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Douze cartes pour Alice - Dessin Martine Lafon, texte Gilbert Lascault

samedi 15 juillet 2017, par Roselyne Sibille

Douze cartes pour Alice - Dessin Martine Lafon, texte Gilbert Lascault - Editions Collodion - 2016

http://www.editionscollodion.org/bo...

Alice, la secrète

Dans une première carte, Alice est mystérieuse, secrète, à demi-dissimulée, voilée, ignorée. Alice porte son chaperon rouge qui cache une partie de sa chevelure et tu ne vois que sa frange ; elle est habillée de son loden rouge ; le point d’interrogation questionne son identité. Est-elle le Petit Chaperon Rouge de Charles Perrault ? Est-elle la Reine de Cœur qui serait en cachette, déguisée, incognito ? Ou bien Alice pourrait se transformer en un lapin blanc aux yeux roses ? Dans le terrier profond, le lapin blanc avec son pull rouge et Alice s’approchent et se métamorphosent. Etonné, le lapin blanc dresse ses deux longues oreilles, il murmure entre ses dents : « Oh, là là ! Oh, là là ! Je vais être en retard ! »
[…]

Le cœur comme masque et comme éventail

Dans la troisième carte, les deux yeux du lapin blanc observent ; ils épient. La bouche du lapin et ses moustaches sont cachées par un gigantesque cœur rouge. Le lapin avec ses longues oreilles dressées porte un masque à la manière des chirurgiens et de leurs assistants qui opèrent. Ou bien ce grand cœur serait, peut-être, un éventail… A un moment, le lapin blanc a perdu son éventail et ses gants de chevreau blanc ; il prend Alice pour une servante et il se met en colère : « Courez tout de suite à la maison, et rapportez-moi une paire de gants et un éventail ! Allez, vite ! »
[…]

Et une montre dans une tasse de thé

Cinquième carte. Dans le Pays des merveilles, plus tard, au chapitre VII, Alice découvre « un thé chez les fous ». Sous un arbre, le lièvre de Mars et le chapelier prenaient le thé, et un loir endormi était assis entre les deux compères. Le chapelier tire alors de son gousset sa montre ; il la regarde d’un air inquiet ; il la secoue et la porte à son oreille de temps à autre : « La montre retarde de deux jours. » Puis le lièvre de Mars prend la montre et la contemple d’un air mélancolique. Ensuite il la plonge dans sa tasse de thé et il la contemple de nouveau ; il répète une remarque précise : « C’était, croyez-moi, du beurre de meilleure qualité qui fût ». Le chapelier grommelle : « On y aura introduit, en même temps, des miettes ; vous n’auriez pas dû y mettre le beurre avec le couteau à pain. »
[…]

Le trou de la serrure

Dans les sixième, septième, huitième et onzième cartes, la serrure (ou le trou de la serrure) est un emblème, un signe, un hiéroglyphe. En 1940-1941, à Marseille, les surréalistes imaginent 52 cartes du « Jeu de Marseille » ; Victor Brauner, André Breton, Oscar Dominguez, Max Ernst, Jacques Hérold, Wifredo Lam, Jacqueline Lamba, André Masson ont dessiné les cartes. Ils proposent quatre emblèmes. Deux emblèmes sont rouges : la Flamme et la Roue. Deux emblèmes noirs sont l’Étoile (noire) qui signifie le « Rêve » et la Serrure (donc le trou de la serrure) qui veut dire la « Connaissance » … A la place des Rois, les surréalistes choisissent des Génies ; le Génie de la Serrure (de la « Connaissance ») est le philosophe Hegel. A la place des Valets, les surréalistes proposent des Mages ; le Mage de la Serrure est Paracelse (v. 1493-1541), médecin et alchimiste, passionné par les analogies et les correspondances. Et les surréalistes aiment les Sirènes à la place des Reines ; la Sirène de la Serrure est Hélène Smith (1861-1929), médium, peintre et inventeur de langages… Dans ce jeu de cartes, le trou de la serrure fascine Martine Lafon. Il est utilisé par les serviteurs, par les jaloux, par les voyeurs, par les espions, par les polices qui lorgnent… Martine pense aussi, à ce propos, à l’abbatiale romane de Sainte Foy de Conques ; Martine photographie les sculptures des Curieux, à Conques ; ces Curieux épient le Jugement dernier sur le tympan… Dans les cartes six, sept, huit, onze, Martine Lafon dessine l’œil au trou de la serrure.
Et tu écoutes alors, peut-être, une chanson de l’opérette de Maurice Yvain, Pas sur la bouche (1925). En février 1925, Pauline Carton chante « Par le trou (de la serrure) ». Tu te souviens du refrain : « En regardant par le trou, / Par le trou, / On voit des choses raides comme tout / On sait tout, de façon très sûre. / C’est par le trou, / C’est par le trou, qu’on connaît tout ! ». Pauline Carton explique : « Une concierge doit être au courant, / Toutes les concierges sont de la police, / Pour que votre œil soit pénétrant, / Il faut rester l’œil en coulisse, / On colle son œil au battant / Et ce qu’on voit est épatant. » En 2003, Alain Resnais filme l’opérette Pas sur la bouche
[…]

Gilbert Lascault, 2016


Crédit photo : François Poulain, 2016

Bio-bibliographies

Martine Lafon, formée aux Beaux-arts de Saint-Etienne et de Nîmes et diplômée des Beaux-arts de Paris, s’est engagée depuis le début des années 90 dans la publication régulière de livres d’artiste. Les grands axes de sa démarche prennent en compte d’une part les notions de paysage, de territoire, d’histoires des lieux, et par ailleurs la place de la couleur rouge dans différents domaines.

Bibliographie non exhaustive

  • Prendre la forme pour le dire, 2017 (livre d’artiste)
  • Bois-moi, éd. Post-rodo, 2016 (livre d’artiste)
  • Petit chaperon rouge…, éd. Le Renard pâle, 2016 (livre d’artiste)
  • Auricula, le cabinet de lumière, Editions Jean-Pierre Huguet, 2014
  • Frère de ce monde, texte Jacques Laurans, éd. de Rivières, 2009 (livre d’artiste)
  • Dérêlo, Editions Collodion, 2012
  • Seul au Louvre, un ange déguisé en homme, Edition du patrimoine, 2010
  • D’autres rouges encore, avec Régine Detambel, 2010 (livre d’artiste)
  • Rougir, texte Régine Detambel, éd. de Rivières, 2009 (livre d’artiste)
  • Clitoris, texte Fernando Arrabal, éd. Le Renard Pâle, 2009 (livre d’artiste)
  • Humeur de papillon, floche, folle, effiloche, éd. du C. D. de l’Ardèche et la Fabrique du Pont d’Aleyrac, 2005

http://www.martinelafon.com/livres-...


Agrégé de philosophie, Gilbert Lascault, écrivain, essayiste, philosophe, poète et critique d’art, a enseigné l’esthétique et la philosophie de l’art à l’Université Paris X-Nanterre puis à la Sorbonne. Spécialiste de l’Oulipo et membre du Collège de Pataphysique. Il dit : « J’aime les marges, les frontières, les bords, ce qui, de la pensée, du trait ou de l’objet, est en passe toujours de se dérober, basculer, devenir vertige. »

Bibliographie non exhaustive

  • La Statuette et la Porte noire, texte Jacques Laurans - Ed. Post-rodo, 2017 (livre d’artiste)
  • Brûler le pavé - Ed. Le Petit Jaunais, 2015
  • Les fumeuses fatales - Ed. Fata Morgana, 2015
  • Les jeux du poète chapeauté - Ed. B.G. Lafabrie, 2015
  • Martine Lafon, Peindre sur la couleur mouillée - Ed. Musée des Beaux-arts Orléans, 2012
  • La Pompadour, et les créatures de Mâkhi Xenakis - Ed. Actes Sud, 2011
  • Cartes à jouer et réussites, Ed. Bayard, 2003
  • Remue-manège - Ed. Le Petit Jaunais, 1999
  • Le Petit Chaperon rouge partout - Ed. Seghers, 1989, Fata Morgana, 2007
  • Faire et défaire - Ed. Fata Morgana, 1985
  • Ecrits timides sur le visible, collection 10/18, 1979
  • Le monstre dans l’art occidental, 1963

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(Page établie avec la complicité de Roselyne Sibille)


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