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Cédric Le Penven

lundi 4 juillet 2016, par Cécile Guivarch

Cédric Le Penven est né en 1980. Agrégé de Lettres Modernes, il enseigne et vit actuellement dans le sud-ouest de la France. Il écrit, cultive son verger, aime sa femme, et regarde son fils grandir.

Photographie : Michel Durigneux

Extrait de Elle, le givre

La longue robe du givre inonde le sommeil
Je préfère la brume qui voile sa poitrine
A l’offrande intégrale des filles d’été

Ici elle murmure à l’oreille du dormeur
Encore ébloui par ses migrations nocturnes
Pays de noirceurs puériles et de possessions brutales

Malgré les tentations de foudre
Il entend les lèvres bleues de décembre
Qui récitent propositions d’épreuves, de gerçures

Extrait de Ile de Cythère, à l’aube

Pourquoi reste-t-il là face à la mer ?

Rien ne viendra briser l’attente
il n’attend rien
Rien ne viendra fouiller son ventre
son ventre est creux

Alors ce geste
cette main passée le long du tronc
n’apaise aucune peur

Nous sommes seuls à savoir

(arbre mort, à Spetsès)

Extrait de L’Immobile serti de griffes

Poursuivre le leurre qui s’agite au bout de la conscience. Le bras tendu de l’enfant qui cherche à saisir le pompon et dont la main se referme sur une intuition de laine. L’assurance d’être sur le point de. Bientôt, c’est sûr. Au prochain tour.

Extrait de Menus travaux

J’entre dans le jour comme dans un
bain de mer un lit défait les vergers en juin
huit heures d’absence dans les arbres

A cueillir des fruits bien au-delà de
ma faim à répéter des gestes
libres de ne pas comprendre

Je quitte le jour comme un
vêtement trop lourd tombe aux chevilles
la nudité vous dis-je

Extrait de Elégies barbares

Je suis le veilleur qui désespère du surgissement d’une forme à la lisière du sommeil. J’entrevois parfois un de ces rôdeurs de confins de royaumes qui glissent furtivement derrière les noires murailles d’aubépines. Ils se livrent à quelque activité secrète : lacets placés avec lenteur dans une coulée où la sauvagine envenime les nuits, grandes pierres plates posées en équilibre qui viendront s’effondrer sur la panique d’un oiseau chanteur, et puis l’espère juché sur un rocher que ponctue la détonation de la carabine, la chaleur et la mollesse d’un ventre remué de spasmes.

Extrait de Permettez que ma voix

Une voix parle en ma voix
n’existe pas elle a
l’inflexion des voix chères
que j’ai tant lues
Thierry James ou Antonio
permettez que je vous appelle
par vos prénoms vous
dont je n’ai jamais serré la main
vous dont j’ai seulement
tenu les livres
permettez que ma voix
emprunte un peu votre voix
et de toute façon elle m’emprunte alors
excusez-moi ce n’est pas de ma faute

Extrait de Adolescence florentine

J’ai entendu dire que les dominicains portaient des chemises de crin pour irriter leur torse et faire pénitence. Ils dorment sur des plaies et espèrent qu’elles deviendront monnaie à échanger pour gagner les territoires de la sagesse. Moi, la nuit, j’enfonce des aiguilles à l’arrière de la gorge, pour que la parole soit fille de pauvreté, et difficile.

Extrait de Sur un poème de Thierry Metz

« manœuvre »

Je tourne autour de ton nom
comme le chien qui s’apprête à mordre

je le déchire
il reste la main ___ l’œuvre
écartelées dans un spasme
un effort comme musculaire
près du livre à construire
à sceller

Manœuvre
mortier gravas et bris de cœur
jonchent l’aire de ton souffle

Extrait de Bouche-suie

Bouche cousue. Par un frère sombre. La main plaquée contre la bouche. (Au dedans les nœuds se resserrent, un cri dans la gorge s’enlise. Amertume de la mémoire).

Extrait de Nuit de peu

Comment se fait-il les livres aussi nous abandonnent
je croyais que chaque page tournée
m’avait rapproché de la transparence des eaux d’hiver
dérivant des heures entières entre la bibliothèque
et le jardin, le dialogue entre les encres et la terre
lourde, amoureuse disent les paysans
aurait dû affiner mon palais, assurer une prise sûre
Je devrais savoir poser la paume
sur le front d’une enfant qui peine à s’endormir

Extrait de Où le visage se trouve

nos regards
vers cette toile
dénude
nous voilà
face à face
entre soi
et soi-même
mon ami invente un territoire
comme l’eau fraîche du matin
où le visage se trouve


Bibliographie

  • Orage, Prix de la ville de Béziers 2000, Editinter 2001
  • Elle, le givre, Prix Voronca 2004, éditions Jacques Brémond, 2005
  • Ile de Cythère, à l’aube, Encres Vives, 2005
  • L’Immobile serti de griffes, Encres Vives 2008
  • Menus Travaux, éditions Tarabuste, 2009
  • Elégies Barbares, éditions Rafaël de Surtis, 2010
  • Permettez que ma voix, éditions Contre-allées 2011
  • Adolescence Florentine, éditions Tarabuste, 2012
  • Sur un poème de Thierry Metz, Editions Jacques Brémond, illustré par le peintre Jean-Gilles Badaire, 2013
  • Bouche-suie, illustré par Philippe Guitton, Editions Unes, 2015
  • Nuit de peu, éditions Tarabuste, 2015, Prix Yvan Goll 2016
  • Où le visage se trouve, Trames, avec des peintures de Stéphane Lapeyre, 2016

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