où je pourrais
une fois encore entendre ta voix d’enfant ?
Il sourit.
Je bats la campagne à la tombée du jour
dans les herbes hautes j’écoute les insectes
qui scient quelque chose avec les dents
est-ce sa voix perdue avec laquelle ils font de tout petits fagots ?

Extraits de La Renouée

Je dois mettre en garde mes petites filles.
Je leur dis méfiez-vous du gouffre et du manque.
Mais ne craignez la solitude.
Les hommes vous cherchent avec leurs filets.
Poissons ou papillons ils sauront bien vous surprendre.
Ils iront jusque dans les fontaines tendre leur piège et vous braconner.
Rien ne les arrêtera soyez-en sûres mes petites
mes douces.
Quand vous serez captives vous perdrez vos écailles
vos couleurs
la douceur de vos yeux
vous deviendrez belles comme des femmes heureuses.
Plus jamais vous ne dormirez parmi les enfants Apases.

Les enfants Apases sont de drôles de bêtes.
Ils regardent sans cesse la mer et attendent d’elle
tout à la fois le départ
et l’éternel retour.
Ils pensent toujours qu’ailleurs l’herbe est plus verte plus douce.
Ils peuvent distinguer un pré vaste et venteux en pleine mer
pour y dormir.
Oui les enfants Apases accostent en pleine mer
pour manger des biscuits
faire des bouquets
se rouler dans l’herbe et s’endormir.

Ainsi plus jamais vous ne serez parmi eux
quand les filets des hommes seront tombés sur vous.
Souvenez-vous mes fillettes car finira par arriver une tristesse douce
nuancée et fine que jamais vous ne saurez dire ni expliquer

Je suis une femme et toute chose accolée à mon nom porte un petit « e ».
J’aime bien ce petit « e » qui ferme le nom des filles
des femmes
et des femelles.
Cette boucle fermée sur elle-même
qui veille là
comme un coquillage et protège la chair vivante.
Une sorte de petit loquet qui s’entrouvre
pour nous trouver intactes
entièrement nous derrière les mots qui nous disent.
Sauras-tu soulever légèrement le petit « e » de mon genre
pour me voir nue derrière la porte ?
Je veux croire chaque jour que mon petit « e » me protège des dégâts.
Quand je suis debout
il se tient derrière mon visage
une sorte de flocon incertain qui passe dans mes yeux
quand je suis prête à me rendre au chaos.
Il y a dans mon « e » mes deux déterminations la biologique
et la volontaire.
Quand les questions ont la dent dure
je sors ma canine
mon piochon
ma voyelle pour creuser plus avant
pour résoudre les énigmes.

Extraits de Ma maison de Geronimo

Un cheval minuscule (ou quelque chose ressemblant à cela)
trotte la nuit dans la cheminée
emportant avec lui un peu de ma suie de ma cendre
parfois c’est une corneille
une bête quoi qu’il en soit
noire et vive comme une peine
et qui serine

___

Marie a tant pleuré
tout est humide à l’intérieur de sa maison de Geronimo
c’est son naufrage à elle
sa façon d’être sur le pont
Elle se dit qu’un jour
elle plantera un jardin dans une barque
Tour à tour amère puis douce
elle a fait avec la mer
tout ce qu’on peut imaginer
l’a changée en huile en printemps
en toile cirée
l’a changée en lucarne pour ses nuits
l’a changée en lièvre de mars
a fini par en faire un trébuchet à sa porte
la mer repoussant la mer
Marie de papier
figurine menant bataille au milieu des flots
petite capitaine triste

___

Je n’ai pas le cœur assez bien accroché
il est suspendu à un trapèze d’oiseau dans une cage
et boit à petites gorgées dans un goutte à goutte
C’est pour cela que je n’avance pas

___

Le monde en feu la misère la vie allégée de rien
et pourtant la vie doucement belle
dans le lointain de nous
sans notre regard sur elle
Serions-nous moins inquiets
si le monde augmenté du poids de deux brebis
pouvait en être bouleversé

___

Je parle de l’histoire de Victorine
de celle de Marie et de Blanche et de tous les garçons de la villa Clorinde
C’est derrière eux que je me cache
Dans mon nom d’Oublie
comme sous un enduit écaillée au fond d’un bol
et dans ma joue divisée se dissout ma peine
Une vie en petites coupures
enfermée dans une valise
tandis qu’un jour après l’autre reste incompréhensible
malgré les enfants qui viennent
et les amours
Des jours étroits comme des brèches
où mon pied a glissé puis moi tout entière

___

Si j’écris
si j’ai nom d’Oublie
c’est peut-être à cause de ce déchiffrement
qui contient toutes mes voix de femme
Dans son petit vignoble
mon grand-père compte les pieds sur ses doigts
Pieds de vigne dans ma bouche
mon poème a une métrique tordue comme un cep

Bibliographie

  • Les Gestes, éditions Temps Parallèles, 1984
  • Bleu, éditions Telo Martius, 1992
  • Absenta, éditions Le temps qu’il fait, 2004 (Prix Jean Follain 2002)
  • Chants de l’éolienne, éditions Le temps qu’il fait, 2006 (Prix Max Jacob 2007)
  • Portrait de ma grand-mère en demoiselle coiffée, éditions Le bruit des autres, 2009
  • Récits librement inspirés de ma vie d’oiseau, éditions Le temps qu’il fait, 2009
  • Qu’est ce qu’il y a dans l’eau dis ? qu’est ce qu’il y a dans l’eau ? le feu ?, éditions Encre et lumière, 2011
  • Gît mon cœur brûlé, éditions Cadran ligné, 2011
  • Dort en lièvre, éditions le bruit des autres, 2011
  • La visite au petit matin, éditions Al Manar, 2011
  • Gît le cœur, éditions le bruit des autres, 2012
  • Une histoire avec la bouche, éditions Al Manar, 2012 (Prix Vénus Khoury-Ghata 2014)
  • Mon enfant de sept lieues, éditions Circa 1924, 2012
  • Le rêveur de chandelles, éditions le Petit Flou, 2013
  • Douceur du cerf, éditions Al Manar, 2013
  • Les petits jardins, éditions Contre-allée, 2013
  • A peine, éditions Le loup dans la véranda, 2014
  • Mots et osselets sur la table, éditions Jacques Brémond, 2014

Ses poèmes ont été également publiés dans de nombreuses revues dont Europe, Décharge, Neige d’août, Diérèse, N4728, ainsi que dans des anthologies.

Elle lit régulièrement ses poèmes lors de rencontres ici ou là.
Invitée par André Velter à l’émission Poésie sur Parole en 2005 et 2007.
Invitée dans divers festivals, dont celui de Sète en juillet 2010 et de Lodève en 2013.
Elle a également travaillé avec des peintres pour des livres d’artistes.


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