Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Claude Albarède

samedi 10 avril 2021, par Cécile Guivarch

Fils d’ouvriers et de petits vignerons des contreforts du Larzac, je suis né le 24 janvier 1937, à Sète, ville qui avait déjà donné à la poésie Paul Valéry et Georges Brassens. C’est pourquoi, fidèle à l’esprit de témérité qui caractérise à la fois les vignerons des Causses et les pêcheurs du Golfe du Lion, j’ai voulu être poète. Et à mesure que je le voulais, je sentais grandir en moi des élans qui me poussaient à le vouloir. J’ai donc, le plus souvent et à compte d’éditeur, fait publier une quinzaine de recueils. Certains sont passés sous silence. D’autres ont obtenu quelques « prix » : François Villon en 1980, Bourse Guy Lévis-Mano en 1984, Prix du Lion’s club en 1985, Prix Amélie Murat en 2005, Prix Aliénor d’Aquitaine en 2008.
Certains de mes poèmes sont régulièrement publiés en revues ou en anthologies (N.R.F, Sud, Le Pont de l’Epée, Concerto, Poésie sur Seine, L’Arbre à paroles, Le Journal des Poètes, Visages de Poésie, Diérèse etc.), et mon œuvre a été plusieurs fois présentée en lecture publique par des associations culturelles telles que Territoire du Poème, Le Mercredi du Poète, Jalons
Ayant vu mes ancêtres s’escrimer sur une terre ingrate et obtenir un vin somme toute acceptable, je continue d’écrire et de poétiser.

Claude Albarède

Extraits de Un chaos praticable, peintures d’Alain Dulac, L’herbe qui tremble, 2011

p.10

En suivant sa pensée il faudrait des années pour écrire un chemin qui ait marqué la terre. Le couchant dans les yeux, un bâton dans la main, le poète parvient au bout du monde devant l’abîme. Une frêle planche rejoint l’autre rive. Franchir ce vide serait donner un sens à la mort, la figurer là-bas avec des prairies bienheureuses et des bergers musicaux. Mais rien n’est tracé de tout cela, et le poète attend devant le gouffre, fasciné de silence, et déjà attaqué par les fourmis.

*

p.13

Le sentier que l’on suit s’accroche au paysage, se pend au cou des maisons basses, fait un bout d’affection avec les fleurs.
S’il est sentier, il décrit l’amour. S’il est parole et sentiment, il décline un pays. À genoux devant la rivière, il se cherche dans son reflet. Déshabillé sous les arbres –là son argile souple, là son orgueil épineux – il a plaisir d’entrer dans l’innocence et de dé-naître au giron du sous-bois.

*

p.59

Ruine empoignée d’orties. Talus féconds dans les marges… Le pays de passage autant que de parole écrit sa sève en tous recueils. Cette parole à fleur de terre et de cailloux, tenue en lèvres, transfigurée. Soit par le vent qui brouille ses fragrances. Soit par les eaux qui les rassemblent au bief du moulin à plâtre, d’où la treille s’étoile et couvre les toits crevés. « Moulin premier » dit le Poète dont le poudreux soleil ajuste « l’éclair qui dure »… Nous y passons, en contre-pente, tenus de loin par le murmure des remous. Par l’exigeant ressac du cœur contre l’oubli.

*

p.63

Passant des sentiers praticables jette ton impatience vers le plus haut secret de la montagne où la clarté ouvre tout ! Et fais usage de la passion !
Passant de contre-pente et d’éboulis projette-toi hors des parcours sableux vers l’écriture des récifs contre l’azur : superbe abrupt, et redressé par joute avec l’abîme.
Arroge-toi le droit d’entrer en liesse dans l’inconfort des herbes hautes… L’à-pic domine l’effondrement. Le front des pierres étoile sa blancheur.
Consume-toi. Attise. Mieux qu’incendie tu guettes en toi la source, cette pensée nourrie de sa patience.

Extraits de Le dehors intime, peintures de Marie Alloy, L’herbe qui tremble, 2017

p.14

Mémoire imaginable
comme un bâton brisé
qui trace le sentier
de la parole

Sans éclairage que la lune
et sa passante solitaire
le long des perspectives
à l’aplomb de la terre

Telle la poésie
si confuse de loin
et de près si troublante.

*

p.17

Ne pas souiller
ni ajouter
trop de poids
au silence

Comme les pas
devant la neige
ne pas risquer
la page blanche

Aller au point
contre le vide
où l’horizon
s’ouvre en lumière

Gagner le large
du plus secret
nicher l’immense
au plus intime.

*

p.72

Le poème n’est pas loin
quand les mots congédient
la pensée locataire
et ouvrent grande la maison

pour recevoir le dehors intime
noué à l’herbe et au chemin
la lumière aussi entrera
par le haut des murs et des portes

Chacun déposera ses mots
l’un contre l’autre bien réunis
pour retenir le sens
qui vient trop vite

*

p.76

Il n’est pas interdit
d’écarter le poème
du moment intime
où commence l’émotion

et de laisser aller
dans le blanc de la page
l’envol des mots
par salves noires.

Le poème attendra
que retombe l’essor
et que l’énigme
pénètre un peu

pour pierrer son silence
et serrer l’écriture
d’un caillou dans la main.

*

p.119

            à Dany

Ce qui nous touche
a déjà touché le monde

c’est la lumière des astres
le mouvement des saisons
l’intime saveur de l’herbe

Ce qui nous ouvre
a déjà libéré la terre

c’est l’éclosion du clair de lune
la fenêtre affamée de fleurs
la juste avancée du chemin

Ce qui nous tient
a toujours compensé l’abîme

c’est le silence comblé d’amour
d’où va jaillir la source claire
déjà fusion, déjà poème.

Extraits de Buissonnières, Aquarelles de Joseph Orsolini – L’herbe qui tremble, 2020

p.21

Tu cherches le sentier
partout impatiemment

Personne à qui parler
jusqu’aux confins sans avoir pu
atteindre cette source
où le sentier jadis aboutissait

Et sans savoir
qu’il n’est pas là pour que tu ailles
mais pour aller

où tu n’es pas.

*

p.34

Pierres tombées à hauteur d’homme
au bout du monde
dans le village abandonné

Mais qui mesure l’indifférence ?

Qui arpente à grands pas
l’espace initial
qui va du seuil au puits ?

Des chemins s’ouvrent
puis se referment
des maisons grainent
des fruits s’effondrent

Qui récolte les mots
quand les ronces les griffent
sur les murs du silence ?

*

p.73

Patience à dénouer la ronce et la pierre du seuil
l’herbe y pousse sans rien, autour de l’usure
qui fait un angle

Effritement des murs c’est la mémoire qui flanche
le temps saccade. Saccage.

Il reste encore à dénouer la dernière fibre
de l’attachement
et nous repartirons
vers la chute assurée.

*

p.83

Sècheresse au jardin
les genoux éclatent dans l’herbe

Ceux qui prient dieu s’écorchent

Tignasse heureuse d’estragon
il a l’air de jaillir comme pour danser

C’est une extase de démon
allumée par le mal fournaise

Un lézard a tout vu
pattes crochues
langue fourchue.

Cinq poèmes inédits

Oiseau
mesuré par l’immense

Vol de l’immense
en lui
sans cesse déployé

Comme la beauté
qui toujours s’envole
quand la liberté
décide de l’essor

Et comme les ailes
d’un livre entr’ouvert
où tout se mesure
sans avoir de fin.

*

Voyage
sans qu’on sache
où finit le chemin

Égaré dans l’idée
que le chemin s’imprime
à chaque pas compté

Pour savoir jusqu’où va
l’énigme du chemin

*

La source veut toujours
s’étirer pour atteindre

Aller plus loin
vers les confins

L’eau qui naît en deçà
veut mourir
au-delà

Poussée sans fin
par son désir de clairvoyance
dans les feuillages

et les reflets.

*

Noués à leur plaisir
la fleur le papillon

Avant que le soleil
n’ait effeuillé la noce
faut-il élucider
ce qui les éblouit ?

Ou simplement suffire
à contempler l’étreinte
qui boit au don de soi ?

*

Mot à mot poésie
tu m’écartes de toi
et ainsi me tiens mieux

Tu laisses le silence
murmurer dans le bruit
tu circules en dedans

Diserte et retenue
poésie, tu déranges
tous les mots du poème

dont un seul suffira
pour déranger le monde.

Bibliographie

  • Le fond des choses, Gaston Puel éditeur, 1967
  • L’incandescence intérieure, Atelier de l’Agneau, 1973
  • L’ambigauche, Guy Chambelland éd., 1974
  • Pensées du Causse nommé Larzac, Fond de la ville, 1975
  • Lampe habillée d’autrui, Millas Martin éd., Prix François Villon, 1980
  • Cours fermées (non paru), Prix du Lion’s Club International, 1984
  • Mémoire à petits feux, Folle avoine ed., 1984
  • Jours ouvrables (non paru), Bourse de Poésie Guy Lévis Mano, 1985
  • Montants de Terre, Folle avoine ed., 1988
  • Les Trajets sous l’écorce, Folle Avoine, 1993
  • Les Reculées, Folle Avoine, 2001
  • Faux-Plat, Editinter, 2003
  • Ajours, L’arbre à Paroles, 2004, Prix Amélie Murat 2005
  • Fulgurante résine, Les Vanneaux, 2008, Prix Aliénor 2008
  • Résurgences, Folle Avoine, 2008
  • La Dépensée, L’Arbre à paroles, 2009
  • Un chaos praticable, peintures d’Alain Dulac, L’herbe qui tremble, 2011
  • Le dehors intime, peintures de Marie Alloy, L’herbe qui tremble, 2017
  • Buissonnières, aquarelles de Joseph Orsolini, L’herbe qui tremble, 2020

Page établie avec la complicité d’Isabelle Lévesque


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